Bequia
Pour notre dernière journée à Saint-Vincent, nous partons visiter l'île de Bequia. Nous connaissons maintenant bien le chemin jusqu'à l'arrêt de bus et sommes habitués à ces petits vans surpeuplés qui transportent les locaux et touristes courageux pour 1 EC dollar. Le bateau pour Bequia s'appelle "express" mais avance lentement et met plus d'une heure pour rejoindre l'île. Nous longeons la côte sauvage avant d'apercevoir les maisons toutes installées à l'intérieur d'une baie. Descendus du bateau, nous sommes assaillis par les chauffeurs de taxi et nous dirigeons vers l'office du tourisme, petite maison à la sortie du port.
Nous avons finalement pris un taxi, nous traversons la jolie île pleine de verdure, croisant des vaches et des hôtels. Le taxi nous dépose au "sanctuaire des tortues", la plage n'est pas loin, il reviendra nous chercher cette après-midi pour reprendre le bateau. Un vieux blanc à la peau tannée vient nous accueillir. C'est lui qui gère l'endroit et on le sent plein d'une tendresse paternelle pour la moindre de ses tortues. Il récupère les bébés tortues encore vulnérables sur la plage pour les élever et les relâcher au bout de quelques années quand ils ont atteint une taille raisonnable et échapper aux dangers de la prime jeunesse. Les tortues sont installées dans des bassins en fonction de leur taille. Les plus petites ne font que un ou deux centimètres de diamètre, les plus grandes plusieurs dizaines. C'est avec de la peine que l'homme nous montre les tortues qu'il ne pourra pas remettre à l'eau : à l'une, il manque une patte, l'autre a une déformation, elles n'auraient aucune chance dans l'océan. Avant de relâcher ses bêtes, il leur fait une petite marque sur la carapace : deux petits trous au niveau de la queue. Les plongeurs peuvent alors lui dire chaque fois qu'ils en croisent une et son rêve est d'en voir revenir une sur la plage pour la ponte. Nous observons encore les grandes bêtes avant de partir, leur tête qui ressemble à un bec est impressionnante, elles ne semblent pas toujours de bonne humeur et c'est avec prudence que je leur touche la carapace.
Nous marchons jusqu'à la jolie plage qui borde ce côté de l'île. Nous nous installons à l'ombre d'un cocotier près d'un bar fermé pour la basse saison. Il n'y a personne d'autre que nous. Au loin, les vagues de l'océan semblent se briser en entrant dans la baie, sans doute arrêtées par des rochers sous marins. La mer devant nous ressemble à une aquarelle qui aurait été peinte en grandes lames avec deux teintes de bleu : l'un plus foncé et l'autre turquoise. Alors que nous mangeons nos sandwichs, j'aperçois un grand oiseau se poser sur l'eau. C'est un pélican. Ils sont en fait trois. Ils passent la majeure partie de leur temps à se reposer sur un petit bateau. De temps en temps, ils volent dans le ciel avant de piquer vers les flots. Ils ne sont pas les seuls à pêcher et c'est impressionnant de voir tous ces oiseaux fondre d'un seul coup vers la mer, plonger et ressortir avec un poisson dans le bec. Nous n'avons pas la chance de pouvoir observer les poissons car l'eau est troublée d'algues et on ne voit rien avec le masque. Cependant, le lieu n'en est pas moins paradisiaque et l'après-midi coule doucement.
