Parc Queen Elizabeth -- Ishasha
Le lendemain matin, nous nous levons avant l'aube, enfilons nos vêtements encore à moitié endormis, buvons des petites briques de lait au chocolat. On se prépare pour un « morning game drive ». Comme convenu, nous retrouvons Hariett à 6h30 au centre d'information et partons avec elle rejoindre la fameuse piste. L'air est encore frais, la savane brille d'une lumière froide légèrement rosée. Le soleil se lève dans les nuages, spectacle auquel j'assiste rarement. Les troupeaux de kobs et de buffles commencent tranquillement leurs journées. Mais dans ce magnifique tableau, la solitude n'est pas de mise. Des files de 4x4, minibus avec toits ouvrants ou autre véhicules touristiques s'agitent déjà sur les pistes. D'ailleurs, c'est la meilleure stratégie pour trouver les lions : il ne sert à rien de scruter les hautes herbes en espérant voir pointer la petite tête féline, il suffit de repérer les voitures arrêtées. Nous rejoignons un groupe de 3 ou 4 véhicules massés dans un coin. La plupart offrent des toits ouvrant par lesquels dépassent les têtes hébétées des touristes munis de jumelles, appareils photos, longues vues, zooms spéciaux, etc. Que regarde-t-on ? Un groupe de lionnes couchées à quelques mètres. Bien sûr, on ne les voit pas, elles sont cachées dans les hautes herbes. En fait, on ne sait même pas trop où il faut regarder : « Là, pile entre le buisson vert et l'espèce de bosquet ». On joue à « qui a vu l'oreille bouger ».
Bientôt, c'est un véritable amas de 4x4 qui s'est formé sur la piste. Un embouteillage digne de l'heure de pointe à Kampala. Chacun essaie de se frayer un chemin pour obtenir un meilleur point de vue. Les lionnes dorment toujours (les lions dorment pendant la journée et chassent la nuit), indifférentes à l'agitation qu'elles ont provoquée par leur simple présence. Au bout d'un moment, l'un des véhicule s'impatiente. Le guide-chauffeur prend alors l’initiative de rouler hors de la piste (ce qui est tout à fait interdit) et d'encercler les animaux. Les lionnes, dérangées, se lèvent et remuent un peu en direction de l'intrus qui continue sa boucle. D'autres lionnes apparaissent, on ne savait pas qu'elles étaient si nombreuses ! Les touriste du véhicule en question poussent des cris d'excitation. Moi, je trouve ça assez irresponsable, dangereux et irrespectueux des lionnes qui n'avaient rien demandé. D'ailleurs, notre guide n'approuve pas. Elle met ça sur le compte des guides de tours operators privés : « ce ne sont pas des guides du parc, ils n'ont pas le même respect ».
Avant de rentrer, nous finissons notre tour par une pause dans un très joli endroit. C'est un petit coin touristique : boutiques de souvenirs des communautés locales, on y sert aussi du thé et du café. Nous surplombons un cratère où l'on peut admirer un lac entouré de marais salants. Dans le soleil matinal, la vue est splendide. Nous nous restaurons d'un thé épicé et d'un chapati encore chaud (crêpe locale) en discutant de notre voyage avec une canadienne venue avec des étudiants en médecine. Voilà qui conclue notre « morning game drive ». De retour au camping, nous disons au revoir à Hariett et replions la tente. Ce soir, nous serons à Ishasha, à l'autre bout du parc.
Nous décidons de faire d'abord un détour (que j'estimais à tort à une demi-heure). Nous roulons un peu vers le nord sur une route panoramique au dessus des différents cratères. Nous suivons de petites crêtes qui coulent en immenses langues vertes dans de vastes clairières parfois illuminées de lacs translucides. Nous voyons peu d'animaux car la végétation ne s'y prête pas, seulement quelques antilopes de temps en temps. Surtout, la route demande toute notre attention, il faut négocier montées et descentes à pic entre gros cailloux, fossés, creux et bosses. C'est Sébastien qui conduit la première partie, puis je prends la main. J'aime assez bien l'exercice mais ça prend un temps fou ! Nous avançons comme des tortues, mètre après mètre, nous arrêtant de temps en temps pour s'ébahir devant la vue. Après deux heures, nous voilà redescendus au niveau de la route goudronnée. Il ne nous faudra qu'une dizaine de minute pour parcourir vers le sud la même distance.
