A peine quittons-nous la route principale pour rejoindre le parc national du lac Mburo que nous sommes entourés d'animaux. Nous ne sommes pas encore à proprement parler à l'intérieur du parc. D'ailleurs, il y a encore des éleveurs avec leurs troupeaux de boeufs. Dans tout le pays, ils ont une particularité : leurs immenses cornes qui forment un arc de plus d'un mètre de diamètre au dessus de leur tête. Seb dit que ce sont des zébus, en fait ce sont des Ankole ou Watusi, une race de vache spécifique de l'Afrique de l'est. Mais ici, les vaches se disputent le pâturage avec les animaux sauvages issus du parc. Un des premiers que nous rencontrons est un joli zèbre sur le bord de la route. Nous n'avions pas encore vu de zèbres car ils sont absents du parc Queen Elizabeth mais font la fierté du lac Mburo. Sur la route du camping, avant et après l'entrée du parc, nous en croisons des troupeaux entiers. Ils nous observent étonnés avec leur élégante silhouette si joliment habillée de leur robe rayée puis s'enfuient au galop dans toute leur grâce. Ce sont les plus beaux animaux que nous avons vus jusqu'à présent. Leur couleur noire et blanche est à la fois majestueuse et intrigante, insolite dans l'univers jaune délavé de la savane. Plus tard, une guide nous expliquera que ça leur sert de camouflage mais je ne vois pas du tout en quoi ça les camoufle : au contraire, on les repère à plusieurs kilomètres.
En plus des zèbres, il y a toute une quantité d'antilopes qui bondissent joyeusement autour de nous. Les petits kobs du parc Elizabeth sont remplacés ici par les élégants impalas dotés de rayures noires à l'arrière des pattes (décidément, ce parc est le spécialiste de l'élégance animale). On voit aussi des topis et des waterbucks, on est devenu très fort en antilopes ! Et bien sûr, comme partout, les stupides et amusants phacochères trottent en remuant la queue avec leur air égaré. Le coin camping est un peu moins mignon qu'au parc Elizabeth, rien à voir avec le bucolique camping sauvage de Ishasha. Le sol est dur et poussiéreux. En dehors des buissons épineux, la végétation se résume à des chardons desséchés. On doit planter la tente au milieu des cailloux. Le ciel est nuageux ce qui donne un aspect un peu terne au lieu et même au lac tout proche. Près de l'eau, un petit restaurant décoré de zébrures.
L'après-midi est déjà bien avancé et, comme nous restons deux nuits, nous ne prévoyons rien de spécial pour la fin de la journée. Nous sommes à deux pas de l'embarcadère et un bateau ramène un groupe de touristes, principalement des enfants et adolescents. Nous entendons parler français et nous approchons pour discuter. Le groupe est menée par une femme qui parle en effet français avec un léger accent : elle est rwandaise, vivant à Kampala et le groupe de jeunes est constitué de ses petits enfants qui grandissent en Belgique et en Suède. Elle-même, tutsi, a fui de justesse le génocide en 1994 et vit depuis en Ouganda où elle a monté une agence de tourisme. Elle organise des tours pour les européens à travers le Rwanda et l'Ouganda. Ses petits-enfants sont venus en visite pour l'été et elle profite de son agence pour leur faire visiter le pays. C'est intéressant de parler avec elle des deux pays, de la façon dont ils se relèvent de leur passé douloureux : le génocide au Rwanda, la dictature et la guerre en Ouganda. On pourrait parler plus longtemps mais ses petits-enfants l'attendent déjà dans le 4x4.
Nous pensions être seuls dans le camping ce soir mais alors que nous revenons du centre d'information, nous trouvons un bus qui a déversé une dizaine de tentes ! Le groupe, plutôt jeune, semble être anglophone et très bien organisé : les tentes ont été montées en quelques minutes, tout le matériel de cuisine est déjà sorti et le dîner est en cours de préparation. Après recherche, c'est une agence australienne qui organise des Road Trips à travers l'Afrique (et le monde) à prix raisonnables basés sur le camping. Depuis l'Ouganda, il est possible de descendre vers le sud : traverser le Rwanda, la Tanzanie, la Zambie et le Botswana pour rejoindre l'Afrique du Sud. Deux semaines en Afrique et nous rêvons déjà de grandes aventures… Nous n'aurons pas le temps de discuter avec le groupe : à 6h le lendemain, ils seront déjà sur le départ.
