Baranquilla et Carthagène

Retour en Colombie deux ans après mon voyage à Medellin qui m'avait laissé une merveilleuse impression. De nouveau, je suis là pour le travail : je participe à une école de recherche internationale. Cette fois, je suis à Baranquilla. J'arrive un mardi en milieu de journée après un long voyage le lundi depuis Paris et une nuit trop courte à Bogota. En sortant de l'avion, je suis assaillie par la chaleur tropicale avant de traverser la ville en taxi pour rejoindre l'université au nord. Autour de nous, je vois un paysage urbain qui m'évoque n'importe quelle grande agglomération des Caraïbes. Les petites maisons basses s'enchaînent, décorées de bric et de broc, envahies de végétation tropicale. On trouve aussi des boutiques et des cafés où s'affairent les habitants dans des cours en terre ou en béton nu. Malheureusement, il y a aussi des décharges à ciel ouvert, des bidonvilles et de la pauvreté plus moderne dans ce qui ressemble à des tours HLM brûlées de soleil, décorées d'antennes paraboliques et de systèmes de climatisation.

De la ville elle-même, je verrai assez peu. Nous logeons dans un quartier en périphérie nord, dans un grand hôtel luxueux et moderne : une tour au milieu des tours. Nous explorons les rues alentours et prenons nos habitudes dans les restaurants du coin. Le quartier est plutôt chic. Les rues sont larges, géométriques et les trottoirs plantés de manguiers. On navigue entre les hautes tours dans la chaude nuit tropicale et rentrons nous rafraîchir dans les salles climatisées. On trouve un mélange de bars et restaurants locaux, dont souvent s'échappe de la musique, et d'enseignes plus internationales aux inspirations européennes, nord-américaines ainsi que du moyen-orient. Il y a, par exemple, un très bon restaurant libanais ainsi qu'une petite cafétéria qui sert des smoothies, salades et plats végétariens à base de falafels, ou encore un restaurant "pizza et sushis". Les prix quasi-européens et la population plutôt blanche me font penser que ce genre de lieu est réservé aux classes moyennes et aisées, bien loin des bidonvilles que j'ai vus en arrivant.

L'université est encore plus loin au nord de la ville. Nous nous y rendons en taxi tous les matins. Ce sont les mêmes taxis jaunes que je prenais à Medellin mais ici, ils n'ont pas de compteur et il faut négocier les prix. "Universitad del Norte por favor? Si, diez esta bien". Environ 20 minutes de trajet et un prix fixe à 10000 pesos (soit environ 3 euros). Le campus est agréable, vert et aéré, planté de manguiers et autres arbres tropicaux. C'est une université privée et toutes les salles de cours sont climatisées. Ce qui fait l'originalité du campus, ce sont les animaux. Il y a tout d'abord les chats, très nombreux et que l'on voit étalés paresseusement un peu partout, puis les magnifiques oiseaux et enfin, le clou du spectacle : les iguanes. On me dit qu'ils montent aux arbres, mais je ne le verrai qu'une seule fois. La plupart du temps, nous les repérons au sol, dans l'herbe ou sur le trottoir. Ce sont des animaux imposants dont la couleur varie entre le vert et le orange en passant par le gris. Il ont tous une longue queue striée de rayures noires. À l'arrière de leur tête, se dresse une crête qui descend tout le long de leur épine dorsale. Ils ressemblent à des dragons miniatures.

Pour déjeuner, nous avons trouvé un délicieux petit restaurant. Il faut sortir du campus, passer au dessus d'une première route par une passerelle, puis en dessous d'une seconde route par un tunnel. Et nous voilà dans ce qui ressemble à une cour privée, installés sur des grandes tables en plastique sous un auvent. Une légère brise rend la température agréable. Autour de nous : des chats, des chiens, des poules, et des perruches dans une cage. Pour 10000 pesos, on a un menu complet : une viande (ou un poisson) grillé accompagné de riz et de légumes, un délicieux bouillon qu'on assaisonne de citron vert pressé et l'exquise "Aguapanela" ou jus de cane à sucre.