Nous descendons maintenant vers Ishasha. Au début, la route est goudronnée, puis il nous faut tourner à droite et suivre une piste pendant plusieurs heures. Nous ne sommes plus dans de la savane et traversons un paysage de forêt. Mais la route est plus monotone qu'autre chose. Nous roulons sur des graviers dans la poussière d'un gros camion qui nous précède une bonne partie du chemin. Nous atteignons notre destination vers le milieu de l'après-midi. Entre savane et forêt, la zone d'Ishasha est très jolie. Notre camping en particulier est assez bucolique : petite clairière entourée d'arbres et bordant une rivière. De l'autre côté du cour d'eau, une famille d’hippopotames dort tranquillement tels de grosses larves luisantes. De petits singes jouent dans les branches au dessus de la tente. Nous retrouvons la famille « Road trip Uganda » que nous avions croisée la nuit dernière sur la péninsule de Mweya. Ils sont slovènes, deux parents et leur fille (grande ado ou jeune adulte). Ce n'est pas leur première expérience africaine : ils ont déjà parcouru de nombreux pays, toujours en « self drive », c'est-à-dire avec un véhicule loué qu'ils conduisent eux même. Nous discutons de nos voyages respectifs tandis que la nuit tombe.
En discutant avec eux ainsi qu'avec les différents employés du parc qui viennent nous saluer, nous confirmons ce que nous soupçonnions déjà. La jolie petite rivière est en fait la frontière entre l'Ouganda et la République Démocratique du Congo. Pas très loin de l'autre côté, c'est la région du Kivu qui a vécu ces dernières années une guerre civile sanglante. Cette nuit, plusieurs gardes armés resteront avec nous sur le petit terrain de camping. Ce sont des militaires ougandais (et pas des employés du parc) qui surveillent la frontière et s'assurent de la sécurité des touristes campeurs. Tous nous saluent chaleureusement, s'assurant bien que nous n'allons pas paniquer au milieu de la nuit en nous retrouvant nez à nez avec un homme armé.
Enfin bon, aussi impressionnant que cela puisse être, il ne semble pas qu'il y ait le moindre danger. La situation en RDC s'est calmée ses derniers temps (sinon, ils ferment le camping) et de l'autre côté c'est en fait un autre parc naturel (Virunga), cousin congolais du parc Elizabeth. D'ailleurs, Salvatore, le jeune homme qui s'occupe de notre repas ce soir, nous confie que les rangers congolais viennent souvent du côté ougandais pour partager une bière (visiblement, ils n'en ont pas au Congo). Les rangers des deux parcs organisent aussi régulièrement des rondes communes, non pas pour dénicher les rebelles du M23, mais simplement les braconniers qui sévissent parfois dans les deux pays. En fait, le plus grand sujet de dispute est celui des animaux. Il semblerait que les éléphants et les hippopotames ne tiennent pas compte des frontières lors de leurs pérégrinations journalières. En particulier, les hippopotames, qui vivent sur la rivière, donc sur la frontière, se déplacent allègrement dans l'un ou l'autre des deux pays, bafouant toutes les conventions. Ça rend les choses un peu compliquées quand il s'agit de compter et répertorier les animaux. Chacun des deux parcs s'approprient donc les bêtes, quittes à les compter deux fois...
En parlant d'hippopotames, ils ont disparu de leur bord de rivière (côté Congolais), ils sont soit aller nager (dans quel pays alors ?), soit sortis sur la terre ferme pour brouter. Il fait nuit noire et nous allons manger nous aussi. Le petit camp qui regroupe les rangers et les soldats n'est qu'à quelques minutes à pied mais pas question de traverser la forêt de nuit, c'est trop dangereux (on nous l'a répété plusieurs fois). Là encore, pas à cause de la proximité du Congo mais des hippopotames. Grosses vaches aquatiques, ils ne sont pas méchants mais peuvent devenir meurtriers si on les rencontre à l'improviste. Nous sommes obligés de prendre le 4x4 et de faire un détour de plusieurs minutes. Salvatore nous accueille dans une petite hutte éclairée à la bougie. Là, nous prenons notre repas : quelques plats locaux assez simples. Le bœuf est un peu difficile à manger pour nous : morceaux filandreux et plein d'os, bouts de viandes bizarres dédaignés par notre goût d'européens gâtés. On se rattrape sur le riz et la sauce cacahuète (délicieuse). Pendant le repas, nous entendons régulièrement d’impressionnants mugissement gutturaux, mélange efficace entre Jurassic Parc et The Walking Dead. Ce sont les hippopotames. Plus tard, couchés dans la tente, le bruit semble encore plus impressionnant, on les entends se déplacer, ils ne sont pas loin. C'est bercés par ce doux ronronnement, que nous nous endormons.