Le taxi revient nous chercher et nous montons à l'arrière de sa camionnette : le visage au vent, protégés simplement du soleil par son petit auvent. Nous avons encore un peu de temps avant de reprendre le bateau et nous nous baladons dans la petite ville de Port-Elisabeth. Les boutiques colorées se suivent le long de la mer, comme déposées au hasard des vagues, illuminées par le soleil. Dans un marché aux fruits, nous achetons des bananes et un avocat. Mais c'est un peu plus loin que nous prenons notre goûter. Un homme nous propose des noix de coco. Depuis que j'ai goûté l'eau de coco, les autres boissons me semblent avoir perdu leur attrait. L'homme coupe le haut de la noix encore fraiche avec un coutelas. Le fruit se transforme alors en coupe géante emplie de son jus. Il faut savoir que la noix fraiche ne ressemble pas du tout à celle que nous avons chez nous. Elle est beaucoup plus grande, de couleur jaune et de forme ovale comme un ballon de rugby. Son cœur n'a presque pas de chaire : en séchant, la noix perd son eau et dépose sa matière blanche le long de sa coque. L'eau que l'on boit dans la noix fraiche est très désaltérante, on l'appelle eau et non pas lait car elle n'a pas cette texture crémeuse qu'on lui connait par la suite. Elle est d'une douce tiédeur, d'un goût très délicat, sucré et fruité. Une fois la noix bue, l'homme la fend en deux avec son coutelas et l'on peut racler la très fine chaire blanche, un peu caoutchouteuse, qui a déjà eu le temps de se déposer. L'ensemble forme un met si délicieux, naturel et doux qu'il me fait passer l'envie d'une glace ou tout autre chose qui paraitrait alors artificiel. Nous retournons au bateau et quittons la jolie Bequia. Ce soir, nous dormons à nouveau à Saint-Vincent avant de continuer notre voyage.
Saint-Vincent
Nous arrivons à Saint-Vincent le jeudi 21 au matin par l'avion de 7h45. Nous passons vite les formalités d'entrée car il y a très peu de passagers : l'avion n'est déjà pas très grand, mais en plus il repart vers Tridinad et tout le monde ne descend pas. Cependant, le voyage commence mal car il nous manque un sac, oublié ou perdu par la compagnie aérienne lors du très court trajet. Après avoir rempli les papiers, nous prenons le taxi pour rejoindre notre hôtel, Crystal Heights. C'est une belle maison, au bout d'une pointe sur une colline entre l'aéroport et la ville. A nouveau, nous sommes les seuls clients. Nous avons un grand appartement et une vue splendide sur la mer et les îles des Grenadines, en particulier celle de Bequia dont les falaises surplombent la mer à quelques kilomètres à peine.
Arrivés tôt, la journée est surtout consacrée au repos, nous prenons un bon petit déjeuner sur le balcon avant de faire une sieste à l'appartement. La première expédition de la journée est destinée à aller faire des courses. Nous marchons avec entrain, remontant la colline pour rejoindre le petit supermarché. Depuis la route, nous admirons la magnifique vue sur la baie en contre-bas, la mer est d'un bleu très sombre qui tranche sur le ciel plus clair et les collines recouvertes de végétation. Notre hôtel est situé dans un agréable quartier résidentiel et nous passons à côté de petites villas colorées, aux jardins remplis d'arbres fruitiers et de fleurs exubérantes. Parfois, nous croisons une chèvre attachée à son piquet ou quelques poules au regard vide. Nous arrivons à la petite supérette et y achetons de quoi nous cuisiner plusieurs repas. Nous prenons aussi des fruits, dont des pommes cannelles que nous mangeons en marchant. La pomme cannelle ressemble à une petite grappe verte. Du centre du fruit, partent de petites alvéoles qui contiennent une graine noire et se terminent par de gros boutons râpeux. Mais ce qui nous intéresse, c'est la chaire blanche et sucrée qui entoure la graine et qui fond doucement dans notre bouche. Si à l'aller, le chemin a paru simple, au retour, nous nous perdons, grimpant la mauvaise colline et errant sans fin, montant et descendant des rues qui se ressemblent et semblent se jouer de nous. C'est épuisés et assoiffés que nous retrouvons notre appartement. La préparation du repas et sa dégustation nous prennent une bonne partie de l'après-midi et c'est assez tard que nous nous décidons à ressortir. Il nous faut retourner à l'aéroport chercher le sac qui a réapparu. Nous y allons à pied, il faut cette fois descendre la colline. En bas, les habitants semblent plus pauvres. Les maisons sont beaucoup plus modestes, parfois construites de bois et de tôle. Quelques enfants jouent dehors qui nous regardent avec curiosité. Revenus de l'aéroport, nous passons la soirée à l'appartement, terminant calmement cette première journée à Saint-Vincent.
