J'arrive à Jérusalem de nuit, en taxi depuis l'aéroport de Tel Aviv. J'ai été troublée car la route que nous avons prise passe en plein territoire palestinien. Elle est entourée de hautes clôtures et, sur les collines, je repère les fameuses colonies. C'est une façon assez brusque de plonger dans ce pays et ses conflits. Cependant, les jours qui suivent me tiennent éloignées de ces considérations. Je loge sur le campus de l'université avec un groupe joyeusement international. Nous descendons dans le centre-ville le soir. Nous mangeons des falafels avec de l'hummus, parcourons les rues piétonnes et les allées colorées du marché Yehuda. L'ambiance jeune et animée rappelle celle de n'importe quelle ville du sud de l'Europe. Seuls les groupes d'hommes portant la kippa ou parfois le costume traditionnel (avec le grand chapeau noir et les favoris tressés) me rappellent que je suis bien en Israël.
Ma conférence se termine le jeudi soir et je déménage le vendredi pour loger dans le centre à l'Abraham hostel, repère gentiment anarchique de voyageurs en tout genre. Je dépose mon bagage et pars à la découverte de la vieille ville avec quelques collègues.
Je descends la longue rue Jaffa, me protégeant du vent glacé de novembre avec mon gilet, les yeux plissés par l'air sec et le soleil perçant. Bientôt apparaissent devant moi les ramparts centenaires construits par le sultan Suleyman après un mauvais rêve où il était attaqué par des lions. Nous passons la porte de Jaffa et pénétrons dans la ville.
Ma première impression est assez mitigée. Nous suivons une rue marchande étroite et bondée, dans laquelle il est impossible de s'arrêter. Les boutiquiers se font aussi insistants que dans les villes du Magreb mais je ne retrouve pas l'insouciante bonne humeur des Médinas. Derrière les sourires, on sent la tension et même parfois l'hostilité. La présence de gardes armés n'est pas vraiment rassurante.
Comme toute vieille ville, ses rues paraissent un labyrinthe aux néophytes. Nous cherchions le mur des lamentations mais allons à présent dans la direction opposée vers un lieu incertain. Alors que nous sommes toujours pris dans l'animation du marché, je remarque brusquement que nous sommes passés dans le quartier musulmans. D'un seul coup, on ne voit plus de juifs en kippa mais des femmes avec leurs foulards. Des inscriptions apparaissent en arabe et je vois même des objets aux couleurs de la Palestine dans les boutiques.
Je comprendrai plus tard que cette rue centrale est en réalité une frontière, ce qui explique d'ailleurs la tension qu'on y ressent. Le début de la rue est officiellement dans le quartier chrétien mais c'est aussi un passage pour rejoindre le quartier juif et le mur des lamentation. L'endroit où nous sommes à présent est entre le quartier chrétien et le quartier musulman : nous sommes plus loin du quartier juif et la population est en majorité musulmane.
Nous arrivons à la porte de Damas. De là, nous tournons à droite et nous promenons au hasard dans de petites rues. Nous ne sommes plus sur le marché et c'est beaucoup plus calme. Nous pouvons enfin profiter pleinement de la beauté de la ville, de ses maisons en pierre de taille, de ses rues blanches qui se déploient en une infinité de passages et d'escaliers. Le sol est lui aussi en pierre, lissé par les siècles. En dehors des chats sauvages, nous croisons peu de monde. Par ailleurs, la tension s'est amoindrie. Dans les regards, je vois plus de curiosité que d'hostilité.
Nous avons atteint la porte d'Herod et nous dirigeons maintenant vers l'esplanade des mosquées. Quand d'un seul coup arrive vers nous une immense foule à majorité masculine. Nous sommes vendredi et la prière vient de se terminer. Le flot est continue et nous remontons doucement vers la source. Toute l'étrangeté de ce lieu me semble à son paroxysme quand, on au milieu des musulmans, nous voyons un groupe de touristes chinois qui suivent le courant. Nous sommes au croisement de la rue du roi Faisal au bout de laquelle on trouve une des entrées de l'esplanade. Il est impossible de s'y rendre pour l'instant vue la foule qui en sort. Nous nous dirigeons vers où nous pouvons et nous retrouvons devant la porte du Lion sous laquelle la foule se compresse. Nous nous échappons par une contre-allée et rejoignons le chemin en haut des rampars. De là haut, nous avons une belle vue sur l'Est de la ville : le cimetière musulmans Yeusefya juste au pied des rampars et en face, le mont des Oliviers avec son cimetière juif et ses églises chrétiennes. Nous attendons calmement que le flux des fidèles se soit tari pour redescendre.
