Nous roulons encore un certain temps sur les jolies pistes qui parcourent les Crater Lakes. Quand la vue se dégage, nous admirons les pentes verdoyantes, couvertes de bananeraies et petites plantations, ponctuées de grands arbres à fleurs jaunes. A nouveau, nous traversons les villages, saluons les enfants, évitons les poules et les chèvres. Les maisons sont souvent simplement en terre cuite mais, même au milieu de nulle part, on trouve deux ou trois stands qui vendent du « airtime » : des recharges en forfait mobile. Ici, tout le monde n'a pas l’électricité ou l'eau courante mais les portables sont très répandus et le réseau étonnamment bon.
Après quelques kilomètres, nous quittons les zones agricoles et entrons dans la forêt de Kibale. Les premiers animaux que nous voyons sont les papillons : par milliers sur la route ils s'envolent en une multitude de petites pépites blanches à notre passage. Puis voilà un babouin : gros singe un peu balourd. Son visage allongé lui donne un air toujours un peu étonné. Très vite, on s’aperçoit qu'il n'est pas seul, loin de là. Toute une famille est installée au bord de la route. Ils sont au moins une vingtaine. Il y a de gros mâles qui roulent des épaules, des jeunes excités, des femelles qui allaitent leurs petits ou les tiennent accrochés sur leur ventre, des qui s'épouillent tranquillement. On avance lentement avec la voiture. Ils ne sont pas peureux, on peut les voir de très près avant qu'ils ne se décident à s'enfuir dans les fourrés. On en verra d'autres. En fait, pratiquement à chaque fois que l'on traversera une zone de forêt, on rencontrera des babouins.
Une fois sortis de la forêt, nous roulons encore un peu pour trouver notre lieu de résidence pour la nuit. Nous nous sommes décidés pour le « Chimp Nest », fléché au bout d'une piste boueuse. Pas de camping ce soir, nous prenons un bungalow. C'est un lieu un peu plus touristique que la veille, très charmant. Installés sur la terrasse en rotin, nous déjeunons tranquillement au milieu des papillons. Il y a une grande variation de prix pour l'hébergement. La veille, pour la nuit en tente, le repas du soir et le petit déjeuner, nous avons payé 100 000 shillings, soit environ 25 euros. Ici, pour la même chose (mais certes plus de confort) on paye 130 dollars américains, soit quatre fois plus cher, et nous ne sommes pas dans un établissement haut de gamme. J'ai reçu de l'université une grosse enveloppe de dollars pour me rembourser mon billet d'avion. Comme les deux monnaies (shillings ougandais et dollars américain) semblent avoir cours dans le pays, nous voyageons avec les deux et payons dans l'une ou l'autre des monnaies en fonction du prix. En gros, dès que la somme dépasse 200 000 shillings (50 euros), on nous la demande en dollars : sinon, on serait obligé de sortir des liasses de billets chaque fois qu'on passe la nuit dans un hôtel.
Pendant que nous déjeunons, nous discutons avec une touriste néerlandaise. Elle voyage seule à travers le pays en prenant les transport locaux. Elle est là pour plusieurs semaines. En fait, elle s’apprête à s'installer au Cameroun pour un an pour travailler sur des projets locaux liés à l'enseignement. Elle est venue en Ouganda pour voir d'autres projets de la même association et loge la plupart du temps chez des amis à travers le pays. Ce n'est pas sa première expérience africaine : elle a vécu deux ans au Nigeria. Elle projette de faire une certaine balade l'après-midi et comme ça m'intéresse moi aussi, je lui propose de venir avec elle en utilisant notre voiture. D'abord, nous allons poser notre valise au bungalow. C'est l'employé de l'hôtel qui nous la porte (sur la tête) car il faut marcher pendant plusieurs minutes à travers la forêt. En effet, on est installé à la bordure du parc national, notre balcon donne directement sur la jungle. L'auberge propose aussi des maisons dans les arbres à plusieurs mètres de hauteur mais on s'est contenté du bungalow classique, dans un lieu déjà bien sauvage. Nous avons interdiction de nous déplacer seuls dehors la nuit : ils ont peur que nous rencontrions des éléphants ou d'autres animaux sauvages. Nous trouvons ça plutôt excitant, mais je suppose que c'est aussi dangereux.
Enfin bon, pour l'instant il fait jour. Après avoir admiré la jolie petite chambre et sa salle de bain extérieure (mais joliment aménagée) nous remontons à la réception et retrouvons Ingrid pour partir vers la balade. Ce n'est pas très loin, 10 minutes en voiture à cause des bosses et des cailloux mais on pourrait y aller à pied facilement. La promenade en question est une randonnée guidée d'environ 2 heures à travers les marais. On marche dans la forêt ou le long des plantations, à travers de magnifiques clairières ou au dessus des marais sur des chemins en rondins, entourés de hauts roseaux et de papyrus. Et puis, nous voyons beaucoup d'animaux. C'est le guide qui les repère et nous les pointe. Le « must » du tour, ce sont les singes. Nous commençons par croiser à nouveau plein de babouins. Ils sont si peu farouches que nous manquons de nous cogner sur l'un d'eux, installé sur sa branche, qui n'a pas jugé nécessaire de s'en aller à notre arrivée. La plupart du temps, ils s'enfuient tout de même en courant et sautant ce qui est très amusant. Les autres espèces sont plus difficiles à observer: ils sont plus petits et restent lointain, dans les arbres. On les repère à leurs queues pendantes avant de remarquer qu'ils sont très nombreux et bondissent de branches en branches. Nous observons aussi les oiseaux. Celui que l'on voit le plus est un espèce de gros faisan bleu très joli, un Touraco bleu, mais il y en a plein d'autres que le guide nous nomme et dont j'oublie les noms.