La deuxième journée n'est pas beaucoup plus active. Nous avons tout de même le courage de descendre à la petite plage en bas de la colline. La mer vient caresser le rivage en jolies vagues rondes et frappe les rochers qui entourent la baie. Plusieurs familles locales se baignent tranquillement. A peine arrivés, nous voilà entourés de plusieurs petits gamins. Assez vite, je comprends ce qu'ils veulent. Ils ont vu les masques et tubas dans nos sacs et me supplient de leur les prêter. J'accepte sans remords car je ne pense pas en avoir l'utilité sur cette plage là. Une fois dans l'eau, alors que certains jouent avec les masques (il nous faudra attendre qu'ils aient tous eu leur tour avant de partir), d'autres viennent me parler. Ils crient tous en même temps avec un très fort accent et le bruit des vagues couvre leurs voix : en fait je ne comprends rien à ce qu'ils me disent. Ils veulent jouer avec moi et le plus jeune d'entre eux qui doit avoir 4 ou 5 ans saute dans mes bras et s'amuse avec moi dans les vagues. Il est attachant et comme il est plus près de moi, je comprends mieux ce qu'il me raconte, en particulier la description de ma couleur de peau : "White, red and spotty". Nous prenons plusieurs photos des petits et de leur famille, les laissons jouer longtemps avec les masques et partons sans leur promettre de revenir le lendemain comme ils le voudraient.
Plus tard dans l'après midi, nous descendons à Kingstown pour la première fois. C'est la femme de ménage qui nous accompagne à pied et qui nous donne de très nombreuses explications sur comment prendre le bus au retour même si cela reste assez peu clair pour nous. La ville de Kingstown est en fait assez petite, les habitations s'étalent sur les collines alentour et le centre ne se concentre que sur trois rues parallèles animées aujourd'hui de multiples étals de marché divers vendant des fruits, des boissons à emporter ou encore des Cds et DVDs. Les bâtiments sont de tailles et couleurs inégales, ils renferment surtout des commerces et des administrations, les habitations étant plus loin. Nous ne restons pas longtemps, juste le temps de faire tamponner le permis de Sébastien et de vérifier les horaires de bateaux.
La vraie découverte de l'île commence le samedi grâce à la voiture que nous avons louée pour le week-end. Aujourd'hui, nous avons décidé de remonter la côte atlantique. Nous roulons donc vers l'est, traversant le sud de l'île. Nous sommes passés par l'intérieur des terres car nous souhaitions voir d'anciennes inscriptions des indiens caraïbes. Le plus intéressant est de chercher ce lieu car nous prenons une multitude de petites routes sur lesquels nous nous perdons et demandons notre chemin : les habitants de Saint-Vincent sont particulièrement sympathiques et toujours prêt à nous aider. Nous finissons par trouver l'endroit mais découvrons qu'il faut marcher une demie heure et payer un guide : nous abandonnons le projet. Nous rejoignons donc la côte et montons vers le nord.
La route longe l'océan, découvrant de magnifique panoramas sur les imposants rouleaux qui viennent s'éclater contre la côte. Arrêtés sur une magnifique plage, nous admirons la mer puissante balayer la plage de son écume blanche. Les arbres à terre et les débris témoignent de la violence des derniers ouragans. Nous traversons la ville de Georgetown qui étale ses maisons poussiéreuses le long de la côte pleine de vent. Nous continuons plus au nord où la route devient plus étroite et grimpe dans les collines. A chaque sommet, un nouveau panorama incroyable nous attend, la houle bleue sombre vient se briser contre les falaises et pénètre encore puissante dans les baies agitées de ses caprices. Les collines la surplombent, tranchant entre la mer et le ciel par le vert vif de leur végétation tropicale. Au bout d'une route sablonneuse parsemée de quelques modestes petites maisons, nous arrivons à "Salty Pound". En haut de la colline, voici d'un seul coup un magnifique petit parc : l'herbe y est bien coupée, des tables ombragées attendent sous les arbres, des enfants jouent sur des balançoires. Il est étonnant de trouver un si joli endroit dans un coin qui semble si reculé et loin de tout. En contre bas, nous apercevons la plage. La pointe rocailleuse s'avance dans l'océan et les rochers ont formé un petit étang d'eau de mer à l'abris de la fureur des vagues. Le bassin n'est pas bien grand mais il est assez profond par endroit, assez pour ne plus avoir pied et même plonger comme le font certains. L'eau y est turquoise et peuplée de petits poissons. La chose la plus agréable à faire est de s'accrocher au rocher qui nous sépare de la mer et d'attendre qu'une grosse vague vienne nous rafraîchir de son écume blanche telle une chute d'eau éphémère. Plus tard, j'irai aussi m’asseoir plus près de l'océan pour voir les magnifiques rouleaux et attendre qu'ils m'éclaboussent gentiment. Nous quittons ce petit paradis juste à temps pour arriver chez nous à la tombée de la nuit.