Au matin, nous retrouvons Salvatore pour le petit déjeuner (des œufs durs sur du pain, des assiettes de pastèque et ananas, du pain grillé avec du beurre de cacahuète et du thé au lait délicieux). Je lui ai demandé la veille « A-t-on plus de chance de voir les lions si on y va tôt le matin ou pas ? » et il m'a répondu « Oh non, 7h, 9h, c'est la même chose, soit ils sont là, soit non, c'est juste une question de chance ! » Donc bon, devant tant de fatalité, on a choisi de dormir et nous retrouvons notre guide à 9h du matin. La zone d'Ishasha est connue dans le parc car on peut y voir des lions qui grimpent sur les arbres. Nous faisons donc le tour de tous les figuiers (car ils aiment plus spécifiquement les figuiers) un par un mais allons de déception en déception : pas de lions ! C'est une question de chance, comme le dit Salvatore. Personne ne sait vraiment pourquoi les lions d'ici grimpent dans les arbres (la chaleur ? Les bestioles?) mais ils peuvent très bien décider de ne pas le faire aujourd'hui. Dans ce cas, ils restent au sol, cachés par la végétation, encore plus invisibles ici que dans le circuit nord. Ils peuvent aussi aller grimper sur des figuiers qui ne sont pas accessibles par les pistes, dans une zone du parc préservée (quoi ? Comment ? Vous leur laisser de l'espace ? On devrait les mettre en cage, ce serait tout de même plus pratique...). A la recherche des lions, nous croisons plusieurs autres 4x4 (j'en reconnais certains de la veille), à chaque fois les guides échangent les mêmes questions : « Vous avez vu les lions ? Non ? Nous non plus... ». C'est une légère déception mais par ailleurs, la promenade est très agréable. Le paysage est joli, nous croisons beaucoup d'antilopes. Nous découvrons les topis à l'allure chevaline avec leur museau allongé et leur pelage brun. Le guide connaît très bien le parc, il est capable de nommer chaque oiseau et nous donne régulièrement des explications sur les modes de vie des différents animaux. Moins agréables sont les mouches tsétsé qui entrent régulièrement dans la voiture. Elles apprécient particulièrement notre véhicule car il est bleu et couvert de boue : elles le prennent pour un éléphant ! Pas très malignes, les mouches tsétsé... Par ailleurs, elles ne sont pas agressives : nous en verrons plusieurs sans jamais être piqués.
Nous rentrons donc bredouille de notre escapade matinale : pas de lion pour nous ! La pluie qui tombait cette nuit et ce matin, et qui a trempé une partie de nos affaires restées dehors, s'est arrêtée. Le soleil commence à percer la brume. Nous plions notre tente et quittons le parc en route vers la prochaine étape.
Parc Queen Elizabeth -- Mweya
L'entrée du parc Queen Elizabeth se situe à quelques kilomètres au sud de Kasese. On y accède par une route goudronnée très bien entretenue, avec marquages au sol et panneaux d'indication (une première...). On s’arrête au moment de passer l'équateur. La ligne géographique est symbolisée au sol par de larges tubes en pierre où l'on peut se prendre en photo. Nous voilà dans l’hémisphère sud.
Après quelques kilomètres, on doit quitter la route goudronnée pour suivre une piste de gravier poussiéreuse et cahotante pendant une demie heure. Autour de nous : la savane, sèche et jaune. Nous n'avons pas encore vu d'animaux. Enfin, nous arrivons à une première barrière où il nous faut payer l'entrée du parc. C'est la route qui mène à la péninsule de Mweya où nous voulons passer la nuit. Le garde nous donne plein d'informations que nous essayons d'assimiler, voici à quoi ressemble notre conversation alors nous roulons :
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Tu as retenu tout ce qu'il a dit ?
