Snaefellsnes
Dimanche 19 et lundi 20 juin
Dimanche, départ pour la péninsule du Snaefellsnes. Je n'ai loué la voiture qu'à partir de midi ce qui me laisse le temps de ranger toutes mes affaires sans avoir à me presser outre mesure. Nous sommes 5 et il faut se serrer un peu mais tout le monde rentre ! Dès que nous dépassons le fjord au nord de Reykjavik, nous apercevons dans la brume les montagnes enneigées de la péninsule : quel paysage ! Nous mangeons à Borganes dans le vent et continuons notre route vers le nord. Nous voulons rejoindre la ville de Stykkisholmur mais plutôt que de prendre la "vraie" route, nous décidons de faire un plus grand tour et de prendre un autre des chemins dessinés sur la carte. Ce n'est en fait qu'une piste de cailloux et nous nous enfonçons dans un paysage désertique et sauvage. Nous roulons très lentement, bercés par le crissement des roues, traversant un monde minéral où des moutons broutent les rares brins d'herbe. Dans le creux des collines jaunies, des lacs d'un bleu vif, frissonnants d'écume blanche. C'est à peine si nous osons sortir de la voiture, dès que nous ouvrons une portière le vent s'engouffre si violemment que nous ne pouvons que la refermer immédiatement. La terre au dehors nous impressionne plus qu'elle ne nous charme, beauté sauvage et inhospitalière.
Au sommet d'un monticule, voilà la mer qui apparait. La mer ou un lac, ce n'est pas facile à dire tant elle est parsemée d'îles diverses. A l'horizon, l'autre rive du fjord se dessine. Le paysage n'a plus rien à voir avec ce que nous connaissions sur la côte est : il n'y a plus de plaine, les montagnes recouvertes de neige tombent directement dans la mer et nous roulons sur leurs flancs escarpés. La vie est à nouveau présente et des nuées d'oiseaux planent sur les eaux bleues. Nous les voyons se précipiter dans les courants agités des larges rivières qui lutent contre la marée montante. Au creux d'une baie abritée, où l'eau peu profonde prend des couleurs ocres, nous nous allongeons sur une mousse dorée et confortable qui nous accueille comme un matelas. Quelques minutes de repos dans ce joli paradis avant de reprendre la route.
Nous arrivons à Stykkisholmur, petite ville déposée au bout d'un cap venteux. Nous marchons sur le port et grimpons sur le morceau de rocher aux falaises abruptes qui le surplombe. De là haut, nous avons d'un côté la mer, ses îles et ses oiseaux, et de l'autre les montagnes aux sommets blancs qui descendent sur les maisons colorées et les bateaux. La ville semble à l'extrémité du monde terrestre, comme un oiseau posé sur le seul bout de caillou accessible. Derrière elle, les sommets blancs et les pentes rocheuses inhospitalières et tout autour la mer brillante de son bleu infini. Belle vision que cette ville colorée, perdue sur son bout de rocher.
Nous ne passons pas la nuit à Stykkisholmur, nous devons encore rouler jusqu'à Grundarfjordur qui malgré sa petite taille est l'un des plus grand port d'Islande. Notre auberge est une petite maison en tôle rouge ondulée. Nous avons une chambre pour nous 5 à l'étage avec une cuisine et une salle de bain presque pour nous seuls. Ma qualité de seule fille me donne le privilège de dormir dans la petite alcôve indépendante tandis que mes compagnons doivent s'entasser sur les lits superposés. Depuis la fenêtre nous avons vue sur la mer et sur la grosse colline verte et escarpée qui la surplombe. Tandis que je descend emprunter un peu d'huile de cuisine à des voisins, je rencontre un belge qui m'annonce qu'un japonais va donner un concert ce soir dans la salle commue de l'auberge. Après le repas, nous descendons donc participer à cet étrange évènement. Le jeune japonais au look invraisemblable et qui ne parle pas un mot d'anglais chante en effet plusieurs chansons en s'accompagnant sur sa "cheap" guitare achetée à Reykjavik mais fabriquée en Chine. Nous avons le droit à "Little song", "Rainbow river", "wind" et "No title". Je ne suis pas assez mélomane pour juger de sa musique mais j'apprécie assez l'expérience. Et comme je l'avais promis au belge qui visiblement organise la soirée, je chante ensuite avec l'un de mes compagnons plusieurs chansons françaises pour le reste des spectateurs (composés en plus du japonais et de notre groupe, du couple belge, d'un luxembourgeois et d'un allemand). Nous engageons la conversation et étonnons tout le monde quand nous leur apprenons que nous sommes un groupe de mathématiciens revenant d'une conférence ! Le japonais ne comprend rien, quand je lui dis que nous irons à Nagoya l'année prochaine et que nous serons 200, il me regarde avec étonnement.