Le dimanche, nous avons prévu une promenade dans la forêt. Il aurait fallu s'y rendre tôt le matin, mais paresseux et lents, nous n'arrivons là bas que vers 9h30. Le chemin traverse la forêt tropicale et surtout l'habitat du perroquet, animal protégé de l'île. Le chemin est facile à suivre, ce qui est rassurant car je ne voudrais pas me perdre au milieu de cette végétation incroyable. Les grands arbres nous surplombent, nous cachant le ciel de leur dense canopée. Il y a d'abord des pins qui ont été plantés là pour maintenir le sol, puis la forêt originelle, impressionnante de diversité et de vie. J'ai vu le monde minéral en Islande, je suis ici dans celui du végétal, le chemin est parcouru des racines entrelacées des arbres qui sillonnent le sol telles des doigts osseux. Les fougères poussent partout recouvrant la terre de leurs larges feuilles. Les arbres montent haut dans le ciel, d'autres plantes poussent le long de leurs troncs et tout semble lié par des lianes et des branches. Nous entendons les perroquets mais nous ne les voyons que peu et nous devons nous contenter de quelques battements d'ailes dans le ciel. La pluie nous surprend sur le chemin du retour, la forêt bruisse de toute part, les feuilles tremblent et la terre devient glissante. Nous accueillons avec bonheur l'eau fraîche sur nos visages.
Pour la suite de la journée, nous décidons de rejoindre une plage. Nous continuons sur la côte caraïbe et prenons une route un peu au hasard dans un petit village. Nous contournons une colline en sautant sur des bosses et des trous jusqu'à ce qu'une magnifique baie apparaisse en contre bas. La plage est déserte, il semble qu'il y ai eut un projet d'hôtel ou de maisons mais qui a l'air abandonné. Nous nous installons à l'ombre sur une table de pique-nique en mauvais état. Les petits crabes sortent de leurs trous pour nous saluer. La baie est entourée de rochers, l'eau est calme et transparente, c'est parfait pour sortir nos masques et tubas. Et en effet, quelle vie sous la surface ! Nous voyons quantité de poissons, de formes et couleurs extravagantes. Ils nagent en groupe juste en dessous de nous. Leur tête est souvent colorée différemment du reste de leur corps : bleu et jaune, gris et rouge, ... Certains sont rayés ou tachetés de paillettes. Nous en voyons des très long qui ont comme un bec de couleur au bout de leur corps. Et puis, il y a les coraux. On en voit des blancs qui forment comme de grosses boules décorées d'arabesque. Ceux que je préfère sont les jaunes qui ressemblent à des cheminées futuristes. Nous passons l'après-midi à nager, à nous reposer sur le sable, à barboter dans l'eau. Le temps semble arrêté et notre seul souci est de nous protéger du soleil qui tape avec une force impressionnante.
Nous repartons vers la ville en fin d'après-midi et admirons le soleil couchant à Fort Charlotte. Depuis cette pointe au dessus de Kingstown, on peut voir plusieurs îles des Grenadine ainsi qu'une vue magnifique sur le reste de l'île. Nous suivons un guide dont le rythme lent et amical convient bien à l'ambiance du pays. Nous sommes dans un ancien fort construit par les anglais. Il faut savoir que Saint-Vincent a été pendant longtemps le refuge des indiens caraïbes qui fuyaient les autres îles envahies par les français et les anglais. L'île a aussi servi de retraite aux esclaves échappés de la Barbade qui ont d'abord été accueillis par les caraïbes. Leur métissage a donné ceux qu'on a appelés les "Black Carribs". Mais des tensions ont éclatées entre les anciens esclaves et les indiens caraïbes, ce qui fait que ces derniers ont fini par s'allier avec les français qui voulaient reprendre le contrôle de l'île. La défaite de de la France face à l'Angleterre a ensuite fait leur malheur car ils sont toujours restés hostiles aux anglais et ont fini par être déportés vers l'Amérique centrale. L'histoire des indiens caraïbes et de l'esclavage est passionnante, j'en découvre en ce moment une partie en lisant le Voyage aux Iles du père Labat. Et voilà que nous terminons notre séjour à Saint-Vincent, île sauvage où la vie coule le long des petites rues colorées et où les habitants vous saluent pleins de sourires. Le tourisme y est assez sous exploité car les Grenadines attirent tous les regards. Mais pourtant, elle vaut le coup d'être parcourue et j'en garderai un très agréable souvenir.