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Non, pas vraiment, mais j'ai compris qu'il fallait qu'on aille prendre le bateau vers 14h. Ca semblait le plus important, le reste on verra plus tard.
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Oui, c'est aussi ce que j'ai retenu.
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Il a parlé d'autre chose, mais j'ai pas tout capté, peut-être que... Ah !! Ah !! Un éléphant !! Stop ! Stop ! Un éléphant ! Un éléphant !
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Hein ?! Quoi ? Où ?
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Là ! Là ! Stop ! Recule ! Recule ! Marche arrière ! Marche arrière !
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Une minute...
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Là, regarde, juste là, un éléphant !
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Ah oui !
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Tu vois !! Ah ! Ah ! Un bébé éléphant ! Un bébé éléphant !
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Oh !
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Euh oui, bon maintenant, peut-être qu'on devrait continuer d'avancer, on voudrait pas la mettre en colère non plus....
Notre première rencontre avec la vie sauvage du parc : une mère éléphant et son petit, à quelques mètres à peine, sur le bord de la route... Nous sommes plus chanceux que les militaires français. Nous arrivons au centre d'information où il ne semble pas si simple d'obtenir des informations claires... C'est là que nous pouvons payer pour le camping et réserver les différentes activités : on s'inscrit pour la balade en bateau de 15h. Sur le parking : des 4x4 de touristes, des bus d'écoliers et un cochon sauvage avec ses petits, attraction principale d'une foule excitée qui le matraque de photos. La femelle semble un peu inquiète et regarde autour d'elle cherchant où se mettre à l’abri (elle n'est pas au meilleur endroit). Parfois, elle charge légèrement en grognant ce qui fait hurler de rire et de peur les écoliers. C'est un phacochère (warthog), une sorte de petit sanglier avec une tête amusante (le Pumba du roi lion pour ceux qui connaissent).
Nous rejoignons le camping. Pour nous accueillir : une famille d'antilopes sur le bord de la route qu'on croirait sorties d'une publicité pour le parc. On plante notre tente au milieu de la savane, dans les buissons et la poussière. Le lac Edward est en contrebas, la nature sauvage tout autour de nous. Il y a deux autres tentes dans le camping. L'une d'elle est aussi une « Road Trip Uganda », on observe comment elle est montée car, la première fois, on avait un peu loupé : on ne savait pas quoi faire du troisième bâton et la porte pendait lamentablement. Cette fois, on s'en sort un peu mieux. Il est 13h et le soleil tape. On se repose à l'ombre d'un petit chapiteau en pierre. Les autres familles sont en train de préparer leurs déjeuners. Nous, on boit nos bouteille d'eau en grignotant nos crackers et nos amandes.
Quand vient l'heure, on repasse au centre d'information pour payer la nuit de camping et la balade en bateau (pour une raison pas très claire, on ne pouvait pas le faire tout à l'heure) puis on descend à l'embarcadère. Nous sommes accueillis par une jeune guide, installés sur nos sièges et emmitouflés dans de gros gilets de sauvetage. Le départ du bateau me rappelle un peu Disneyland ou bien une colonie de vacances : des groupes de touristes excités poussent des gloussements, se prennent en photo partout et applaudissent à tout va. Il faut dire qu'on est dans le coin le plus touristique du parc. Un hôtel de luxe partage la même péninsule que le camping. J'étouffe un peu sous le gilet, dans la chaleur de l'après-midi. Enfin, le bateau démarre. Certains se rendent sur le toit. Le pilote nous explique qu'on ne doit pas tous se mettre du même côté, car ça nous fait pencher. Mais étant donné que les animaux sont toujours d'un seul côté, c'est un peu peine perdue. Tout au long de la balade, il criera régulièrement « please, balance the boat ! Please, balance the boat ! ».