Nous découvrons assez rapidement qu'il n'est pas possible de visiter l'esplanade. Elle est fermée aux non musulmans le vendredi et le samedi. Par ailleurs, le seul passage autorisé est la passerelle en bois à côté du mur des lamentations et les horaires d'ouverture sont limités (j'aurais tous ces détails plus tard, les gardes jordaniens ne sont pas très bavards).
Alors que nous repartons vers l'ouest, nous enfonçant dans la ville avec l'espoir de trouver le mur, je remarque des bâtiments chrétiens. Nous sommes toujours dans le quartier musulman mais nous avons rejoint le chemin marquant la passion du Christ. Toutes les étapes des souffrances de Jesus sont marquées par une église ou une chapelle jusqu'au Saint Sépulcre où il est censé avoir été crucifié et enterré. Le chemin est suivi avec piété par les fidèles et nous croisons des groupes de pèlerins venus de différents pays. Nous-mêmes ne suivons pas la passion jusqu'au bout : nous irons voir le Saint Sépulcre demain. Pour l'instant, nous nous arrêtons dans un café pour déjeuner (luxe que n'eut pas Jesus).
Quand nous repartons, nous trouvons enfin l'entrée pour le mur des lamentations. Il faut passer un petit contrôle de sécurité et nous voilà sur la grande place. C'est un mélange de tourisme de masse et de ferveur religieuse. L'accès au mur est découpé en 2 zones : pour les hommes (un peu plus grand) et pour les femmes. Les gens s'approchent, prient en touchant le mur et y laissent parfois un des fameux voeux écrits sur de petits papiers roulés. Je reste en dehors de la zone, observant de loin. Ce lieu n'a aucune signification pour moi mais visiblement beaucoup pour eux. Je n'ai pas envie de pousser le voyeurisme jusqu'à me mettre sous leur nez. Les hommes portent presque tous le costume traditionnel ou, au minimum, la kippa. Les femmes ont souvent les cheveux enroulés dans une sorte de coiffe en tissu. Des deux côtés, on arrange des chaises pour la prière du Shabbath de ce soir. Le mur est tout ce qui reste de l'enceinte construite par Herode autour du temple sacré du judaïsme. En lieu et place du fameux temple : l'esplanade des mosquées. Le mur est le symbole des "lamentations" des juifs pleurant leur temple perdu.
De là, nous rejoignons le quartier juif que nous n'avons pas encore visité. En dehors de quelques ruines préservées, les habitations ont l'air assez récentes. Et pour cause, le quartier a été entièrement détruit lors de la guerre de 1948 et reconstruit uniquement dans les années 70. Les architectes ont cependant préservé l'esprit de la vieille ville et les rues fleuries de bougainvilliers dégagent une atmosphère paisible. Nous approchons du début du Shabbath. Les boutiques ont déjà fermé et le calme de la nuit tombe sur la ville. Un peu partout, on voit se former des cercles de prière : les groupes s'assoient par terre dans une attitude méditative.
Nous sortons de la ville par la porte de Zion pour visiter l'abbaye de la Dormition, le tombeau de David et le lieu supposé de la "Cène" de Jesus. Quand nous retournons à la vieille ville pour rejoindre la porte de Jaffa, il fait déjà nuit. Nous remontons vers notre auberge. Il n'est pas encore 18h mais on pourrait croire qu'il est 1h du matin tant la ville est calme. Le Shabbath a commencé. Il n'y a presque plus de voitures, plus de bus ni de trams. Les boutiques, les bars et les restaurants sont fermés. J'ai du mal à reconnaître le centre-ville animé de ces derniers soirs. La ville, pieuse, s'est endormie.
À l'Abraham Hostel, nous retrouvons les vivants dans une chaleureuse atmosphère. L'auberge organise ce soir un repas communautaire de Shabbath pour les résidents. Le repas lui même est concocté par des volontaires et nous le dégustons dans la pièce commune installés sur des grandes tables. Les plats ne sont pas très traditionnels, ils reflètent plutôt le mélange culturel de l'Abraham Hostel qui affiche fièrement sur ses murs "Abraham was the first backpacker!". Un employé nous fait un petit discours sur le Shabbath et nous lit les prières. Lui même n'a pas l'air très religieux, il insiste sur la portée symbolique du Shabbath en Israël au delà de la croyance : un moment de repos, pour retrouver sa famille et partager un repas.