Sainte-Lucie
Nous quittons la Martinique le lundi 18 juillet. L'ambiance du carnaval qui dure depuis déjà trois jours à Sainte-Lucie nous rattrape dès le bateau et c'est au son des tambours et des maracasses que nous nous éloignons de Fort de France. La ville disparaît dans la brume avec en toile de fond les hauts pitons plein de nuages. Nous longeons la côte sud de l'île jusqu'à la pointe du Diamant avant de partir vers le large.
Quel plaisir pour moi de me tenir sur la rambarde, la tête dans le vent et les yeux dans les vagues. Elles se gonflent maintenant que nous avons quitté la baie, formant des montagnes et vallées éphémères d'un bleu profond. Certaines viennent se briser contre le flanc du bateau, éclaboussant mon visage de leur écume salée. Et voilà qu'au milieu de l"azure apparaît une forme brune, c’est une baleine ! Nous n'avons que quelques secondes pour apercevoir son dos lisse et sa queue qui replonge immédiatement dans les profondeurs au milieu des cris émerveillés des passagers. Ce que nous voyons plus souvent, ce sont les poissons volants. Ils bondissent des vagues par dizaine formant de petites taches blanches d'écumes puis ils déploient leurs ailes argentées et volent plusieurs mètres avant de retourner dans l'eau. Les plus petits font penser à des libellules virevoltantes, les plus grands ont le charme des oiseaux et on les suit des yeux très longtemps avant qu'ils ne se décident à plonger de nouveau.
Sainte-Lucie n'est d'abord qu'une ombre sur l'horizon puis la voilà qui se dessine plus clairement et que ses côtes aguicheuses ne nous accueillent dans le soleil et la clameur de la fête. Les formalités prennent un temps fou et chargés comme nous sommes, nous prenons ensuite un taxi pour rejoindre directement notre hôtel laissant le carnaval pour plus tard. La Casa del Vega est une charmante petite maison accrochée sur le flanc d'une colline verdoyante en bordure de la ville de Castries. Nos deux chambres donnent sur un grand salon et un balcon que nous avons uniquement pour nous car nous sommes les seuls clients de l'hôtel en cette basse saison. A l'étage, nous avons encore un autre salon où la vue sur la mer est encore plus belle. Du bas de l'hôtel, descend un chemin de pierre dans la magnifique végétation vers une jolie petite plage que, là encore, nous n'avons à partager avec quiconque. En fait, c'est du grand luxe mais à prix plus que raisonnable ! Fatigués par le bateau, nous profitons de la plage et nous reposons devant le soleil couchant...
En début de soirée, le gérant de l'hôtel nous dépose en ville. Nous découvrons Castries un soir d'après carnaval ce qui n'est sans doute pas son plus beau visage. Les festivités sont terminées mais la foule est encore là et nous marchons, perdus, dans les rues pleines de monde et jonchées de bouteilles vides, d’emballages divers et des restes de la fête. Nous croisons des danseuses au regard las qui rentrent chez elles dans leurs costumes chatoyants. Des musiques criardes jaillissent des bars et se mêlent dans la rue en un brouhaha indéfinissable. Il fait déjà nuit, une nuit suave et chaude, habillée par la foule et le bruit. Seul moment de répit, quand nous buvons l'eau de coco directement dans la noix vendue sur le bord de la rue. Épuisés, nous finissons par nous installer sur une table où nous mangeons du poulet grillé acheté dans une échoppe. Les Sainte-Luciens semblent sympathiques et nous abordent, certains pour mendier ou nous proposer un taxi mais d'autres juste par curiosité. Cependant, entre l'alcool, l'accent créole et le bruit ambiant nous ne comprenons que rarement ce qu'ils nous disent.