Les grandes stars du voyage, ce sont les hippopotames. Ils nagent autour de nous, presque invisibles, sortant simplement de temps en temps leurs grosses têtes luisantes. Les rivages sont dignes des plus beaux documentaires animaliers : des troupeaux entiers d'éléphants, d'antilopes, de buffles qui viennent s'abreuver dans le lac, des myriades d'oiseaux qui volent et plongent pour pêcher. Voilà une centaine de cormorans installés au soleil, séchant leurs ailes dans le vent et là derrière le groupe d'hippopotames, ce sont des pélicans. Les petits oiseaux tachetés de bleu et blanc qui font leurs nids le long de l'eau sont les Kingfisher (même famille que les Martin-Pêcheurs), ils plongent droit dans l'eau pour attraper les poissons. Et ces grands rapaces, ce sont des Fish Eagles. En guest star, nous avons le droit à deux crocodiles du Nil, tellement immobiles que nous ne les aurions jamais vus si la guide ne les avait pas indiqués. Ils sont un danger pour les communautés locales qui pèchent dans le lac et se baignent dans ses eaux. Nous croisons d'ailleurs les villageois sur leurs longues barques. La vie dans le parc est très réglementée (l'agriculture est interdite) mais les autorités arrivent tout de même à maintenir la cohabitation avec les habitants d'origine. Ces derniers sont par ailleurs peu nombreux : les humains ayant désertés la zone suite à des épidémies meurtrières de maladie du sommeil.
Nous voilà de retour. La guide du bateau nous propose de partir tout de suite pour un « evening drive ». Je commence à comprendre comment fonctionne le parc. Il est parcouru de nombreuses pistes qu'on appelle « Game Drive ». On peut les prendre seul en voiture (de jour seulement) mais aussi embaucher un guide pour deux heures qui vient avec nous dans le véhicule, nous aide à repérer les animaux et nous montre les meilleurs endroits. C'est donc ce que nous faisons et nous voilà partis avec Hariett comme guide. On commence par quitter la péninsule (qui n'est pas le meilleur endroit) et rouler une demi-heure sur la désagréable piste de cailloux pour rejoindre un game drive réputé.
Il est déjà 17h30 et le soleil commence à baisser. La savane est couverte de hautes herbes qui rougeoient dans la lumière de fin d'après-midi. Le but ultime, le rêve recherché par tous, est de trouver les lions ! Mais ils sont difficiles à voir, cachés dans les grandes herbes, silencieux et discrets. Le second choix, ce sont les éléphants (au moins, eux, on les repère facilement). Enfin, les antilopes sont le lot de consolation. Elles sont tellement nombreuses qu'on ne peut pas les louper. Partout sautillent les petits « kobs » et régulièrement, nous croisons les plus grands et majestueux « waterbucks ».
Nous sommes chanceux, très rapidement, la guide repère un lion dans les hautes herbes. Plus précisément, c'est une lionne et nous voyons son ombre tranquille avancer à contre jour dans le soleil couchant. Ce moment reste un souvenir assez magique. Bien sûr, j'ai déjà vu des lions dans des zoos (de beaucoup plus près !) mais être si proche d'un lion sauvage qui se déplace ainsi dans la savane n'a rien à voir. D'un seul coup, nous partageons son univers, nous sommes les intrus. Elle va se lever ce soir, aller chasser des antilopes puis se recoucher au matin, en ignorant les paparazzis en 4x4 qui la poursuivent chaque jour. Plus tard, nous trouvons d'autres véhicules arrêtés et scrutons un long moment un bosquet à l’affût d'autres lionnes. Nous croiseront aussi un éléphant puis rentreront au camping tandis que le soleil se couche sur la savane. Nous prenons notre dîner à la petite cantine de la péninsule. Les chauves-souris volettent autour de nous. L'une d'elle est coincée dans la salle du restaurant et tourne en rond désespérément pendant tout le repas. La nuit est chaude mais tranquille. Lors de l’excursion toilette à 3h du matin, nous nous munissons de lampes de poches, sortant avec la crainte mêlée d'excitation de croiser un hippopotame. Ça ne sera pas le cas, mais nous savons qu'ils rodent autour des tentes (nous les entendons).
Ouh la gadoue !
L'idée était la suivante : étant donné que nous sommes au sud de la forêt, nous allons prendre la route qui la traverse vers l'ouest et rejoindre la grande artère qui part de Fort Portal vers le sud. Ainsi, nous rejoindrons Kasese où nous feront des réserves puis enfin le parc Queen Elizabeth : notre destination. L'autre solution était de remonter jusqu'à Fort Portal pour descendre ensuite mais cela semble un détour inutile étant donné que la petite route qui traverse la forêt est très clairement marquée sur Google Maps et que nous n'avons eu aucun problème jusqu'ici...