Le lendemain, nous trainons gentiment à l'auberge dans une langueur matinale propre aux lève-tard que nous sommes. Alors que les sacs s'étalent encore sur le sol, que la table du petit déjeuner n’est pas débarrassée, que certains sont encore enroulés dans leurs sacs de couchage, la jeune femme de l'auberge vient nous dire qu'on doit rendre les chambre à 10h30 et que nous devons être partis dans 5 minutes. Voilà qui nous donne un coup de fouet, et nous entassons en quatrième vitesse nos affaire avant de prendre la route, encore tout ébahis. Nous continuons la côte nord de la péninsule à flanc de montagne. Au détour de la route, apparait le glacier Snaefellsjokull, chape blanche et ronde comme une crème sur la haute montagne. Sous le glacier, le volcan qui nous conduira au centre de la terre d'après Jules Verne. Mais nous n'avons pas le temps de faire le voyage aujourd'hui, nous nous contenterons de l'observer de loin.
Nous arrivons au bout de la péninsule où le paysage est très différent. Nous roulons sur un champs de lave, entourés de roche noire et coupante sur laquelle ne pousse qu'une fine mousse. Le glacier est toujours sur notre gauche mais nous sommes à présents séparés de la mer par cette longue plaine désertique. Nous tournons vers la plage et nous pourrions tout aussi bien être sur une autre planète. La lave s'amoncèle en gros monticules qui semblent se succéder à l'infini : aucun arbre, aucune vie, aucune trace de l'homme, seul un monde minéral et tourmenté, brisures de pierre noire et végétation jaunâtre. Dans ce paysage déconcertant, nous nous arrêtons et continuons à pied vers la mer. Au pied des falaises, la plage de sable noir brille sous le soleil. L'eau bleue semble douce et calme mais elle est parcourue de courants invisibles très dangereux s'il on en croit les panneaux qui nous interdisent formellement d'y tremper l'orteil. Si l'on quittait le rivage, on s'enfoncerait dans ses profondeurs imprévisibles aux récifs meurtriers. Les restes d'un bateau rouillés témoignent de son passé cruel : 15 matelots périrent dans les années 40 lors d'une violente tempête quand seuls 5 purent être sauvés.
Après s'être baladés sur la plage, nous retournons sur les falaises pour marcher un peu. Sous le ciel bleu, entre la mer et le glacier, on peut difficilement imaginer plus belle promenade. Quand on voyage, on a parfois l'impression de ne plus se déplacer dans l'espace mais dans le temps : voyant des traditions millénaires, on pense avoir changé de siècle. Ici, c'est cette même impression mais à l'échelle de la terre. On pourrait croire que l'on a remonté le temps géologiquement parlant, visitant la planète quand elle était encore jeune et fougueuse, lors de la création des continents. Ce n'est pas entièrement faux car la formation de l'Islande st particulièrement récente et qu'on assiste presque en direct à la formation de l'île. Voilà ce que je ressens quand je marche dans un champ de lave noire en évitant d’éreinter mes semelles sur les cailloux aiguisés.
Nous repartons et rejoignons la côte sud, laissant derrière nous le beau glacier dans sa blanche rondeur. Le paysage a encore changé. Il n'y a plus les fjords de la côte nord, il n'y a pas non plus le champ de lave. Les montagnes sont un peu plus éloignées, elles descendent vers nous comme de gros tas de cailloux en pentes vertigineuses. Nous roulons sur la plaine fleurie de jaune et de mauve, recouvertes de hautes herbes et de champs. Dans les petits étangs et les rivières claires, des canards et des oies sauvages qui s'envolent à notre passage. Avant de quitter définitivement la péninsule, nous nous arrêtons pour une dernière balade. Au milieu de la plaine, un gros cratère s'élève comme un bouton mal cicatrisé. Pour le rejoindre, il faut marcher une heure sur un sentier tracé au milieu de jeunes arbustes puis escalader sa face noire avec des chaines le long d'un escalier douteux. Mais une fois là haut, nous admirons une de nos dernières visions de l'Islande : ce trou immense et effrayant qui semble vouloir pénétrer la terre. Son bord est comme une lame coupante et nous n'avons comme espace qu'une petite plateforme entourée de vide. Des corbeaux volent sur la crête lui donnant un air un peu sinistre. Le soleil colore la pierre de nuances rouges et jaunes, dessinant des ombres sur les parois escarpées. Nous ne pouvons admirer ce paysage que quelques minutes car il nous faut repartir. Nous ne voulons pas arriver trop tard à Reykjavik, nous prenons l'avion très tôt le lendemain matin.
Et voilà notre voyage terminé ! L'Islande s'est révélée tout à fait incroyable : si vous rêvez de voyages dans l'espace et de planètes lointaines, je vous conseille de venir ici pour faire déjà une idée ! Je rentre heureuse d'avoir eu l'occasion de la découvrir, des volcans et des glaciers plein la vue, du sable dans mon sac et des cendres dans les cheveux...