Nous rentrons tôt à l'hôtel, réussissant sans peine à prendre le bus local puis à nous faire déposer en haut de la colline. Il faut dire que le créole de Rébecca rend beaucoup plus simples les négociations car nous passons du statut de simples touristes à celui d'initiés. Le lendemain, nous passons la matinée à nous reposer dans notre petit paradis. Depuis notre plage de cailloux, recouverte de coraux et de pierres volcaniques, nous pouvons nager au dessus des rochers dans l'eau claire. Avec nos masques et tubas, nous entrons alors dans un autre monde, observant cette vie insoupçonnée tels des voyeurs indiscrets. Les petits poissons colorés nagent entre les rochers sur lesquels vivent des coraux et éponges aux formes improbables. Les grands oursins se nichent toujours dans les creux et nous sommes bercés par le bourdonnement de l'eau dans nos oreilles et le bruit de notre propre respiration.
C'est un autre bruit, beaucoup plus fort et rythmé qui nous attend l'après-midi, celui du carnaval. Déposés en bas de la colline, nous commençons à suivre le défilé. Les femmes sont habillées de sortes de petits bikinis dévoilant leurs corps au soleil de l'après-midi, ils sont décorés de milles brillants et franges colorées et c'est à celle qui étincellera le plus. Elles ont parfois des coiffes de plumes et des bas colorés. Elles dansent comme des folles sur la musique crachée par de gros camions. Les hommes sont habillés plus sobrement, souvent torse nu, avec simplement une ceinture ou un collier de couleur mais ils ne sont pas en reste sur la danse. C'est un véritable déchaînement de corps, de hanses et de fesses qui se remuent et se frappent. Dans son Voyage aux Iles, le père Labat décrit l'amour des esclaves d'Afrique pour la danse. Une en particulier lui pose problème par son indécence : les homes et les femmes s'y tapent les cuisses dans des postures inconvenantes. Les propriétaires blancs font ce qu'ils peuvent pour interdire et empêcher cette danse mais le père Labat se rend bien compte que leurs efforts sont inutiles. En voyant défiler le carnaval ou quand par ailleurs on voit danser le zouk, on se dit que oui, les efforts ont été inutiles et que c'est cette même danse que l'on voit aujourd'hui et qui fait partie intégrante de la culture antillaise.
Il faut faire officiellement partie des danseurs pour pouvoir participer au coeur du défilé. Nous marchons donc un peu plus loin, pris malgré nous par la musique et le rythme envoûtant. Nous finissons par trouver un petit coin ombragé où nous nous asseyons pour profiter du spectacle. Si au premier abord, le défilé semble un peu chaotique, il est en fait organisé en différents groupes qui défilent devant un jury pour gagner un prix. Les groupes se distinguent par leurs costumes qui ont tous une unité de couleur, ici les verts et or, là les rouge et noirs, là encore les bleus ou les violets. Certaines sont de véritables reines du carnaval, parées des plus beaux atours, tissus et couronnes, le visage maquillé et recouvert de paillettes. Les danses aussi suivent des codes, et le groupe entier se met parfois à courir dans une direction avant de reprendre le rythme effréné de la danse. Le défilé semble ne jamais vouloir s'arrêter, les groupes s’enchaînent avec une énergie inépuisable. On peut acheter des boissons fraîches dans des petites échoppes mais les danseurs assoiffées les reçoivent gratuitement de leurs sponsors depuis les camionnettes qui les suivent. Brûlant sous le soleil, ils se versent l'eau sur la tête mais on leur sert aussi de la bière ce qui explique l'état un peu étrange de la ville et de ses habitants le soir.
Enfin, le défilé se termine. Il ne reste plus que la rue sale et délaissée. Nous marchons vers la ville où le soir tombe doucement. Dans la rue principale, la musique jaillit encore des camions et les danseurs inépuisables remuent leurs corps plein de sueurs dans les dernières pulsassions de la fête. Nous quittons la ville à l'heure où nous l'avions trouvée hier, dans son aspect hébété de quelqu'un qui a bu toute la journée et dont l'esprit remue dans les vapeurs d'alcool entre fatigue et excitation.