Mes journées sont donc dédiées au travail dans la chaleureuse ambiance du groupe international dont je fais partie. Quand vient le soir, l'ambiance devient une fête et la danse prend possession de nous. Je ne sais pas si cela vient de moi ou de Baranquilla, mais la danse ici m'a semblé encore plus intense, plus profondément ancrée dans les mœurs qu'à Medellin où je découvrais pourtant la salsa pour la première fois. Nous sommes très nombreux, assez pour arriver en grappe dans un bar vide et le transformer en fête. Il y a, bien sûr, toutes les danses locales : la salsa, le merengue, la rumba et d'autres que je ne sais pas nommer. Le samedi soir, nous sommes allés jusqu'à la plage, en dehors de la ville, où un groupe local a joué du Mapale. C'est une musique toute en percussion, avec une flûte comme seul instrument mélodique. On ressent en particulier beaucoup l'origine africaine. La danse consiste à faire vibrer l'ensemble de son corps d'une façon très rythmée et rapide et à maintenir cette vibration tout en se déplaçant avec son partenaire. Le mouvement est tellement intense et fou que l'on croit entrer dans une espèce de transe qui ne s'arrête qu'à l'épuisement. Une autre fois, on écoute un groupe local dans un restaurant. Le chanteur lance sa complainte d'une belle voix. Le rythme de la rumba est donné par la percussion et le principal instrument est un petit accordéon.

Si les musiques traditionnelles ont toujours la cote, elles ne sont pas les seules à avoir voix au chapitre. Alors que la soirée avance, les rythmes latinos se mêlent à un beat de boîte de nuit plus international. Ce sont des tubes que tout le monde semble connaître ici mais que je n'ai jamais entendu. Les paroles sont en espagnol. Le rythme emporte le groupe comme une vague. Les Colombiens et autres Sud-Américains dansent tout aussi bien sur ces musiques là que sur de la salsa et leur énergie entraîne même les plus timides dans la folie de la danse.

Lorsque le week-end arrive, nous avons déjà plusieurs soirées de fête derrière nous et sommes donc assez fatigués. Mais nombreux sont ceux qui se lèvent tôt (voire très tôt) le dimanche matin pour aller visiter Carthagène. La ville se trouve à 2h de route. Je prends un bus local avec quelques autres à 9h30 et nous voilà sur la route. Le bus n'est pas aussi folklorique que celui qui m'avait conduit à Guatape il y a deux ans. C'est une petite camionnette climatisée et les sièges sont confortables. Nous filons sur l'autoroute et quittons rapidement la ville et sa banlieue. Le paysage se vide de toute présence humaine et n'est plus qu'une longue étendue verte de végétation tropicale.

Nous arrivons à Carthagène en fin de matinée. Le ciel est légèrement voilé ce qui est sans doute mieux car il fait très chaud. Pour rejoindre la vieille ville, il nous faut marcher un moment le long d'une route balayée de vent et de sable. Sur notre droite : la mer grise, la plage et ses petites tentes à louer. À gauche : de hauts hôtels accablés de chaleur. Puis nous apercevons enfin les fortifications et entrons dans la veille ville. Les rues sont étroites et fraîches, colorées, avec des maisons de style colonial décorées de petits balcons. Parfois nous entrons dans la cour d'un hôtel, souvent un ancien couvent, et admirons les coursives couvertes de végétation. Le lieu est très touristique. Des vendeurs ambulants nous proposent babioles et contrefaçons. Des femmes noires portent des robes aux couleurs de la Colombie qui me rappellent des Madras et nous vendent des fruits frais.

En début d'après-midi, nous retrouvons un groupe de la conférence au pied du "château", le fort San Felipe, principal monument des fortifications de la ville. Comme nous sommes nombreux, nous décidons de payer une visite guidée. Nous découvrons ainsi comment les espagnols sont arrivés ici au 16ème siècle et ont pillé les populations indigènes locales de l'or qu'ils portaient en bijou. Comment ils ont ainsi fait de Carthagène un des ports le plus important et le plus convoité de l'Amérique du Sud, point central du commerce dans la région. Ce commerce inclut celui des esclaves arrivés d'Afrique qui construisirent les fortifications que nous visitons actuellement, principalement à base de corail. Le guide est particulièrement impliqué : il nous mime les batailles en utilisant une bouteille d'eau comme fusil. La ville est régulièrement attaquée et pillée par les pirates français et britanniques. Nous apprenons toutes les techniques de défense mises en place dans l'architecture du monument. La dernière attaque fut menée par les britanniques qui furent mis en défaite par la dysenterie et la fièvre jaune. De là où nous sommes, nous voyons en effet que la ville s'avance dans la mer, entourée de lagunes et de mangroves. En 1911, Carthagène profite des guerres napoléoniennes pour se révolter contre l'Espagne. Quelques années plus tard, avant que l'indépendance ne soit définitivement acquise, les Espagnols revinrent et réprimèrent la révolte dans le sang. Le guide insiste sur ce passé douloureux en comparaison de la prospérité actuelle. La visite a duré longtemps. L'après-midi est maintenant bien avancée et nous décidons de retourner vers le central de bus pour être sûrs d'avoir un billet. Cette fois, nous ne passons pas par la plage et traversons à la place un quartier populaire, découvrant un autre aspect de la ville peut-être plus authentique que le centre touristique. On passe devant les petits cafés et échoppes, très animés en ce milieu de week-end. À 17h, nous sommes dans le bus de retour direction Baranquilla.