Cette première journée de visite m'a épuisée et je ne suis pas mécontente de retrouver mon lit. Le lendemain, je suis prête pour à nouveau affronter le labyrinthe de la vieille ville. J'ai décidé de rejoindre une visite guidée gratuite qui part à 11h de la porte de Jaffa. L'organisation générale de la ville est un peu plus claire pour moi mais je me rends compte de l'étendue de mon ignorance. Je n'ai aucune idée de l'histoire de la ville, ni de quand datent les bâtiments que je vois.
La visite commence par une rapide chronologie de la ville. On s'y perd facilement entre Juifs, Grecs, Romains, Perses, Musulmans, Chrétiens... Je retiens surtout que la ville a été sous domination Ottomane pendant 400 ans jusqu'au protectorat Britannique au début du XXème siècle. La plupart des monuments que l'on peut voir aujourd'hui datent de cette longue période. Les édifices chrétiens ont souvent été bâtis à l'époque des croisades.
Nous commençons la visite par le petit quartier Armenien, juste au sud de la porte de Jaffa. L'Arménie, premier état chrétien, a très vite acheté des terrains dans Jérusalem à une époque où la chrétienté n'était pas encore très répandue, où l'islam n'existait pas et où Jérusalem était moins disputée qu'aujourd'hui. A travers les époques, ils ont su conserver leur bien malgré les massacres assez fréquents et il existe toujours donc une petite communauté arménienne vivant dans la vieille ville.
Nous passons ensuite au quartier juif, c'est là que j'apprends qu'il a été détruit en 1948. On y trouve aussi les ruines de la ville romaine, enfouie sous la ville actuelle. Nous nous arrêtons sur une petite place pour admirer en contre-bas le mur des lamentations et le Dôme du Rocher qui apparaît derrière, tout doré. Le guide est légèrement partisan quand il nous décrit la situation actuelle. Il nous fait remarquer que le mur est ouvert à tous tandis que l'accès à l'esplanade des mosquées est limitée pour les non-musulmans (horaires limités, 1 seul passage ouvert, livres saints autre que le Coran interdits). En réalité, les musulmans cherchent à empêcher les juifs de venir prier sur l'esplanade. Le guide oublie de préciser qu'Israel a plusieurs fois interdit l'accès de l'esplanade aux musulmans eux-mêmes (suite à des attentats) et que les juif intégristes ne sont pas en reste quand il s'agit de faire des esclandres : ils souhaitent en réalité construire un nouveau temple au milieu de l'esplanade, voire détruire la mosquée Al-Aqsa. Il faut dire qu'il y a là un conflit religieux inextricable. Les juifs pleurent depuis des millénaires la perte du Second Temple détruit par les romains, construit par Herode pour remplacer le Premier Temple de Salomon. C'est leur lieu saint le plus important et il se trouve sur l'esplanade des mosquées. Car voilà : tandis qu'il dormait tranquillement à La Mecque, le prophète Mahomet fut réveillé par l'ange Gabriel avant de s'envoler sur son cheval magique vers Jérusalem (je ne fais que rapporter les faits...). Là il arrive pile sur l'emplacement de l'ancien temple d'où il s'envole vers les cieux pour rencontrer des tas de gens importants comme Jesus, Moïse et même Dieu avec qui il négocia le nombre de prières journalières. Et donc voilà : l'esplanade des mosquées devient le 3eme lieu saint de l'islam tout en étant le premier lieu saint du judaïsme... Vue les relations tendues entre les deux communautés, on imagine mal la mise en place d'un temple oecuménique... Heureusement Jesus a eu le bon goût de se faire crucifier à quelques centaines de mètres de là ce qui fait que le premier lieu saint du chistrianisme n'est pas exactement au même endroit. Ainsi, après quelques guerres sanglantes (les croisades), les chrétiens ont pu négocier le droit de venir en pèlerinage et on a laissé leur église tranquille.
Justement le Saint-Sépulcre constitue la suite de la visite guidée. D'abord, on traverse un petit bout du quartier musulman où le guide nous raconte les piliers de l'islam. On apprend aussi que des groupes de juifs fondamentalistes lèvent des fonds pour racheter à prix démentiel des habitations musulmanes dans le quartier. Leur but : repeupler le quartier de juifs et ainsi reprendre Jérusalem... Autant dire que la réaction musulmane devant ces tentatives n'est pas complètement pacifique.