Nous trouvons facilement l'embranchement. Il n'y a rien d'indiqué, mais comme jamais rien n'est indiqué, ça ne signifie pas grand chose. Ce n'est certes pas une grande route mais on a vu pire. On roule à travers la forêt en suivant la ligne à haute tension. Autour de nous, de larges bandes de roseaux et herbes hautes nous séparent des arbres à proprement parler. Il a plu hier et la route est un peu boueuse. La aussi, rien d'inquiétant, on a déjà passé de nombreuses flaques de boues. La piste pour monter au Chimp Nest n'était qu'une longue pente glissante. Cependant voilà, quelques deux kilomètres après l'entrée dans la forêt, on passe dans une flaque et là, ba on avance plus...
Au début, on se dit que ce n'est rien. On essaie encore un coup, vrrrrrrr, rien du tout. En marche arrière, vrrrr, ça ne marche pas mieux Je sors de la voiture, vrrrrrrrrr, toujours rien. De l'extérieur, je comprends un peu mieux le problème. La roue avant droite ainsi que la roue arrière gauche roulent dans le vide, dans l'eau boueuse de deux grosses flaques. Les deux autres roues sont sur du dur mais elles ne s'enclenchent pas (je ne connais pas grand chose au fonctionnement des 4x4). Image fixe sur les visages légèrement inquiets des deux protagonistes, ellipse : une demi heure plus tard, nous voilà Sébastien et moi à quatre pattes dans la boue, vidant l'eau des flaques à l'aide d'écuelles en métal. Les bagages ont été sorti de la voiture, ils gisent abandonnés sur la route. Personne ne passe...
On a commencé par chercher une planche en bois ou un truc du genre, mais les arbres sont trop loin et inaccessibles : on ne trouve rien. Alors on fait avec ce qu'on a. Les petites casseroles en alu nous servent à écoper l'eau et la boue. On essaie sans grand succès de glisser le couvercle en plastique d'une de nos caisses sous la roue avant. Mais à chaque nouvel essai, c'est la déception : les roues continuent de tourner à vide faisant gicler des gerbes de boue à plusieurs mètres.
Bon, pas de raison de paniquer : nous sommes en tout début d'après-midi (la nuit est bien loin), assez proche du début de la route et nous avons du réseau sur nos portables. Après deux heures de galère, je me décide à appeler l'agence de location. C'est déjà un réconfort de savoir que quelqu'un sait où nous sommes. Mais par ailleurs, il n'a que deux contacts « proches » : l'un est à Fort Portal, l'autre à Queen Elizabeth, soit à chaque fois 2 heures de route. Finalement, il nous semble plus efficace de marcher pour aller chercher de l'aide. C'est Seb qui s'y colle, moi je reste à la voiture. Il repart d'où nous sommes venus pour rejoindre le village qu'on a passé il y a quelques kilomètres. Pendant son absence, j'essaie de découper des roseaux au couteau suisse pour les glisser sous les roues mais mes efforts restent vains. Finalement, il m'envoie un SMS et me dit qu'il revient avec du renfort. Alors bon, je m'assois sur la valise, toute couverte de boue (moi, pas la valise) et j'attends, seule avec les papillons.
Seb revient en effet, il est accompagné d'un homme à pied. Je suis un peu déçue, j'espérais une autre voiture qui pourrait nous tracter. Mais bon, il a une espèce de petite pioche qui a l'air plus efficace que nos casseroles et il observe le problème d'un œil attentif. Et puis, trois hommes arrivent derrière lui. A eux 4, ils discutent pas mal de la stratégie à adopter et finalement optent pour une marche arrière avec poussée. On avait essayé de pousser nous aussi mais la voiture ne bougeait pas d'un millimètre. Ils sont 5 à l'avant de la voiture (Seb et les 4 hommes) et moi je suis au volant, je m'occupe de passer la marche arrière. Et là, Oh miracle, ils arrivent à soulever le véhicule et ça recule ! Enfin, on se dégage de ce guêpier. Il ne nous reste plus qu'à ranger nos bagages et repartir.
