Nous quittons Tbilisi le dimanche matin. Trouver la location de voiture, sortir de la ville, tout ça ne pose pas trop de problèmes. Les yeux rivés sur le GPS, c'est à peine si je remarque les piteuses barres d'immeubles que forment les banlieues que nous traversons. Assez vite, nous voilà sur une petite route au milieu d'une plaine desséchée. Nous croisons des vaches et des moutons. Sur le bord de la route, des vieilles dames vendent des fruits. Nous traversons des villages tristes et pauvres. Assez vite, nous arrivons à la frontière. D'abord, il faut sortir de Géorgie, nous patientons avec la longue file de voiture. En fait, seul le conducteur peut passer avec le véhicule. Moi, il faut que je sorte et que j'aille faire la queue avec les piétons. Je retrouve Seb de l'autre côté, nous sommes dans "l'entre deux". Dans ce noman's land, on ne trouve qu'une petite boutique d'alcool duty free et rien d'autre. Nous avions l'espoir d'acheter de quoi nous nourrir ce midi car nous n'avons rien vu de convaincant depuis Tbilisi ce matin. Bon, il nous faudra nous contenter de nos gaufrettes et graines de tournesol... A nouveau, on fait la queue pour entrer en Arménie. Aucun problème, il n'y a plus besoin de visas, et un simple tampon sur nos passeports suffit. Mais ce n'est pas fini, il faut maintenant s'occuper de la voiture. Dans un petit bureau, nous donnons tous les papiers à un fonctionnaire affable qui nous montre des photos de lui sous la tour Eiffel. On reçoit de nouveaux papiers et de nouveaux tampons et on peut enfin sortir. Nous voilà donc en Arménie dans l'agitation poussiéreuse de la ville frontalière. On s'occupe encore de quelques formalités : changer quelques euros pour avoir de l'argent arménien, acheter une assurance pour la voiture et une carte pour le téléphone de Seb (ça marche, il est très content). Nous n'avons toujours pas mangé et l'après-midi est déjà bien entamée. Nous avons un peu faim mais nous en avons assez de cette errance dans la fumée des pots d'échappement, on veut surtout quitter cet endroit et reprendre la route. En tout, la frontière nous a bien pris deux heures ce qui me semble plutôt raisonnable. Je sais bien qu'une frontière terrestre avec un véhicule n'a pas grand chose à voir avec les formalités aseptisées des aéroports. Et puis l'essentiel, c'est qu'on soit de l'autre côté, nous sommes en Arménie !!
De ce côté là, le paysage devient tout de suite beaucoup plus joli (n'en déplaise aux géorgiens). Nous longeons une rivière entourée de verdure et de petites collines. Ici aussi , il y a des vaches et des moutons (plus ou moins sur la route) et des vieilles dames qui vendent des fruits. Bientôt, les collines deviennent plus importantes et nous roulons au fond d'une gorge entre de hautes parois rocheuses. C'est le canyon de Debed où nous souhaitons passer la nuit. Nous arrivons dans la ville d'Alaverdi. Ville minière flanquée d'affreuses constructions soviétiques, son abord est un peu triste et sordide. Nous dépassons une large usine désaffectée et des immeubles gris décrépits. Autour, le paysage est splendide. Un peu après la ville, nous prenons la route du village d'Odzun dont parle notre guide. Il nous faut trouver un endroit où dormir et le village semble un meilleur pari que la ville. Nous serpentons le long de la falaise découvrant de magnifique panoramas sur la rivière et la vallée. En haut, surprise, nous voilà sur un immense plateau : il y a des champs et des animaux qui paissent tranquillement. Nous arrivons au village. Il est relativement grand, modeste mais pas misérable. Visiblement, il doit vivre de l'agriculture et de l'élevage car nous croisons de nombreuses granges pleines de foin. Le guide parlait d'un B&B près de l'école. Nous trouvons l'école mais pas le B&B. Nous suivons alors un panneau indiquant "hôtel". Lorsque, ce faisant, nous sortons du village sur une route cabossée, nous perdons un peu espoir. Mais un groupe de jeunes filles nous indique la direction d'un air très convaincu en répétant "hôtel, hôtel". Nous continuons, légèrement circonspects. Qu'allons nous donc trouver ici ? On roule encore quelques centaines de mètres au milieu des bosses, des trous et des bouses de vaches. Nous passons une première grille toute défoncée, puis une seconde en meilleur état, et d'un seul coup, derrière les arbres, apparait un joli petit bâtiment. Il y a donc bien un hôtel, et mignon en plus, les jeunes filles et le panneau avaient raison. Un homme arrive, il ne parle pas anglais mais la situation est plutôt simple. Il nous amène à notre chambre, en fait, un véritable appartement avec deux chambres et un salon. Surtout, il y a un grand balcon avec une vue grandiose sur le plateau et la vallée. Avec le petit-déjeuner, cela coûte un peu plus de 40 euros... Pour monter à la chambre, on emprunte un petit escalier au milieu d'un parterre fleuri avec des petites fontaines. L'hôtel est au coeur d'un verger de pommiers, on croirait un petit paradis. Il y a même une piscine ! Plus tard, nous grignotons à nouveau nos graines de tournesol sous une tonnelle au bord de l'eau tandis qu'une petite dame nous sert du thé. Je me baigne dans l'eau froide : il ne fait pas très chaud et il y a des mouches mortes à la surfaces mais après une journée de route, je trouve si agréable de nager.
