Jusqu'au dernier moment, nous hésitons sur notre prochaine étape. Notre idée initiale était de partir vers le nord ouest pour aller jusqu'à Chibougamau. Mais le temps s'annonce maussade ce qui nous fait hésiter. Finalement nous y renonçons. Cela nous permettra de faire des séjours plus longs et moins de journées de route. Et puis, il faut bien se laisser des coins du Québec à explorer pour faire vivre notre imaginaire. Un jour peut-être, nous partirons vers la baie James et les terres sauvages du nord.
Mais aujourd'hui, nous prenons la direction de l'est et longeons la rive nord du lac. Nous passons de jolis petits villages au bord de l'eau comme Peribonka où nous déjeunons. Puis voilà le moment de quitter le beau lac pour suivre le cours de la rivière Saguenay que nous traversons vers le sud au niveau de Chicoutimi. Peu de temps après, le paysage devient plus maritime : c'est le début du fjord du Saguenay qui rejoint l'estuaire du Saint-Laurent. L'air prend des parfums d'océan. Au bord de l'eau, on voit les étendues de sable de la marée basse. Nous dépassons le parc National du fjord puis tournons à gauche vers l'Anse Saint-Jean. C'est un joli petit village. On pourrait se croire en Skandinavie : des maisons en bois coloré entourées de bois profonds qui tombent dans le fjord.
Un camping est installé là et nous prenons un emplacement pour trois nuits. Il fait beau aujourd'hui et on se croirait dans un petit paradis. Nous avons un emplacement assez grand recouvert d'une belle herbe verte. À quelques mètres, derrière deux ou trois caravanes : le fjord s'étend avec ses reflets bleus et argentés. Le camping est installé autour d'une sorte de plage caillouteuse avec une rampe d'accès pour les bateaux. Il y a aussi une jolie piscine, une aire de jeux, des terrains de pétanque, une grande salle commune avec une cuisine partagée. Il se dégage de l'endroit une atmosphère chaleureuse et accueillante.
L'enfant a vu la piscine et la réclame à grands cris. Quand nous arrivons, il est presque 17h et elle est sur le point de fermer. Mais par chance, elle ouvre de nouveau à 18h pour la soirée. On a donc le temps de tranquillement installer la tente et même de faire quelques parties de pétanque. Les lancers de l'enfant sont très approximatifs mais comme nous sommes par ailleurs très mauvais, ça a peu d'importance. À 18h, il se précipite pour aller chercher son maillot. La piscine a le bon goût d'avoir une pataugeoire qui est pile à la bonne profondeur pour lui et il est ravi. Il faut savoir que l'enfant n'est pas un téméraire. Même emmitouflé dans son gilet de sauvetage Spider Man, dès qu'il n'a plus pied, il s'agrippe à moi de toutes ses forces en criant "j'ai peur ! J'ai peur !" et en hurlant si j'ose déplacer mon bras. Dans ce petit bain à son échelle, il est heureux et moi aussi. Après la piscine, viennent le dîner pique-nique puis un tour aux jeux. L'enfant se lie d'amitié avec un autre petit âgé d'un an de plus que lui. Du haut de ses 4 ans, il a assez de suite dans les idées pour mener les jeux et inventer des histoires que l'enfant n'est que trop heureux de suivre. Les voilà tous deux chevaliers dans un château à pousser des grands cris et à mener des aventures imaginaires. On a bien du mal à les séparer plus tard dans la soirée mais près de la tente, attend le traditionnel feu de bois et ensuite le sommeil.
Le lendemain, nous roulons jusqu'à la petite marina à moins de deux kilomètres. On y trouve un café boulangerie, une crêperie avec terrasse sur le fjord, quelques bateaux, une minuscule plage et un ponton avec des enseignes proposant des excursions. On réserve la balade d'une heure et demie qui part à 13h. On a un peu de temps alors on s'avance sur un chemin de randonnée qui rejoint un bout du parc national. Mais nous ne sommes pas équipés et la poussette ne passe pas sur le sentier. On marche un peu avec l'enfant puis on revient au port manger des crêpes avant la balade.