Blue Lagoon
Samedi 18 juin
Samedi, je commence par dormir. Je n'ai plus la contrainte de la conférence et malgré la lumière du jour, je m'enroule dans mes draps et loupe presque l'heure du petit déjeuner. Puis, nous nous préparons et descendons vers le centre où nous avons donné rendez-vous à une partie du groupe. L'idée aujourd'hui est d'aller au blue lagoon. Il se situe à 40 minutes de la ville et nous devons prendre un bus. Après concertation à l'office du tourisme, nous décidons de prendre celui de 15h et il me reste donc un peu de temps pour me balader dans la ville. Voilà une semaine que je suis ici, mais je n'ai jamais pu voir le centre avant la fermeture des boutiques. Je commence par goûter un hot-dog dans un stand qui est censé servir les "meilleurs du monde". En fait, ils ont été classés meilleur d'Europe il y a quelques années et ont acquis une bonne réputation surtout depuis que Bill Clinton est venu en prendre un. Ils sont en effet plutôt bons, même si je ne suis pas une grande fan des hot-dogs qui restent toujours assez gras.
Après mon rapide repas, je vais parcourir les rues du centre avec une collègue. Reykjavik a beau être une toute petite ville, les boutiques sont assez incroyables. Dans les vitrines, on admire des créations originales de jeunes designers. La mode est plutôt hivernale mais dans un style très travaillé : beaux pulls aux coupes seyantes, robes longues en laine, etc. Petit hic, tout ça est tout à fait hors de prix. Nous nous contentons donc d'admirer et j'abandonne petit à petit l'idée de 'acheter quelque chose. Jusqu'à ce que je tombe sur une boutique où les prix semblent d'un seul coup dix fois moins chers. Et pour cause, ce sont des vêtements d'occasion ! Voilà qui fait mon bonheur et j'aurai bien du mal à tout faire rentrer dans ma valise.
Nous nous baladons encore un peu dans les rues colorées de Reykjavik avant de rejoindre le terminal de bus et de partir pour le blue lagoon. Nous roulons dans la péninsule desséchée, terre de lave recouverte d'un vague lichen. Entre les rochers noirs, coule une eau d'un bleu surnaturel, sortant bouillante de la roche. Le lagon s'étale tel une flaque, à l'une de ses extrémités, une centrale fumante, de l'autre côté la piscine. En effet, on ne peut pas se baigner partout, il faut passer par (et payer) le grand complexe thermal qui gère le lagon. On a le droit à une vraie installation touristique avec grands vestiaires tout confort et une boutique de souvenir. On a même un bracelet électronique qui nous permet d'acheter des boissons directement à la buvette dans l'eau !
Des petites planches de bois ont été posées sur la roche pour ne pas qu'on s'arrache les pieds, mais nous nous baignons ensuite directement dans les rochers avec assez peu d'aménagements. L'eau dépose partout une couche minérale lisse et blanche qui fait comme un plancher, parfois, nous marchons aussi dans la vase sablonneuse. Le bassin n'est pas vraiment bleu dans cette partie du lagon, il est d'une teinte laiteuse et opaque, très légèrement colorée. On s'y baigne comme dans un bain agréablement tiède. L'eau n'est pas trop chaude et on peut y rester des heures. La foule se masse surtout près de l'entrée, et en s'avançant dans les parties les plus profondes (environ 1m50), on peut facilement s'isoler. Étendue dans l'eau, portée par le sel comme dans un lit douillet, je n'entends plus rien autour de moi et je m'endors presque, laissant mon corps se détendre et mon esprit s'évader.
Nous avons d'abord exploré le lagon en groupe, excités par la nouveauté, nageant dans l'eau chaude, exprimant notre joie à tout bout de champs. La plus grande attraction vient des gros pots de crème blanche qui sont mis à disposition du public. Ce sont des masques à base de boue du lagon, et suivant la tradition locale, nous nous "beurrons le museau" (l'expression n'est pas de moi, elle a été inventée de façon très appropriée par mon prof présent avec nous dans le lagon). Il est amusant de voir les hommes les plus baraqués attendre patiemment que sèche leur petit masque avant de le rincer pour avoir "la peau toute douce". Outre les masques, nous testons aussi les hammams et saunas, les douches froides, la cascade massage, etc. Enfin, petit à petit, nous nous séparons et nous isolons, profitant chacun de ce moment doux et tranquille. Arrivés à 16h, nous ne reprenons le bus qu'à 19h, et encore, nous aurions pu rester plus longtemps.
De retour à Reykjavik, nous nous apprêtons à passer notre dernière soirée en ville. Nous nous sommes donnés rendez-vous au "restaurant Viking" où nous avons déjà mangé dans la semaine. Le décor en bois râpé avec pieux et peaux de moutons est un peu artificiel mais les plats sont copieux et délicieux. Et puis ce qui fait le charme du lieu, c'est le serveur et son style très particulier. Ce grand québecois polyglotte et pince sans rire porte son costume ridicule en peau de bête comme si c'était le plus chic des costards avec un air de valet anglais. Il parle d'une voix chic et légèrement accentuée pour dire des choses comme : "Ah mais non, ce chocolat Viking, c'est n'importe quoi, ils l'ont mis sur la carte mais ça ne veut rien dire et je n'ai même pas de quoi le préparer, vraiment, prenez autre chose..." ou bien "Les pièces de 10, elles sont laides, elles sont énormes et elles ne valent rien, le procès est vite fait !". Nous nous régalons et trainons tard dans le resto puis dans la ville avant de rentrer à l'hôtel : ce n'est pas comme si on pouvait être surpris par la nuit !