Malheureusement, après s'être un peu reposés, il nous faut repartir. Il faut retourner à Alaverdi pour tirer de l'argent et puis il faut trouver un restaurant car nous commençons à avoir vraiment faim. Pour la banque, c'est facile mais on avait un peu plus peur pour le restaurant... Et pourtant, oh miracle, il apparait sur la route : un grand bâtiment que nous n'avions pas vu à l'aller d'où s'échappe une musique tonitruante. Une jeune serveuse nous amène sur une petite terrasse en bois. Le menu est à 6 euros, il comprend des crudité, du fromage et de la viande grillée. Trop heureux, nous profitons de notre repas copieux et inespéré. Les musiciens sont sur l'autre terrasse. Sur un rythme qui ne finit jamais, ils enchainent avec entrain des reprises de vieux tubes américaines mélangées de chansons arméniennes. Lors d'une de leurs pauses, l'un d'eux vient nous voir. Il est très heureux que nous soyons français et répète "Parish, Parish !" en souriant. Puis il insiste pour nous offrir des shots de vodka et trinquer avec nous : voilà pour l'accueil légendaire des arméniens ! Nous rentrons assez tôt à l'hôtel pour ne pas avoir à retrouver le chemin de nuit et, dans ce cadre magnifique, nous passons notre première nuit en Arménie.
Le lendemain, nous attendons patiemment l'heure du petit-déjeuner assis au soleil au milieu des pommiers. Nous sommes loin d'être les seuls dans l'hôtel, il y a tout un tas de famille mais mes piètres compétences linguistiques ne me permettent pas de savoir s'ils sont russes ou arméniens. Enfin, il nous faut quitter ce bel endroit et reprendre la route. Nous commençons par visiter l'église du village qui date du Vème siècle. C'est un magnifique petit bâtiment qui se cache un peu derrière des échafaudages car il est en réfection. Nous croisons un couple de français et écoutons un peu les explications de leur guide. En discutant avec eux, nous apprenons qu'ils font le tour de la mer noire et vont bientôt passer en Géorgie. Ensuite, nous visitons deux monastères du Xème siècle proches d'Alaverdi. A chaque fois, ils sont perchés en haut des falaises et il faut gravir des routes en lacets au dessus de la vallée. L'un d'eux est à côté d'une petite ville qu'on avait déjà remarquée : elle est aussi laide qu'Alaverdi mais au sommet du plateau. D'en bas, on voit dépasser ses horribles immeubles, on dirait une cité HLM plantée en haut d'une montagne. Les monastères, eux sont magnifiques. On ne peut pas tout voir car certaines parties sont en travaux. Mais, même de l'extérieur, les églises ont un charme fou avec leurs grosses tour ronde et les petits transepts qui les entourent. Ils sont de jolis écrins au coeur de ce paysage montagneux fait de pâturages et de forêt où le canyon se découpe entre les plateaux comme une longue cicatrice. Autour de chacun d'eux, on trouve une foule de petits marchands pour touristes : des vieilles dames nous alpaguent voulant à tout prix nous refourguer des chaussettes en laine, des cartes postales, ou des pots de confiture. A l'une d'elle, nous achetons des petits gobelets remplis de mures. C'est la saison, on en trouve partout sur les routes. Nous les dégustons tranquilles, au soleil, en fuyant les guêpes.