Le lendemain est encore férié et nous passons une journée plus calme avant d'aller à la plage en fin d'apres-midi. Tout le monde nous déconseille les plages publiques trop proches de la ville (sales ? dangereuses ?) et nous rejoignons donc une plage privée avec un bar-restaurant. La mer des Caraïbes est chaude, balayée d'agréables vagues. Le soir, l'excès de soleil et de fatigue me donne une migraine. Je ne suis pas la seule à être fatiguée lorsque la conférence reprend le mardi. Les premières soirées sont calmes mais la danse revient vite : le mercredi puis le jeudi et enfin bouquet final le vendredi, dernière vraie soirée de la conférence. Les organisateurs ont loué des "chiva" qui font visiblement partie de la tradition Colombienne. Ce sont des bus de fête, le principe étant qu'on monte dans le bus, qu'on met la musique très fort et qu'on fait le tour de la ville en dansant et en criant. Le bus est plein de couleurs et de lumières et les fenêtres sont grandes ouvertes. On parcourt Baranquilla sans la voir et on se laisse vibrer au rythme de la musique et des dos d'âne en essayant d'éviter les attaques à la farine de maïs de la part des autres passagers (étrange tradition locale). Les Colombiens nous servent des petits verres d'aguardiente (alcool local très fort au goût d'anis, qui rappelle le raki). Le bus fait deux arrêts : pour voir la rivière (étrange pause calme au milieu de la folie) puis dans un bar où la danse et les cris semblent s'intensifier de plus belle, avant de nous déposer définitivement à La Troja, bar traditionnel. Tout est plein et nous sommes simplement installés sur le trottoir, enchaînant les salsas dans la nuit chaude, nous étalant jusque sur la route où filent les taxis jaunes. Dans l'air, flotte une odeur de viande grillée venant d'un petit stand. Des vendeurs nous proposent des chips de plantain et des fruits frais.

C'est la dernière vraie soirée de la conférence. Le samedi, ont lieu les derniers exposés puis déjà beaucoup repartent vers Bogota ou ailleurs. Le soir, je retourne dîner à la plage et admirer le coucher de soleil. Puis, de retour à l'hôtel, je rejoins le groupe sur le toit-terrasse où nous avons pris l'habitude de terminer les soirées au bord de la minuscule piscine. Baranquilla s'étale autour de nous dans la nuit telle une immense mer urbaine et lumineuse. L'air est chaud, balayé d'une légère brise. On admire les nuages qui filent à toute vitesse devant les étoiles. Je connaissais la Colombie de Medellin, celle de l'intérieur et des montagnes. Maintenant, j'aime aussi la Colombie tropicale de la côte Caraïbe avec sa chaleur lourde, ses pluies soudaines et intenses, ses plages et sa folie de danse et de musique.

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Retour en Irlande

Voilà bientôt 10 ans que j'ai quitté l'Irlande, précisément fin juillet 2008. La dernière fois que j'y suis retournée, c'était en 2010 alors que Seb était lui aussi rentré en France. Nous avions encore de nombreux amis là bas. Depuis, beaucoup ont déménagé aux 4 coins du monde et moi je n'ai pas revu Dublin depuis 8 ans. L'idée de ce nouveau voyage m'a tout de suite plu. Nous n'y allons pas seuls. Nous voyagerons, pour la première fois, avec nos deux nièces S. 12 ans et E. 13 ans. Ce sera l'occasion de leur faire découvrir ce pays qui fut le notre pour un temps.

Les péripéties commencent à l'aéroport, avant même le départ. Les filles sont avec nous, encore un peu timides car elles ne se connaissent pas, n'ont jamais voyagé avec nous et n'ont pas trop l'habitude de l'avion. Alors que nous pensions avoir pris toutes les précautions nécessaires, nous découvrons que notre vol part une heure plus tôt que prévu ! L'information avait été envoyée dans un mail assez obscur que Seb pensait avoir pris en compte. Nous qui nous pensions à l'heure sommes donc en retard et c'est de justesse que nous pouvons enregistrer les bagages. Mais les problèmes ne s'arrêtent pas là. Grèves, avion plein, surbooking : derniers enregistrés, nous voilà sur liste d'attente. Il reste 3 places et nous sommes 4. Nous décidons de faire embarquer Seb et les filles et de laisser mon sort en suspens. Il faut que j'attende que tous les passagers enregistrés montent dans l'avion et si l'un d'eux manque à l'appel, je pourrai prendre sa place. Sinon je serai reléguée sur un vol demain matin. Je vois passer la file qui se dirige vers le bus. Ils sont tous là sauf un. Le steward appelle l'équipe à bord cherchant un certain Mr. O'Sullyvan dont l'ami, bien qu'enregistré, n'a pas passé l'embarquement : l'ont-ils loupé ? Est-il absent ? Est-il en retard ? Mon sort en dépend ! Personne n'arrive. Je suis le steward dans le petit bus, puis dans l'avion (après tout le monde) et patiente, dans l'incertitude, pendant qu'il vérifie que "ma" place est libre. C'est bon ! L'ami de Mr. O'Sullyvan n'a pas quitté l'Irlande, il n'est donc pas là pour son vol de retour et c'est moi qui prends sa place.

