La journée du dimanche a commencé plutôt calmement, rien ne laissait présager une fin si incroyable !! On passe chercher Laure, Anne et Reb avant de rejoindre un restaurant où prendre le brunch. Là bas, nous mangeons un vrai festin, je crois que le brunch est à peu près mon repas idéal. Je commande des larges tranches de brioches façon pain perdu ainsi qu'un bol de yaourt aux céréales et fruits frais. A côté de ça, je pique aussi du plat de Seb : une casserole d'oeufs brouillés aux tortillas de maïs et haricots rouges. Je mange même une partie des toasts de Rébecca aux oeufs-bacon. Et bien sûr, j'arrose le tout de plusieurs larges tasses de thé Earl-Grey. Ce fut mon seul repas de la journée...
Sous la pluie de Chicago, nous rentrons ensuite chez Laure pour digérer calmement. L'après-midi passe lentement entre ordinateurs, conversations et jeu de société. Vers 17h (on a pris le Brunch vers 11h), on prépare quelques crêpes puis nous quittons l'appartement vers 18h car Laure veut nous montrer un spectacle de Slam.
Cela se passe dans un bar plus au sud, le Greenmill, où la personne même qui a créé le Slam, Marc Smith, présente divers poètes, amateurs ou confirmés, qui viennent lire leurs poèmes souvent accompagnés de musique. Le slam ne ressemble pas à ce que j'imaginais. La musique improvisée, l'ambiance bar, lui donnent un côté jazz mais c'est vraiment la poésie qui est au centre. Une poésie vivante, moderne, inégale parfois mais toujours magnifiée par la lecture, le rythme, les notes. Pour un genre littéraire un peu passé de mode à notre époque, le slam semble être un espoir de survie.
C'est à peu près là que ça a commencé, lorsque les premiers poètes sont montés sur scènes et que Laure a lancé sur un ton mi-blagueur : "vous savez, si vous voulez, vous pouvez y aller vous aussi, il suffit de demander à Marc". Évidemment, au début, ça m'a semblé une idée tout à fait saugrenue, une sorte d'idée folle qui traverse votre esprit mais que vous n'aurez jamais le cran de mettre à exécution. Et puis, je n'ai jamais écrit de poèmes en anglais. "Pas grave, dis Laure, certains lisent dans leur langue". La conversation continue, on écoute les poètes, l'idée saugrenue s'éloigne.
Mais voilà que je me demande quel poème je lirais si je montais sur scène (dans une autre dimension évidemment). J'ai écrit un certain nombre de poèmes, j'ai même gagné un concours en Irlande mais je ne peux me rappeler que d'un vieux poème, écrit en 5ème (oui c'était il y a longtemps). Malgré mon jeune age lors de l'écriture, ce poème n'est pas plus mauvais qu'un autre et c'était une époque où j'écrivais beaucoup de poésie. J'essaye de me souvenir des vers, au début je ne m'en rappelle pas. Puis ça me revient, alors je m'imagine lisant ce poème. Ce serait amusant, car en fait, Laure m'a aidé lors de l'écriture. Ca a un côté à la fois absurde et ridicule de lire son poème de 5ème à 24 ans dans un bar à Chicago où les gens écoutent du slam.
Mais plus j'écoute les autres poètes, plus l'idée m'obsède. A vrai dire, les poèmes lus sont de genres très divers, les styles de lectures aussi, mon poème n'aurait pas l'air si ridicule et puis personne ne comprendrait rien de toutes façons. Il est très court alors je ne prendrais pas trop de risque. Je demande à Laure si elle se rappelle du poème, vaguement me dit-elle. Je lui récite et lui demande ce qu'elle en pense, c'est vrai qu'il est chouette, on a écrit ça en 5eme ? Je me lance, je lui dis que je voudrais le faire. Elle ne me prend pas tout à fait au sérieux mais oui pourquoi pas. Il faut demander à Marc, ça dépend du nombre de poètes inscrits. Je ne suis pas encore tout à fait sûre alors j'en parle à Reb. Elle aime bien le poème et me dit de le faire, je lui fais confiance car elle est franche et me le dirait si elle avait peur que je me ridiculise. J'en parle à Seb qui lui me prend pour une folle, tant pis. Au moment où j'allais me lever avec Laure pour tenter le coup, Marc demande depuis la scène : "Does anyone want to come here and read something ?". C'est l'occasion ou jamais, je lève le doigt.
Et voilà, je suis sur la scène. Cependant je ne suis pas trop stressée. Mon statut semble différent de celui des poètes "officiels". Il est clair que je suis montée là sur un coup de tête. "Is this your first time ? - Yes !". Après les présentations d'usages (je suis française, je viens de Paris, le poème est en français, il est très court, ne vous inquiétez pas) voilà le moment de lire. Je parle d'abord aux musiciens : je veux quelque chose de sombre mais rythmé et surtout qu'ils commencent avant moi (j'avais préparé tout ça dans ma tête). Je suis devant le micro et musique commence exactement comme je l'ai décrite. Je me laisse lentement habitée par le rythme et commence.
Un océan d'étoiles Ou une mer d'ombres Qui s"étend comme un voile Sur une ville sombre
Cris et pleurs sans trêves Attaquent les esprits Qui rient ou bien qui rêvent Là commence la nuit...
Ce texte assez banal prend un air très étrange et lancinant sur la musique. Je le récite très lentement mais très intensément, concentrée sur chaque mot, chaque syllabe. Enfin bref, c'est un succès ! Je viens de faire une chose tout à fait incroyable. Les gens m'applaudissent et je suis fière de moi. Alors que je descends, une femme dans la salle me demande la traduction. Cette partie là est beaucoup moins intense et surtout beaucoup plus drôle surtout quand j'ai utilisé le mot "Tissue" (qui signifie mouchoir en papier) pour traduire "Voile" en me rendant compte au même instant que ce n'était clairement pas le mot approprié.
Je retrouve ma place, encore toute retournée. La personne la plus impressionnée est Anne qui n'avait pas suivi l'affaire et ne savait même pas que j'écrivais de la poésie (il faut dire que c'est très anecdotique dans ma vie). Elle m'a donc vue surgir de nulle part, monter sur scène et réciter un poème : suis-je un génie ou une illuminée ?
La soirée continue après ça, et une poète slammeuse extrêmement douée nous présente ses créations suivie d'autres poètes tous très talentueux, plein d'humour et d'énergie. Puis vient le moment très attendu du concours de slam. Il prend une tournure encore plus intéressante lorsque Marc vient à notre table pour choisir Seb comme juge (hé hé, tout le monde a été impressionné par ma prestation, les français ne peuvent pas en rester là !). Mais à son grand damne (à Seb), Laure dit à Marc que Seb a écrit, lui aussi, dans son jeune temps, de la poésie. Et voilà que Seb se retrouve lui aussi sur scène, sommé de réciter quelque chose. Pris par surprise, à froid, n'ayant rien préparé, il panique un peu et n'a pas d'idées. Il s'en sort par l'humour, en récitant n'importe quoi en français avec un air très épique et en terminant par "Chicago !". Puis le concours a lieu, les trois compétiteurs passent et on aide Seb à mettre les notes. Il les écrit sur une serviette en papier qu'il brandit à la fin de chaque poème. La soirée se termine, Anne a trop bu et est toujours en admiration devant ma performance, moi j'ai encore du mal à y croire. On passe un peu de temps chez Laure avant de rentrer au Motel, on peut dire que la dernière soirée à Chicago a été spéciale !!