Après deux nuits, nous quittons notre "overflow campground" et reprenons la route. Nous dépassons Jasper, puis le mont Edith Cavell en descendant vers le sud. Nous sommes sur la célèbre Icefield Road qui relie Jasper à Banf. Des deux côtés de la route, la forêt impénétrable forme une couverture sombre qui monte vers les sommets. Un ours noir apparaît de derrière les fourrés et traverse à quelques mètres devant nous. Souvent, nous longeons des rivières houleuses dont les eaux ont gardé la couleur laiteuse de la glace. Enfin, après environ une heure de route dans ce paysage sauvage, nous voilà au pied des deux impressionnants glacier Athabasca et Saskatchewan. Leurs langues de glaces descendent jusque dans la vallée. Leurs sommets immaculés font rêver les aventureux.
Nous campons juste en face du glacier, il est encore tôt et nous trouvons facilement de la place. L'air est froid et sec, le soleil caché derrière les nuages. Après avoir déjeuné et monté la tente, nous avons encore tout l'après-midi devant nous et partons en randonnée. Nous entamons la montée du mont Wilcox dont le départ se situe très près du camping. Il fait face aux deux glaciers et promet donc de très jolis points de vue.
Le début de la balade ressemble assez à la précédente. Nous sommes dans une belle forêt de conifères. Au sol, poussent de hautes fleurs colorées et d'étranges champignons. Nous montons ainsi jusqu'à arriver au bord de la falaise. En contre bas : notre camping que nous ne faisons que deviner, puis la route et en face, les glaciers...
Bientôt, nous dépassons la forêt et, comme la veille, atteignons les hautes prairies balayées par les vents. La falaise est déchirée par un torrent que nous surplombons en montant doucement. L'endroit où nous sommes ressemble à un large plateau. On pourrait se croire en Islande, ou même en Irlande si on ne regarde pas le glacier. Le sol est fait de mousse, de fleurs et de roches couvertes de lichen. Petit à petit, la vue s'étire autour de nous en des étendues de montagnes à l'infini. Mes yeux se portent constamment vers le sommet du glacier Athabasca, beaucoup plus visible que depuis la vallée, sa neige éternelle, comme un lit de coton, me fait rêver.
Nous ne voyons pas de marmottes mais de gros écureuils bruns aux reflets roux, au museau court orné de petites oreilles rondes. Ce sont des écureuils des prairies. Ils ne grimpent pas dans les arbres mais se cachent dans des trous sous la mousse. Ils sortent leurs petites têtes amusantes et poussent des cris aigus. Nous avons atteint le torrent en amont, avant qu'il ne commence sa dégringolade à travers la falaise. Sur le plateau, l'eau transparente paraît presque immobile. Nous le traversons facilement en marchant sur quelques cailloux. Le chemin nous mène au sommet d'une petite crête d'où nous admirons à nouveau les glaciers et autres montagnes aux alentours. Le plateau continue encore loin, il semble que l'on pourrait marcher des jours entiers. Sur notre droite, si près mais si loin, la pointe acérée du mont Wilcox nous surplombe avec ses pentes de terre poudreuse. Mais il se fait tard, la randonnée que nous avons prévue se termine ici et nous prenons le chemin de la descente.
Avant de retourner au camping, nous allons faire un tour à l'Icefiel Center tout proche, où j'avais l'espoir de trouver des informations utiles. Lorsque nous entrons dans le bâtiment, nous sommes assaillis par une musique lénifiante accompagnée de photos louant "l'expérience unique" du glacier et du National Park. En fait, tout le but du lieu est de nous vendre des attractions diverses à prix d'or, comme le petit bus qui monte sur la glace, billet que l'on peut coupler avec le bateau sur le lac de Banf et le téléphérique. Ce genre de commercialisation du parc me rappelle Edward Abbey et son Desert Solitaire, je ne suis pas sûre qu'il aurait apprécié l'Icefield Center... Nous, on n'en tire pas grand chose à part une photo entre un faux ours et un faux caribou. En tout cas, je n'y trouve aucune information utile...
De retour à notre modeste campement, nous faisons grésiller un feu pour nous réchauffer. L'air est sec et les flammes prennent rapidement. Même lorsque la pluie froide commence à tomber, mouillant notre dîner, le feu lui résiste bravement. Cachés sous nos imperméables, nous buvons nos nouilles chinoises en nous réchauffant à notre foyer. Tandis que la nuit tombe et que le froid des glaciers imprègne la forêt, nous ajoutons bûches après bûches et les regardons se consumer. Les braises sont encore rouges quand nous retournons à contre coeur sous la tente nous emmitoufler de sacs de couchage, de pulls et de couverture pour la nuit fraîche qui nous attend.