À 13h, nous embarquons comme prévu. C'est un joli bateau avec un premier pont abrité et un toit terrasse. Au total, il peut prendre une centaine de personnes mais nous ne sommes que quelques dizaines. Le guide parle dans un micro et nous présente le fjord. On apprend qu'il est très profond (250 mètres), qu'il a été formé par des glaciers qu'il contient beaucoup d'eau de mer et beaucoup de poissons. Nous sommes trop loin de l'embouchure pour espérer voir les baleines qui viennent ici se nourrir. Il aurait fallu prendre l'excursion de 4h qui rejoint Tadoussac. Mais ça nous a semblé trop long avec l'enfant. Nous comptons passer par Tadoussac plus tard dans notre voyage : on verra les baleines à ce moment là.
Pour l'instant, on admire la partie intérieure du fjord et ses immenses falaises de plusieurs centaines de mètres. L'enfant, lui, n'admire pas grand chose. Il s'agite et explore le bateau, s'asseyant ici puis là, posant beaucoup de questions et s'énervant pour des raisons pas toujours identifiées. Il est surtout fatigué (et donc pénible). Lorsque la balade s'achève, je décide de rentrer à pied avec la poussette tandis que Seb prend la voiture. Il y a environ 1/4 d'heure de marche jusqu'au camping ce qui est largement suffisant pour endormir l'enfant malgré ses jérémiades.
Arrivés à la tente, j'ai donc un joli moment de calme assise dans la douceur de l'après-midi. Seb, lui, part courir à l'assaut des montagnes. Moi, je me délecte du silence et de ma solitude jusqu'à ce qu'une petite voix s'échappe de la poussette "Maman ? Est-ce qu'on peut aller à la piscine ?". Alors bien sûr, on va à la piscine puis aux jeux d'eau qui sont juste à côté, puis dans les jeux.
Avant le retour de Seb, il y a un tout petit drame. L'ami de l'enfant est revenu lui aussi et ses parents nous invitent à les rejoindre sur la plage du camping. À peine arrivés, nous remarquons le ciel lourd. Le fjord brille de cette lumière si magnifique qui annonce les orages. Et voilà qu'au dessus des falaises apparaissent coup sur coup deux éclairs. Je n'ai même pas le temps de m'en inquiéter que mon attention se reporte sur l'enfant qui vient de trébucher dans les cailloux et de s'écorcher les genoux.
J'attrape donc mon fils ensanglanté et hurlant et rejoint notre emplacement. Nous sommes encore en maillot de bain depuis la piscine. Des gouttes de pluie commencent à tomber. Il y a du sang partout sur jambes et même sur moi. "Maman, toi aussi regarde tu as un bobo ! - Non mon doudou, c'est ton sang à toi ça". J'essaie de réfléchir et d'être efficace malgré les cris de l'enfant "Maman ! Maman ! Papa ! Ahh ! Ahh ! J'ai mal ! Maman !". Je prends nos vêtements, les pansements, des cotons et je nous amène à l'abri dans la salle commune. À peine ai-je refermé la porte que l'averse démarre pour de bon. Seb aussi a eu le temps d'arriver et d'éviter le déluge. Au calme et à l'abri, je peux enfin nettoyer la plaie sur le genou malgré les protestations véhémentes de l'enfant et recouvrir le bobo de quatre pansements de Spiderman. On se rhabille aussi et le bobo est presque oublié, surtout quand une femme arrive dans la salle apportant sa perruche en cage qu'elle vient mettre à l'abri.
L'averse se termine bientôt et la vie du camping reprend tranquillement. L'ami est toujours là, il vient inviter l'enfant dans sa roulotte. On le récupérera simplement pour le dîner (avec difficulté) puis les deux garçonnets joueront de nouveau ensemble jusque tard dans la soirée, inséparables surtout depuis qu'ils ont découvert qu'ils avaient chacun une figurine Spider Man. L'ami repart demain matin et on se sent désolés d'écourter une si belle amitié. De notre côté, nous avons passé la soirée à discuter avec les parents de l'ami, qui viennent de Trois-Rivières et avec trois jeunes français de Montréal. C'est finalement une nouvelle averse qui nous force à nous réfugier sous la tente pour la nuit.