Après ce début un peu aventureux, le vol se passe sans encombre et les formalités d'entrées sont particulièrement rapides. Je retrouve l'aéroport de Dublin, si familier bien qu'un nouveau terminal ait poussé depuis la dernière fois. Nous récupérons notre voiture de location et roulons jusqu'à Portmarnock à quelques kilomètres au nord de la ville. La conduite à gauche, les panneaux, les routes : toutes ces petites choses qui me rappellent le temps passé ici et mes trajets quotidiens vers Swords où je travaillais.

Nous logeons au White Sands Hotel. En nous réveillant jeudi matin, nous découvrons un ciel bleu, éblouissant de soleil sur la mer. Après le petit déjeuner irlandais (oeufs brouillés, bacon et "black pudding"), nous nous promenons un peu sur la plage pleine de rochers et de coquillages. Au sud, la presqu'île de Howth s'avance, découpant le ciel et la mer de ses falaises verdoyantes. Enfin, nous prenons la voiture et commençons notre voyage : direction l'ouest.

La route vers Galway est tranquille. L'autoroute traverse les pâturages ou paissent vaches et moutons ainsi que les champs de tourbe fleuris de joncs. Le temps est irlandais : des éclaircies lumineuses entrecoupées d'averses. À l'arrière, les filles se sont endormies. Nous atteignons Galway en début d'après-midi. Le temps est frais et ensoleillé. Nous nous garons sur le port et marchons vers le centre-ville pour déjeuner.

Deuxième (et dernière) mésaventure du voyage dont je suis à nouveau victime : alors que je marche sur le trottoir, une voiture garée m'ouvre sa portière dessus. La jeune femme semble désolée. Je suis un peu abasourdie par le choc de la collision soudaine. Je m'assois un peu plus loin pour reprendre mes esprits. Je vais bien mais la douleur au niveau du genou me suivra le reste du voyage (coup sur la rotule : rien de grave mais il faut quelques jours pour que ça passe). Ça ne sera vraiment handicapant que le jeudi, jour du choc. Par la suite, je ne subirai les quolibets de Seb (et l'air compatissant des filles) que lorsque je devrai monter ou descendre un escalier. En tout cas, c'est en boitillant que je traverse le centre-ville de Galway à la recherche d'un café pour déjeuner.

La ville est aussi charmante que dans mon souvenir. La rue piétonne est animée de musique. Les boutiques et les restaurants se succèdent au pied des maisons colorées. Nous prenons des sandwichs dans un vieux pub puis marchons vers l'office de tourisme. Que faire cet après-midi ? La décision est vite prise : nous irons visiter le Connemara dont le nom suscite la curiosité des filles.

De Galway, nous roulons vers l'ouest, le long de la "Wild Atlantic Way". Petit à petit, les maisons se font plus rares et le paysage prend des allures sauvages et décharnées. La mer semble grignoter la terre, formant de longues flaques grises parsemées d'îlots. Les verts pâturages ont laissé la place à une herbe jaune et sèche poussant sur la tourbe balayée par le vent. Il n'y a plus d'arbres. Les champs, où paissent chevaux et moutons, sont séparés par des petits murets de pierre. Au loin, on voit se découper de hautes collines. Seb et moi avons déjà visité la région il y a longtemps, lors de notre séjour en Irlande. L'impression reste la même : celle d'une grande beauté sauvage qui évoque aussi la rudesse et la désolation. À l'époque, nous étions allés jusqu'à Clifden dont je garde le souvenir venteux d'une ville de bout du monde. Aujourd'hui, nous n'allons pas si loin car l'après-midi est déjà bien avancée. Nous nous contentons de rouler sur un chemin de traverse, de nous arrêter au milieu de nulle part et de descendre marcher un peu dans l'herbe jaune, la tourbe et le vent. Puis nous reprenons la route de Galway en passant par l'intérieur des terres, admirant au passage les petits lacs argentés qui apparaissent au détour des chemins.