Le lendemain, avant de partir, nous marchons dans les cailloux jusqu'au pied du glacier Athabasca. La balade dure moins d'une heure et est accessible à tous. Autour de nous, des familles tentent d'empêcher leurs enfants de passer sous les barrières et d'aller se casser le cou dans les rochers, se noyer dans un trou d'eau ou encore se coincer dans une crevasse. La glace est toute proche et des expéditions encordées commencent l'ascension du beau lit laiteux. À son pied, l'eau fondue forme un lac blanc et on devine des grottes glacées aux reflets bleutés.
C'est notre au revoir aux glaciers et nous continuons la route vers le sud. Ainsi, nous changeons de National Park, passant de Jasper à Banf. J'avais espéré une borne quelconque permettant de récupérer au moins le plan du parc, mais rien du tout. Un peu plus loin, un autre centre touristique inutile. Le problème est que nous ne savons pas où se situent les campings, en particulier les "non réservables" qui fonctionnent selon le principe "premier venu, premier servi", ce sont les seuls où nous avons une chance de trouver une place... Par ailleurs, on ne sait pas non plus où sont les randonnées les plus sympa et accessibles pour nous. Alors, pour l'instant, nous continuons la route.
Le paysage est toujours aussi impressionnant de beauté. Les rivières blanches se transforment parfois en lac d'un bleu presque surnaturel. Le ciel est bleu lui aussi, le temps est clair et chaud à tel point que l'on aurait envie de plonger dans l'eau pourtant glacée... Nous arrivons à Lake Louise, une des principales villes du parc avec Banf un peu plus loin. Il y a enfin un centre d'information. L'employé du parc m'annonce d'un air blasé que les deux campings de Lake Louise sont pleins (en effet, je verrai plus tard qu'ils sont dans la liste des réservables). Il ne répond qu'à moitié à mes questions, me regardant de haut car je n'ai pas préparé mon voyage 3 mois à l'avance, ou au moins compensé cette négligence en arrivant à 7h du matin. Par ailleurs, le guide officiel du parc ne contient que peu d'informations. Tant pis, laissons tomber le Banf National Park et descendons directement vers le plus petit (et peut-être moins prétentieux) Kootenay National Park.
La route pour tourner vers le Kootenay est juste un peu au sud de Lake Louise et nous passons bientôt la frontière entre les deux parcs retournant par la même occasion en Colombie Britannique et quittant l'Alberta. À quelques kilomètres à peine, se trouve le premier camping marqué clairement sur la carte mais très mal indiqué depuis la route. Je ne sais pas si c'est à cause des mauvaises indications mais il est tellement vide qu'on a peur qu'il soit fermé. Ce n'est pas le cas et on a donc un joli emplacement dans la forêt. C'est le début de l'après-midi, après avoir mangé et monté la tente, nous avons encore le temps de partir en balade.
Nous campons juste en face du Marble Canyon, nous pouvons y aller à pied. On arrive par le bas, face à l'eau puissante de la rivière et son étrange couleur laiteuse, tirant vers le bleu. La balade monte ensuite en haut de l'étroit canyon qui devient de plus en plus profond. Il fait chaud cet après-midi et cette partie de la forêt a brûlé il y a quelques années. Des petits arbres ont recommencé à pousser mais ils sont encore trop jeunes pour faire de l'ombre. La balade n'est pas difficile mais je souffre à cause de la chaleur. Quelle frustration de voir cette belle eau couler si fraîche et puissante au fond de cette route de roche alors que je cuis au soleil... Tout en haut, la rivière qui coule à notre niveau dégringole vers les profondeurs en une impressionnante cascade.
Le tour du canyon ne prend pas beaucoup de temps. Nous continuons ensuite par une jolie promenade en forêt le long de la rivière. C'est moins impressionnant que nos deux randonnées précédentes mais ça reste agréable. Nous rejoignons Paint Creek : une rivière qui coule sur une terre rouge utilisée depuis longtemps comme un pigment naturel. Il nous faut bien deux heures pour faire l'aller-retour. L'après-midi tend vers le soir et nous chantons à tue tête pour éviter de rencontrer des ours.
Il a fait si chaud aujourd'hui que la fraîcheur de la nuit nous surprend, nous rappelant que nous sommes encore en montagne. Le lendemain, nous continuons la route et traversons le parc. Il me semble plus sauvage, moins aménagé que les deux grands Jasper et Banf. Sur la carte, je vois de multiples chemins de randonnée qui partent vers l'intérieur jusqu'à des campings uniquement accessibles après plusieurs heures de marche. Mais nous n'avons pas l'équipement pour ce genre d'expédition. Un jour, peut-être... Pour nous, c'est la fin des National Parks. Notre dernière étape est un bain dans les jolies piscines des Radium Hot Springs au creux des montagnes. Après plusieurs jours sans douches (la dernière remonte aux sources chaudes de Miette, à Jasper), cela fait du bien de se laver puis de paresser dans l'eau chaude.