Pour notre dernière journée ici, nous avons décidé d'aller randonner. Le temps est maussade mais ne devrait tourner à la pluie que cet après-midi. On quitte le camping dès notre réveil pour aller prendre le petit-déjeuner au café boulangerie de la marina. Nous achetons aussi des sandwichs et préparons nos sacs pour la journée.
Nous empruntons le même sentier que la veille mais équipés de façon adéquate. Sébastien porte l'enfant dans le sac à dos de randonnée. Avec les quelques affaires en plus, ça doit bien faire 20 kilos. Mon chargement à moi est beaucoup plus modeste et permet de compléter. Le sentier fait plusieurs dizaines de kilomètres mais nous ne visons qu'environ 8km aller-retour avec un petit dénivelé.
Le premier point de vue est indiqué à 1,5km. Cependant, l'essentiel de la montée est justement sur ce petit morceau. Sébastien, habituellement beaucoup plus rapide que moi sur l'ascension, est ralenti par son chargement ce qui me permet de ne pas être trop en rade. D'ailleurs, comme l'enfant est plutôt en forme, à la première pause il le dépose et il marche avec nous. Le chemin est très escarpé. Je lui tiens la main et le porte sur les plus grosses marches. Nous grimpons tout doucement mais avec entrain. Et nous voilà arrivés au premier point de vue. La forêt s'ouvre sur un gros rocher surplombant le fjord. Il y a un banc pour admirer le paysage. Après une agréable pause, l'enfant retourne sur le dos de son père et nous repartons. Bientôt, il s'endort malgré les secousses de la promenade. Il nous reste 3km jusqu'au prochain point de vue et objectif de la balade. Mais cette fois, la route est plus facile. On est sur du plat ou de petites pentes. Nous nous sommes replongé dans la forêt, s'éloignant du fjord et de ses magnifiques paysages. Nous rejoignons un très joli lac sauvage et traversons une rivière. Nous sommes complètement seuls sur ce chemin. Nous n'avons vu aucune autre voiture garée au départ et ne croisons personne. En fait, nous ne verrons d'autres randonneurs qu'au retour, proche du point de départ.
L'enfant s'est réveillé alors que nous longions le lac. Il s'impatiente un peu mais il ne nous reste que quelques centaines de mètres pour atteindre le second de vue. Nous voilà arrivés. De notre promontoire, nous observons la langue d'eau en contrebas et les quelques minuscules bateaux. Nous grignotons tranquillement nos sandwichs et repartons : nous voulons rentrer avant l'orage qui s'annonce. Le retour est plus facile car principalement en descente. L'enfant est réveillé et nous abreuve d'un flot continue de paroles, questions, chansons, onomatopées et autres interventions. Lorsque la descente devient trop abrupte, nous le faisons de nouveau descendre de sa chaise à porteur pour éviter que Seb ne se casse la figure (ce qu'il fera tout de même deux fois sans faire de blessés). Le sol humide est très glissant mais l'enfant est prudent et me tient fermement la main. Au bout d'un moment, il s'assoit sur un cailloux et déclare "moi je vais faire une pause ici pour me reposer". On comprend qu'il a fourni l'effort dont il était capable et il retourne dans le sac à dos pour la fin de la balade.
Lorsque nous arrivons à la voiture, l'air est lourd et chaud mais il ne pleut pas. Nous sommes en sueur. Nous retournons au camping prendre une douche puis j'emmène directement l'enfant à la piscine. Nous avons même le temps de nous rendre ensuite à la chocolaterie située à l'entrée du camping pour prendre un goûter avant que la pluie ne nous force à rentrer. L'averse éclate enfin et nous passons tout le début de la soirée dans la salle commune où nous prenons notre repas. Plus tard, la pluie s'est calmée et nous rejoignons deux autres familles installées près d'un beau feu sous le préau. Il y a plein d'autres enfants ce qui nous permet à nous la tranquillité car l'enfant est occupé. Le lendemain, nous nous réveillons au sec mais nous pressons de ranger les affaires. À peine ai-je replié la tente que l'averse éclate. Nous quittons le Saguenay sous la pluie.