Ce soir, nous logeons à une trentaine de kilomètres au sud de Galway, à Kinvarra, de l'autre côté de la baie. Nos hôtes ont aménagé d'anciennes étables en un agréable petit appartement. Ils habitent la maison juste à côté et nous accueillent chaleureusement. La journée a été longue, nous dînons le soir dans l'un des deux pubs du village puis rentrons nous coucher tôt après quelques parties de "Loup Garou", jeu de société qui remporte la pleine adhésion du public.

Vendredi matin, le soleil brille sur Kinvarra, ce qui n'est pas si courant. La journée commence paresseusement. Les filles dorment encore tandis que nous dégustons le délicieux "soda bread" fait maison et étudions le programme de la journée. Finalement, tout le monde est prêt vers midi et nous pouvons partir. Notre hôtesse, volubile professeur de géographie, nous a imprimé un programme touristique détaillé rédigé par ses soins. Il est parfait, nous pouvons le suivre à la lettre, les instructions étant particulièrement claires. Nous commençons par une jolie promenade à quelques kilomètres de Kinvarra qui offre de magnifiques points de vue sur la baie de Galway. Puis nous visitons une jolie abbaye en ruine juste avant la petite ville de Ballyvaughan où nous déjeunons.

C'est le point d'entrée vers les Burren, région minérale aux propriétés géologiques intéressantes. Ce sont de grandes collines recouvertes de roches formant d'étranges lamelles et crevasses. Toujours sur les conseils de notre hôtesse, nous allons à la grotte de Aillwee "montagne jaune" (ou "very dark cave" d'après la série Father Ted). Sur le même lieu, ils ont aussi un centre de conservation pour oiseaux de proies. Nous voyons chouettes, hiboux, aigles, vautours, etc. Nous assistons même au spectacle de démonstration où les oiseaux sont libérés pour être nourris et écoutons les nombreuses explications que nous traduisons pour les filles. Nous apprenons ainsi que les vautours, mal aimés, sont menacés d'extinction ce qui semble bien malheureux. Je me porte volontaire pour tenir le faucon sur mon bras ce qui convainc les filles d'essayer à leur tour. Elles semblent ravies de voir le bel oiseau de si près. Ensuite, nous visitons la grotte. Là encore, un guide nous donne diverses explications sur l'histoire géologiques des Burren.

Quand nous sortons, l'après-midi est bien avancée. Nous faisons un dernier détour pour admirer un beau dolmen puis filons vers Doolin pour aller visiter les Cliffs of Moher. Célèbre attraction touristique irlandaise, j'en ai vu de nombreuses images sans avoir jamais l'occasion d'y aller. En arrivant à 18h30, la masse de touristes est partie, nous avons les falaises pour nous. La journée a été ensoleillée et, miraculeusement, toujours aucune pluie. Le soleil du soir filtre à travers les nuages sur la mer d'argent. Les hautes falaises se tiennent, majestueuses, dans le vent. À leurs pieds, les gerbes d'écume semblent minuscules. Des oiseaux volent en poussant des cris le long de leurs flancs où ils ont fait leurs nids. Nous restons un moment à nous promener et admirer le paysage avant de rejoindre la voiture et de redescendre vers le village où nous dînons dans un pub. Nous remontons vers Kinvarra par la route de la côte. Le ciel est encore clair et nous profitons du crépuscule sur la mer tandis que la nuit tombe sur les Burren.

Le lendemain, c'est déjà le moment de revenir vers Dublin. Nous quittons Kinvarra en fin de matinée. Nous faisons une pause au sud d'Athlone pour visiter l'abbaye de Clonmacnoise (encore un conseil de notre hôtesse). Le soleil est toujours au rendez-vous et nous pique-niquons dehors. Il est 16h quand nous arrivons à Dublin et traversons le centre-ville en voiture, ravivant mes souvenirs. Nous logeons à Artane, dans le nord de la ville pas très loin de Coolock où nous avions habité. Nos hôtes sont une famille irlandaise qui loue plusieurs chambres dans leur grande maison. Lui a longtemps travaillé dans la construction ce qui explique les importants travaux qu'ils ont pu réaliser. Ils ont survécu, difficilement, à la crise qui a frappé Dublin en 2008 et se réjouissent de la reprise récente de l'économie.

Après une tasse de thé, nous ressortons et rejoignons à pied le parc St Anne où nous retrouvons notre ancienne colocataire espagnole Maria avec son compagnon irlandais et sa fille de deux ans. Maria habite à présent la banlieue sud, du côté de Wicklow, mais elle est montée dans le nord aujourd'hui pour voir sa soeur qui habite à Artane et attend un bébé. Maria a vécu avec nous à Coolock. Sa soeur l'avait rejoint peu de temps après notre départ et avait, elle aussi, vécu dans "notre" maison. Avec Maria, marchant le long des allées ensoleillées de St Anne, nous évoquons notre vie irlandaise, prenons des nouvelles et pensons au temps qui passe. Nous traversons le parc arrivons sur le front de mer. Derrière la plage brune, laissée nue par la marée basse, se profile Bull Island et sa lande venteuse.