Nous avons pris le bus pour Rodney Bay, écrin à touristes au rues pourléchées et proprettes. Nous y cherchons la plage pendant longtemps puis nous nous écrasons dans un restaurant bon mais cher avant de rentrer fatigués à notre hôtel. Le mercredi est notre dernière journée à Sainte-Lucie ce qui est bien peu pour découvrir le reste de l'île. Nous avons loué une voiture et roulons jusqu'à la ville de la Soufrière. Nous traversons les plantations de bananes, les collines exubérantes de végétation, les villages de pécheurs au charme désuet. La ville de la Soufrière apparaît au creux d'une baie surplombée de ses deux pics rocheux qu'on appelle pitons et qui se dressent entre le ciel et la mer avec une force effrayante. La ville elle même est très calme et l'on est bien loin de Rodney Bay quand on se promène dans ses rues au rythme lent traversées par des poules et des cris de chèvres. On voudrait faire quelque chose d'original, mais on ne nous propose que les mêmes pièges à touristes visités par la farandole incessante des taxis. Et puis, nous sommes fatigués et il est tard pour une vraie balade. Nous nous contentons du jardin botanique, marchant tranquillement au milieu des fleurs tropicales. Il mène au bain de souffre que prenait la femme de Napoléon, Joséphine, mais il faudrait encore payer pour s'y baigner et le jeu n'en vaut la chandelle. Enfin, nous finissons l'après-midi sur une plage indiquée par le guide. Nous pensions trouver un lieu sauvage et nous sommes en fait sur la plage ultra aménagée d'un hôtel mais le lieu est agréable et même si nous avons l'aird'intrus, nous restons sous une vague tente qui semble posée là par hasard et dont l'ombre est gratuite. Il faut dire que nous sommes à côté de l'un des plus beaux hôtels de l'île et peut-être même du monde ! Si jamais j'ai un jour de quoi me payer des nuits à 1000 dollars, je prendrai une de ses suites magnifiques qui semblent directement faire partie de la nature environnante, se confondant au paysage et surplombant la mer dans ce coin perdu... Mais nous retournons à notre petit hôtel de Castries, qui est un paradis beaucoup plus abordable.
C'est dans l'imprévu que l'on trouve les rencontres les plus incongrues. Alors que nous avons besoin de provisions pour le petit-déjeuner, Sébastien et moi descendons de la voiture dans un village appelé Canaries. Là, un homme s'offre d'être notre guide et nous balade à travers tout le village pour trouver des beignets et du jus de fruit. C'est sur la route des touristes, mais personne ne s'arrête jamais ici. Les Saint-luciens nous saluent amicalement, ils semblent tous être dans la rue à mener leurs affaires courantes tandis que les enfants courent et jouent. Les maisons sont jolies et colorées, certaines en pierre se dressent telles de belles villas, d'autres sont plus modestes et en bois mais ne manquent pas de charme. Nous trouvons tout ce dont nous avons besoin, sur le chemin du retour, nous croisons une grosse fille avec une bassine sur la tête qui alpague le guide en créole. Elle nous propose ses mangues, les 6 d'un coup, sans doute celles qu'elle n'a pas pu vendre, à un prix dérisoire pour nous mais intéressant pour elle. Nous disons au revoir à notre guide et lui donnons un peu d'argent à lui aussi avant de quitter ce lieu devant lequel tout le monde passe sans savoir qu'il existe.
Le soir nous dînons à Gros-Islet, agréable petit village à quelques kilomètres à peine du touristique Rodney Bay mais quiest cette fois un vrai village. On y trouve des restaurants à des prix beaucoup plus abordables. Et voilà que déjà, nous devons quitter l'île par un avion le lendemain à une heure beaucoup trop matinale. Deux jours ne sont pas suffisants pour la découvrir mais le voyage continue. J'ai été marquée par ses contrastes, entre les hôtels de luxe et les maisons de pêcheurs, entre le calme des village et la folie du carnaval, c'est une île difficile à saisir qui me laissera un souvenir marqué par la folie de la fête.