Forêt humide, chaleur, soleil, nous rentrons en nage à l'auberge et apprécions la douche fraîche. La salle de bain est directement accessible depuis la chambre mais elle est tout de même à l'extérieur, elle n'a pas de toit ! Quand on prend sa douche, on a l'impression d'être nu dans la jungle... Nous remontons dîner assez tôt car à la nuit tombée, nous partons faire un « night walk » dans la forêt. Ingrid est à nouveau avec nous. Le guide nous prévient : il n'y aucune assurance de voir quelque animal que ce soit lors d'une promenade nocturne, c'est une question de chance. Nous avons chacun notre lampe de poche et le suivons dans l'obscurité de la jungle. La forêt bruisse : sifflements, frottements, cris d'oiseaux, crissements des grillons. On entend la vie nocturne tout autour de nous. Nous marchons à pas feutrés, impressionnés par l'atmosphère. A la lumière des lampes, la moindre feuille, la moindre ombre semble vivante. Le sol est humide, couvert de branchages. Parfois, il nous faut enjamber un large tronc en travers du chemin. Je regarde où je mets les pieds : tout à l'heure, Ingrid a vu un serpent. Elle pointait sa lampe sur un buisson voisin et s'est demandé « pourquoi cette branche bouge-t-elle ? ». Quand elle nous l'a montré, il était à nouveau immobile, pendu, on ne le repérait qu'à sa petite tête tout en bas. C'est tout ce que nous avons vu pour l'instant : le serpent et de grosses araignées, ce qui ne m'a guère enchantée. Mais bon, après tout, c'est moi qui viens sur leur territoire... Sur un tronc, un beau grand papillon, est-ce que ce sera tout ? Nous marchons depuis peut-être une heure et je m’apprête à rentrer bredouille. Ce n'est pas très grave, je m'étais faite à cette idée dès le départ : le fait même de marcher dans la jungle la nuit est déjà une expérience assez incroyable. Nous faisons encore un détour et là sur un tronc, deux petits yeux qui brillent. Le guide pointe sa lampe de poche et nous nous approchons très doucement. C'est un « bush baby » ou galago, un espèce de petit singe qui ressemble un peu, d'après moi, à une belette. Il nous regarde de ses grands yeux, immobile sous la lumière. Nous pouvons nous approcher très près et même le prendre en photo. Voilà qui conclue la promenade, la pluie commence à tomber et le guide nous ramène au bungalow. Les chats sauvages et les léopards resteront cachés. Ils sont là, dans la forêt, je les imagine glissant entre les buissons tandis que j'observe la mystérieuse jungle depuis le balcon avant d'aller dormir.
La nuit ne sera pas complètement calme : nous sommes réveillés par un événement très curieux et indépendant de toutes les bêtes sauvages qui nous entourent. A 22h30, alors que nous dormons déjà (on se couche tôt), deux employés de l'hôtel nous appellent depuis l'extérieur. Je ne comprends pas ce qu'ils veulent et je commence par espérer que ce n'est rien en m'enfouissant sous les couvertures. Mais les voilà qui reviennent et frappent à la porte en insistant. On sort de notre torpeur, on allume la lumière, Seb va ouvrir. Il y a un problème avec la voiture. Seb s'en va donc sous la pluie fine, accompagné du garde armé (à cause des éléphants) et de l'autre employé vers la réception à travers la forêt. Je l'attends, j'ai entendu parler d'une alarme de voiture : dans mon demi sommeil, cette alarme se mêle au crissement des grillons. Seb revient : la voiture s'est mise en marche toute seule ! Les feux se sont allumés et le moteur s'est mis à tourner. Évidemment, les employés de l'hôtel ont été un peu troublés... Quand Seb est arrivé, le phénomène s'était arrêté de lui même mais il a pu encore sentir le moteur tout chaud. Nous n'avons aucune idée de ce qui a pu causer cet étrange comportement. Seb aurait voulu blaguer et dire que la voiture était possédée mais nous sommes dans un pays très religieux et il a eu peur qu'on le croit. Bon, il n'y a rien de spécial à faire. La voiture fonctionne. Au moment où j'écris ces lignes, plusieurs nuits ont passé et rien ne s'est produit... La suite de la nuit est sans incident. Le matin, nous profitons du petit déjeuner puis disons au revoir à Ingrid (qui a promis de m'envoyer ses photos du bush baby) avant de nous en aller, direction : Le parc Queen Elizabeth.