Maria et sa famille repartent et nous prenons un taxi vers le centre-ville. Il nous dépose sur Parnell street, juste devant notre ancien appartement, où nous avons vécu après notre départ de Coolock. Les choses ont peu changé. Les restaurants chinois sont encore plus nombreux et le tramway passe à présent dans la rue. Nous descendons O'Connell street, montrons le Spire aux filles et rejoignons O'Connell Bridge puis Grafton Street. Je suis triste de voir que la statue de Molly Malone a déménagé. Je voulais dîner au Bewleys mais, malheureusement, il est fermé le soir. Il nous faut trouver un restaurant ce qui s'avère très difficile (et nous rappelle ce problème de nourriture très dublinois). Nous tournons en rond pendant presqu'une heure avant de nous asseoir, épuisés et affamés, sur une table en extérieur dans un restaurant de burger. Une table à l'intérieur se libère peu après et nous pouvons, enfin, dîner au chaud.

Et voilà que, déjà, le voyage se termine. Le lendemain, nous retournons une dernière fois dans le centre et marchons le long de Henry street. Les petites boutiques ont sans doute changé mais pas les grandes enseignes qui faisaient mon quotidien. Il y a toujours les centres commerciaux Jarvis et Ilac (avec la bibliothèque à l'étage), Debenham, Mark & Spencer et, bien sûr, Penneys qui s'est fait connaître à l'international sous le nom de Primark. Les filles vont y faire des achats, vêtements qui représentent aussi bien Dublin que les trèfles et les moutons qu'elles achèteront plus tard à Carrolls. Sur O'Connell street, la litanie de musique irlandais de la boutique de souvenirs se déverse toujours du matin au soir. Comme un dernier hommage à notre vie passée, nous déjeunons dans un restaurant coréen. C'est ici que j'ai découvert la gastronomie coréenne et, pour moi, le bibimbab évoquera toujours Dublin. Puis nous retournons à l'aéroport : direction Paris où nous attend la pluie. Adieu Irlande !

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Montréal mon amour

Je suis tombée amoureuse de Montréal lors de ma première visite en 2011. Je me souviens en particulier de ma première journée à arpenter seule la ville dans la fraîcheur de l'automne sous les arbres dorés. Depuis, de nombreuses fois je suis revenue, logeant ici ou là. À chaque fois, mon attachement s'est accru. J'y ai des amitiés, des souvenirs, des habitudes. J'y ai vécu sans y vivre, ne restant jamais plus de quelques semaines.

Cette fois-ci, je reviens pour trois semaines après deux ans d'absence. La ville m'a manqué et je la retrouve avec plaisir. Tout de suite, la mémoire des lieux me revient : les rues, les métros, l'organisation générale. La première fois, j'habitais un petit hôtel sur Sherbrooke, à 5 minutes du bâtiment de maths de l'UQAM qui se trouve derrière la place des Arts. Revenue quelques mois plus tard, je m'installais sur Côte des Neige près de l'UdM, autre université francophone. Le quartier me plut moins. Pour mon troisième voyage, je restais un mois entier et sous-louais l'appartement d'un ami sur le plateau, au niveau du Parc La Fontaine, le quartier que je préfère. Cette fois ci, je m'installe plus au nord sur Rosemont dans un magnifique AirBnb tenu par un couple de Français.

Le quartier est plus résidentiel, plus calme que le fameux plateau, son voisin du sud. Mais cependant, l'épidémie de petits restos, de boutiques vintages et d'épiceries bio le contamine petit à petit. Ma rue est très tranquille : jolies maisons de briques découpées en petits appartements auxquels on accède par des escaliers extérieurs et des balcons en fer forgé. Elle est plantée de hauts arbres et ses minuscules jardins sont fleuris de lilas. Bien qu'epuisée de décalage horaire et abrutie d'avion, je sors dîner dans la rue Beaubien et rejoins un petit parc quelques rues à l'est.