Nous traversons une rue et nous voilà dans le quartier chrétien : en réalité un quartier mixte. L'empire ottoman, en manque d'argent, vendit quelques terrains aux églises mais de nombreux musulmans y vivent encore. Devant le Saint-Sépulcre, les échoppes vendent croix, chapelets, et eaux bénites en bouteille. L'église elle-même est envahie à la fois par des groupes de touristes et des groupes de pèlerins : le guide nous conseille de revenir la visiter en soirée. Les chrétiens n'ont pas le temps de se disputer avec les juifs et les musulmans car ils dépensent toute leur énergie à se disputer entre eux. Le lieu saint est géré à la fois par l'Église catholique et plusieurs églises orthodoxes ce qui crée des conflits réguliers (il y a même des bagarres de popes et curés). Certaines parties de l'église appartenant aux zones communes sont laissées en décrépitude par ce qu'on pourrait appeler un blocage administratif. Les ottomans servirent parfois d'arbitres neutres : ainsi ce sont encore aujourd'hui des familles musulmanes qui sont en charge des clés de l'église...
La visite se termine et je rejoins mes collègues qui m'attendent à la porte de Jaffa. J'ai partagé la visite avec Daniel, rencontré le matin à l'auberge : un ingénieur franco-ivoirien issu de la tribu de Dan et qui a décidé de retrouver ses racines juives oubliées (sa famille est évangéliste). Il prépare son "Alya", c'est-à-dire son retour en terre sainte et part demain pour un kibboutz. Nous partons tous déjeuner sur la terrasse de l'auspice Autrichien en plein coeur de la vieille ville. Il fait moins froid qu'hier et, à l'abri du vent, il est agréable de s'asseoir au soleil. Plus tard, nous montons sur le toit et admirons la vue splendide sur la ville.
Daniel s'en va prier au mur tandis que je suis mes collègues qui veulent visiter le Mont des Oliviers. Pour cela, il nous faut à nouveau traverser le quartier musulman et rejoindre la porte du Lion d'où nous sortons de la vieille ville et descendons la colline pour nous trouver au pied du mont. Là se trouve Gethsemane où Jesus pria avant d'être arrêté. L'église qui marque l'endroit date du XIXème siècle et n'a pas d'intérêt particulier autre que symbolique. La vraie beauté du mont se trouve dans son ascension. Nous traversons le cimetière juif qui le recouvre. Les pierres blanches prennent des couleurs dorées sous le soleil couchant créant un décor étrange, paisible et minéral. Au sommet du mont, une plate forme nous permet d'admirer la vue sur la vieille ville. L'esplanade des mosquées se dévoile enfin. Nous restons jusqu'au coucher du soleil puis, refusant les taxis, redescendons le mont avant de remonter vers la porte du Lion.
Dernière étape de la journée : la visite du Saint-Sépulcre. Bien que la nuit soit tombée, la foule est encore bien présente. L'intérieur de l'église est assez chaotique comme l'avait annoncé le guide. Nous montons vers ce qui aurait été le Golgotha, aujourd'hui une chapelle dans le style orthodoxe le plus coloré. J'ai du mal à comprendre la structure globale du lieu : ça monte, ça descend, il y a des pièces un peu partout. Plusieurs points semblent attirer la ferveur chrétienne. Le plus important est celui marquant le lieu supposé de la tombe de Jésus, retrouvé par Hélène mère de l'empereur Constantin. Y trouvant un temple païen, elle le fit détruire pour construire une église. Celle-ci fut détruite par les Perses : celle que nous visitons aujourd'hui a été construite lors des croisades. La supposée tombe de Jesus est marqué par un immense monument (en travaux). Les pèlerins forment une longue file tout autour, patientant pour s'enfoncer vers l'intérieur, dans la fameuse grotte (ou ce qu'il en reste après 2 millénaires de dévotion) où aurait été enterré Jésus avant de ressusciter comme chacun sait. Nous n'avons pas la patience de faire la queue (1h ? 2h ? Ça n'avance pas très vite en tout cas) et repartirons donc sans descendre au Saint Sépulcre.
Je quitte définitivement la vieille ville et remonte vers l'auberge. La nuit est tombée et le Shabbath est donc terminé. Les rues ont repris leur animation, le tramway, les voitures et les bus roulent de nouveau. C'est là que s'achève mon voyage. J'aurais juste le temps de faire un tour au marché Yehuda le dimanche matin pour faire des réserves de dates, figues, et pâtisseries. Puis ce sera l'heure de monter dans le Sheirut (taxi collectif) qui me ramènera à l'aéroport de Tel Aviv. Je reviendrai peut-être un jour visiter le reste de ce territoire source de passion, de ferveur religieuse, de guerres, et qui cristallise les conflits mondiaux depuis tant de temps...