Enfin, nous repassons une dernière fois par Alaverdi : on a l'impression de passer notre temps à traverser cette ville. A force, sa laideur parait supportable, et elle a même un peu de charme dans son activité quotidienne. Aujourd'hui, nous ne nous laisserons pas surprendre et achetons de quoi subsister. Puis nous laissons derrière nous les noirs immeubles pour descendre vers le sud. Nous ne roulons pas longtemps, le guide indique un petit monastère caché dans un hameau. Une route de cailloux nous mène à une gare déserte. D'après notre guide, il doit y avoir derrière la voie ferrée un escalier de pierre qui montre vers le monastère. Nous avons beau chercher et marcher dans les hautes herbes, nous ne voyons rien. Il y a bien un mur la haut, mais rien pour l'atteindre que de la végétation hostile et des rochers abrupts. Derrière une petite grille, nous croyons repérer un début de chemin. Nous commençons à le suivre. Bientôt il se transforme en vrai bourbier et devient de plus en plus impraticable. Nous nous obstinons, trop avancés pour faire demi tour. Ce n'est qu'une fois arrivés au niveau du mur que nous nous résignons : ceci n'avait rien à voir avec un escalier de pierre et d'ailleurs, il n'a même pas de monastère derrière ce foutu mur. Nous redescedons tant bien que mal dans la boue et herbes et retournons, dépités, à la voiture. Là, nous nettoyons en soupirant nos jambes pleines de terre et de griffures et mangeons, résignés, notre pain au fromage. Alors qu'on a fait demi tour sur la route de cailloux et qu'on s'apprête à partir, le voilà qui apparait, il est là, l'escalier en pierre ! Il était beaucoup plus proche de la route principale que ce que nous pensions, voilà pourquoi on le l'avait pas vu tout à l'heure. Bon, on ne va pas rester sur un échec alors même si nous sommes fatigués, on y va quand même. On arrive dans un petit hameau, on croise un cochon et des poules et on continue de monter.
Cette fois, il n'y a pas de boue ou de plantes qui nous griffent les jambes, mais ça reste fatigant. Enfin, nous voilà là haut, épuisés. Et le petit monastère est là, modeste trophée de notre quête absurde. Des jeunes filles, sans doute un chantier international, travaillent à le rénover en grattant patiemment la pierre brunie par le temps. Assez vite nous redescendons. Une dame nous a indiqué le chemin à l'aller et invité à prendre un café. Nous la rejoignons dans son jardin. Elle ne parle que très peu anglais mais on arrive tout de même à communiquer de façon minimale. Sa maison est toute petite, très modeste. Nous sommes installés dans son joli jardin où poussent des rosiers et des arbres fruitiers. Elle a aussi plusieurs ruches dont elle tire du miel. Une jeune femme est avec elle, c'est sa fille. Elle non plus ne parle pas anglais, elle est déçue que nous parlions pas russe et semble un peu taciturne. Mais la mère est très heureuse de nous avoir invité. Elle envoie sa fille nous préparer du café : elles nous le servent très épais et amer dans de petites tasses (je mets beaucoup de sucre car je ne suis pas habituée). Avec ça, elle nous offre du gâteau avec son miel maison et les fruits de son jardin. Nous acceptons avec plaisir. C'est un peu frustrant de ne pas parler la même langue mais nous pouvons tout de même leur montrer notre itinéraire sur la carte et leur dire que nous sommes français. Elles mêmes ont toujours vécu ici, dans ce minuscule hameau, difficile d'imaginer leurs vies. La mère vend peut-être certains produits de son jardin comme le miel. En tout cas, elle s'en occupe avec soin et profite des fruits et des légumes qu'il lui fournit. Peut-être que la fille travaille plus loin en ville, peut-être même qu'elle ne vit pas ici. Tandis que nous buvons le café, elle répond à son téléphone portable. La mère nous demande si nous sommes mariés et si nous avons des enfants. On répond que les enfants viendront plus tard mais que oui, nous sommes mariés (on ne va pas se lancer dans de grands discours sur l'union libre). Après ce petit goûter original nous quittons la mère et la fille avec une photo et plusieurs "au revoir, good bye, merci, merci, thank you".
Nous revoilà donc sur la route. Avec toute cette aventure, il est déjà presque 5h et nous ne sommes pas encore arrivés. Nous continuons vers le sud, quittant bientôt le canyon et dépassant la ville industrielle de Vanadzor. Nous roulons à nouveau dans la montagne mais le paysage est moins escarpé que ce matin. Il n'y a plus de hautes falaises rocheuses mais des forêts qui s'étirent en pentes douces. Nous arrivons à Dilijan. La ville semble s'étaler dans la montagne, nous avons du mal à trouver le centre. Après avoir tourné un certain temps , faisant demi tour sur demi tour, nous voilà enfin sur une rue un peu animée bordée de grandes bâtissent soviétiques. Les indications de notre guide étaient encore trop floues et nous n'avons pas trouvé les auberges qu'ils conseillaient. Qu'à cela ne tienne, nous suivons un panneau qui a une tête sympa et tentons notre chance dans une petite guesthouse à l'abord agréable. Et en effet, voilà une jolie petite maison avec un balcon et un petit jardin. De notre chambre, nous voyons la montagne. Un groupe de français est arrivé en même temps que nous. L'un d'eux est franco-arménien et fait la traduction pour son groupe et aussi pour nous. Comme eux nous commandons le dîner de ce soir à l'auberge. Une bonne douche chaude pour se laver de la boue restée collée sur nos mollets, puis une soupe au lait chaude sur le petit balcon dans la douceur du soir... Fin de cette première journée en Arménie.