C'est peut-être exactement ici qu'à la fin des années 30, se sont rencontrés les parents de mon amie Marie. Sa mère, fille de bûcherons des Laurentides venue travailler à Montréal pour l'été en "se plaçant" dans une famille riche d'Outremont. Et son père, fils d'un professeur, issu du milieu plus instruit mais plus stricte de la petite classe moyenne francophone. Je ne sais pas où se trouvait l'échoppe qui servait de restaurant où ils se sont vus pour la première fois. Mais la maison des grands-parents de Marie était juste là, rue Molson, donnant sur le parc. Et son père a passé ses premières années à jouer dans le kiosque qui existe encore aujourd'hui. À l'époque, Rosemont était un quartier populaire mais cependant moins pauvre que le plateau ou Saint-Henri. Les ouvriers qui avaient réussi à se sortir de la misère venaient s'y installer. Je ne sais encore rien de tout cela tandis que je profite de la douceur du soir à la terrasse d'un café, avalant ma pizza en essayant de ne pas m'endormir...

Le lendemain, me voilà d'attaque pour me balader dans la ville. Comme lors de mon premier séjour, j'ai tout un dimanche à moi avant de commencer à travailler le lundi. Seulement, cette fois, la ville n'est plus une inconnue et je suis moins solitaire. Je rejoins mon ami Jake qui habite pour l'été un bel appartement donnant sur le parc Jeanne Mance et le Mont Royal. Anglophone originaire de Montréal, il est temporairement de retour dans sa ville natale et prend au moins autant de plaisir que moi à la parcourir. Nous profitons du soleil pour pique-niquer dans le parc puis parcourons les rues du plateau. Il m'emmène goûter un bagel cuit au four au coeur du quartier juif. C'est une spécialité : "Comment ça, tu n'as jamais mangé un bagel de Saint-Viateur ?". Le soir, je dîne avec un autre ami qui, lui aussi, vit sur le plateau: belles retrouvailles avec la ville pour ce premier jour.

La première semaine de conférence se déroule à l'UQAM, juste derrière la place des Arts. Après m'avoir offert une belle journée, Montréal est revenu à la pluie et au froid assez inhabituel pour cette fin mai. Le printemps a été très mauvais me dit-on : de la pluie qui a débordé partout en graves inondations. Les habitants en ont marre, après les très longs mois d'hiver, ils veulent l'été. Cependant, entre les gouttes, je profite des rayons du soleil pour jouer sur les balançoires musicales installées devant l'université. Lorsque je sors à midi, je déjeune dans l'étrange friperie du boulevard Saint-Laurent qui fait aussi restaurant. Lors de mon premier voyage en 2011, j'y avais loué un exubérant costume d'Halloween dont je me souviens encore aujourd'hui.

La semaine passe, le week-end revient avec un temps un peu meilleur. Je passe le samedi avec mon amie Marie. Nous déjeunons dans un restaurant assez simple mais qui sert du pain doré et des oeufs bacon. Puis, l'après-midi, nous nous promenons et faisons quelques courses au marché Jean Talon. Elle me dit qu'autrefois, ce n'était que des petits producteurs locaux et des produits assez simples mais sa popularité grandissante auprès des touristes et nouveaux habitants français le change petit à petit. Le dimanche, je descends à pied du nord de Rosemont où je loge jusqu'au plateau. Le boulevard Saint-Laurent traverse la Petite Italie où l'on trouve les cafés, les restaurants, les épiceries et aussi, sans doute, la mafia. Le dimanche soir, je chante du Jazz à "l'open mic" du dièse 11 que j'ai découvert lors de mon dernier voyage il y a deux ans.

Deuxième semaine, cette fois je suis à l'UdM : au nord, de l'autre côté de la montagne. Depuis la plateforme légèrement surélevée de l'université, on a une très belle vue sur le nord de la ville qui se perd dans les nuages. Très vite, je retrouve mes habitudes. À midi, on descend la colline pour rejoindre Côte des Neige, et, systématiquement, je choisis de déjeuner à "Première Moisson" qui fournit aussi les croissants des pauses cafés. La semaine commence pluvieuse et froide puis le beau temps arrive brusquement et le week-end s'annonce magnifique.

Samedi, Jake propose de me faire visiter le quartier de Saint-Henri au sud ouest de la ville. Autrefois, ce fut l'un des plus pauvres de Montréal. Il abritait les tanneries puis les usines et les populations ouvrières qui y travaillaient. Il est le lieu du roman Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy que je n'ai pas (encore) lu qui décrit le quartier dans les années 40. Autre quartier ouvrier, le plateau, avait entamé sa transformation dès les années 80, devenant rapidement le nouveau coeur à la mode de la ville. Pour Saint-Henri, la transformation est beaucoup plus récente, c'est le "nouveau plateau" me dit Jake. Peut-être est-ce la proximité de l'université Columbia ou juste la mutation économique de la ville. Le marché Atwater a été réhabilité. Les usines ont fermé et ont été transformées en appartements à la mode. Alors que nous pique-niquons sur les rives du canal de Lachine, les familles se baladent à vélo sur les berges ensoleillées.