Entre temps, ils nous ont expliqué qu'on n'était « pas sur la bonne route ». Enfin plutôt on n'aurait pas dû la prendre... C'est la route pour le Chimp Tracking et aujourd'hui, elle est trop boueuse pour être traversée. Ouais enfin bon, ça c'était difficile à deviner... Il semble donc que la seule façon de rejoindre Kasese soit de remonter à Fort Portal, ce qui fait un très gros détour. L'un des hommes (celui qui a une veste verte de garde forestier) nous assure que nous pouvons traverser au nord de la forêt, au niveau des Crater Lakes. Mais je me souviens des routes en question et je ne suis pas sure que ce soit plus rapide. En plus, on a eu un peu notre dose pour aujourd'hui.
Nous quittons les 4 hommes en les remerciant chaleureusement avec un peu plus que des sourires et des merci : au final, ils nous ont vraiment bien tiré de notre galère. Et nous repartons vers le nord... Nous traversons à nouveau la forêt sur la route principale. Seb est fatigué, il s’arrête en chemin et nous grignotons notre « déjeuner » : crakers, amandes, barres de céréales et loukoums. Comme il en a marre, c'est moi qui me décide à prendre le volant pour la première fois. C'est une petite route avec très peu de circulation donc ça fait déjà un problème en moins. Après c'est une question de maîtrise du 4x4 entre les bosses, les cailloux et les flaques de boues dont nous nous méfions à présent. Mais au final, je trouve ça plutôt amusant, je nous conduis jusqu'à Fort Portal. Retour à la case départ, c'est là où nous étions il y a deux jours. Nous retrouvons le même super marché où nous rachetons à peu près la même chose (on change de crakers...). Nous passons à la banque tirer de l'argent et nous reprenons de l'essence. C'est Seb qui reprend le volant, il est presque 16h...
La route vers Kasese est goudronnée et de bonne qualité, ça va plutôt vite. Il est un peu plus de 17h quand nous atteignons la ville, nous avons environ 5h de retard sur notre planning (3h dans la boue et bien 2h de détour). L'idée de départ était de rejoindre directement le parc qui se situe à une heure environ de la ville. Mais là, on commence vraiment à être fatigués, on se voit pas arriver à la tombée de la nuit et monter la tente dans le noir. La ville de Kasese n'a pas d’intérêt particulier : poussiéreuse et chaude, on dirait le début d'un désert. Ca ira tout de même pour la nuit. C'est souvent une ville étape avant d'aller gravir la grande montagne Rwenzori dont nous avons vu la silhouette brumeuse, il y a donc plusieurs hôtels. On en trouve un grand, un peu étrange, à la sortie de la ville. Il se donne des airs de palace mais n'est pas très cher (et pas si palace que ça). La chambre est assez confortable mais la moustiquaire est mal foutue et nous nous feront piquer pour la première fois du voyage.
Je l'ai choisi parce qu'il possède une piscine. Elle se trouve tout en haut de la petite colline sur laquelle est construite l'établissement et elle est payante. Mais bon, on peut bien dépenser quelques euros pour pouvoir nager dans de l'eau fraîche quand on a été couvert de boue toute la journée. En dehors de ça, l'hôtel semble immense et vide. On attend longtemps notre dîner dans le restaurant avec vue panoramique. Détails amusants : les seuls autres occupants sont des militaires français. Nous les avons croisés à la piscine et reconnus à l'écusson aux couleurs nationales qu'ils portaient sur l'épaule. Ils sont aussi assez étonnés de croiser des compatriotes. Ils sont là avec des militaires ougandais sans doute à des fins de formation (mais nous n'avons pas demandé). Ils ont surtout l'air un peu déçus de ne pas avoir le temps de visiter plus le pays : ils ont fait quelques tours dans le parc Queen Elizabeth mais n'ont vu que des antilopes, ils rêvent d'éléphants... Grâce à eux, comme ils arrivent nombreux le matin au petit dej (il n'y a que 2 français, les autres sont ougandais), nous auront le droit à des Samosas et des muffins en plus du buffet un peu succin.
L'aventure de la voiture dans la boue est terminée. Maintenant, on veut rattraper notre retard et rejoindre le parc. Depuis la belle baie vitrée de l'hôtel, nous avons vu ce qui nous attend : la longue plaine, la savane. Derrière nous, la haute montagne du Rwenzori, les forêts et les collines verdoyantes que nous quittons à présent.