Nous longeons le canal vers l'ouest puis tournons tranquillement vers le nord. Nous traversons la "Petite Bourgogne" qui a historiquement accueilli la population noire de la ville, descendant des esclaves américains et travaillant dans les chemins de fer. La gentrification suit son cours et les nouveaux habitants ont la peau beaucoup plus claire. Nous retournons vers le centre-ville. La géographie de Montréal est assez étrange. La ville est découpée selon un quadrillage à l'américaine : grandes rues perpendiculaires orientées soit "est-ouest" ou "nord-sud". Cependant, l'orientation de l'île s'adaptant mal à cette logique implacable, le "nord" Montréalais des rues est en réalité le nord ouest selon les conventions classiques. Cela trouble beaucoup ceux qui ont un vrai bon sens de l'orientation et des points cardinaux. Ce n'est pas mon cas, et je considère facilement que le "nord" est là ou la ville l'a mit. "J'habite plus au nord. - Tu veux dire du côté du parc olympique ? - Non, je veux dire du côté de Jean Talon, je parlais du nord Montréalais…". Par ailleurs, il arrive que le quadrillage lui même se distende lorsque la géographie de l'île refuse de se plier à la géométrie des rues. Ainsi Jake me fait remarquer que bien que nous ayons l'impression de suivre une rue parallèle à Sainte-Catherine, nous marchons en réalité en arc de cercle et parcourons une distance beaucoup plus longue. Nous atteignons cependant le centre-ville et nous enfuyons rapidement en métro vers le plateau : c'est le week-end du "grand prix de Montréal" et nous n'avons aucun goût pour les voitures bruyantes et la foule qui les accompagne.

Depuis l'appartement de Jake en face du parc, il est possible de sortir par la fenêtre sur un petit balcon et, de là, de rejoindre le toit de l'immeuble par une échelle métallique. On a alors une très belle vue sur la ville. La montagne, comme on appelle le Mont Royal, s'élève juste devant nous à l'ouest surmontée de sa croix illuminée. De l'autre côté, on aperçoit le parc olympique et la biosphère plus au sud puis le centre ville dont les fenêtres des gratte-ciel reflètent les derniers rayons du jour. Au "nord", entre les toits et les nuages, le soleil se couche…

Le dimanche, c'est Marie qui me fait parcourir la ville. Elle m'emmène au nord, dans le quartier Ahunstic dont le nom vient d'un compagnon du missionnaire Nicolas Viel qui s'est noyé avec lui dans la Rivière des Prairies en 1625. Lorsque nous nous promenons dans le parc de la Visitation, la rivière m'a l'air pourtant bien tranquille. Ses rives boisées me rappellent les bords de Marne. Autour du parc, de très belles maisons entourées de jardins. C'est dans l'une d'elles que sont venus s'installer les grand-parents de Marie après avoir quitté Rosemont, s'éloignant encore un peu plus de la misère du plateau et rejoignant les notables de la ville. Cependant, il parait que leur maison rue Molson était magnifique et que sa grand-mère la regretta toujours. Marie me dépose chez moi en fin d'après-midi et je ressors en soirée pour aller, à nouveau, chanter au Dièse 11.

C'était mon dernier week-end, déjà la fin du séjour approche. Je sors tous les soirs cette dernière semaine profitant de l'effervescence du retour de l'été. Ici, l'hiver est si long à s'en aller que dès que les beaux jours reviennent, toute la ville semble exploser de gaieté. Il y a des festivals partout, de la musique partout. On ferme les rues : boutiques et restaurants s'étalent en terrasses. Jeudi soir, dernière soirée, je vais voir un petit spectacle du festival Fringe puis profite encore un peu du Boulevard Saint-Laurent et du toit terrasse de l'appartement de Jake. Le vendredi est le jour de mon départ. Marie voulait me montrer sa ville natale dans les Laurentides au nord de Montréal mais la pluie nous décourage : ce sera pour mon prochain séjour. Nous restons en ville, déjeunons au Jurançon, joli petit resto tenu par un Français où Marie a ses habitudes (Mais Marie connaît tout le monde à Montréal : Justin Trudeau l'appelle par son prénom, elle a rencontré son père Pierre Elliott Trudeau, elle a été à une "party" dans la maison de Léonard Cohen et a eu chez elle la guitariste de Prince). C'est l'anniversaire du patron et il est de très bonne humeur car il offre un verre et trinque avec tous les clients ! C'est sur cette touche joyeuse que je quitte cette ville aimée. Je reviendrai à coup sûr, voilà 6 ans que je connais Montréal et je m'y attache chaque fois un peu plus...

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