Installés dans le petit restaurant, nous attendons notre dîner (après deux semaines ici, le temps d'attente dans les restaurant reste un mystère non résolu…). Nous retrouvons la famille slovène qui campe un peu plus loin (dans un endroit plus mignon mais sans eau) et passe sa dernière nuit dans le parc. Nous discutons de notre expérience avec les gorilles : eux ont eu le groupe « facile », ils étaient rentrés avant midi et ont pu repartir le jour même pour le lac Bunyonyi. Tout comme nous, ils quittent bientôt le pays. Demain, ils reprendront la route de Kampala et passeront une dernière nuit en Ouganda avant de rentrer en Europe. Ils sont enchantés de leur voyage. On parle de l'Afrique, de la savane, des parcs nationaux, d'animaux sauvages et de longs voyages à travers le monde…
Notre journée dans le parc commence tôt le lendemain matin où nous retrouvons une jeune guide au centre d'information avant le lever du soleil. Nous partons pour une promenade à pied à travers le parc. En effet, ici, il n'y a qu'un seul lion et peu de prédateurs dangereux. Le parc propose donc en exclusivité des « walking safaris ». On roule juste un peu pour trouver notre point de départ puis on marche pendant deux heures dans la savane baignée de soleil levant. C'est très agréable, cela nous permet de mieux observer la nature environnante. Nous croisons plusieurs animaux : zèbres, phacochères, impalas. Pas d'éléphants : le parc est trop petit pour les accueillir. La vie d'impala n'a pas l'air très sympa : les mâles passent leur temps à se battre pour des groupes de femelles risquant à chaque fois de perdre leurs cornes (ce qui signifie un célibat à vie), les femelles n'ont pas leur mot à dire, si elles décident de changer de groupe, le mâle peut les poursuivre et même les tuer ! Vraiment non, impala, très peu pour moi, je préfère devenir un zèbre. Les phacochères ont une survie individuelle assez faible (pour compenser, ils se reproduisent beaucoup) due à leur très courte mémoire. Ainsi, un phacochère peut oublier pendant qu'il coure qu'il est en train de fuir un prédateur, alors il s'arrête et se fait dévorer… De même, une femelle peut oublier où sont ses petits. Donc phacochère : à rayer aussi de la liste des réincarnations possibles.
De retour au camping, nous prenons un petit déjeuner tranquille au restaurant. De petits singes profitent de notre absence pour jouer avec la tente et la voiture. La tente en particulier les amuse beaucoup. Ils se glissent sous la toile extérieure et grimpent un peu partout. On dirait des enfants sur un château gonflable. Ce sont des vervets. Nous n'en avions pas vus beaucoup jusqu'à présent, mais ils sont partout dans ce parc et très peu farouches. Dans le restaurant, ils nous observent avec curiosité, ramassant sous les tables des miettes d'anciens repas et grimpant sur les poutres en poussant des cris aigus.
En début d'après midi, nous partons seuls en voiture à travers le parc. Nous avons appris à notre grand étonnement qu'on pouvait voir des girafes : elles viennent d'être réintroduites. Nous commençons par prendre une mauvaise route et roulons pendant plus d'une heure sur un chemin ennuyeux entouré de très hauts arbustes (et qui n'offre donc aucune visibilité). Plus tard, on retrouve enfin la bonne piste et scrutons la savane du mieux que nous pouvons. Nous voyons zèbres, impalas, topis, waterbucks et même le plus rare bushbuck mais pas de girafes ! La piste grimpe vers un très joli point de vue où le 4x4 a quelques difficultés. Bientôt, il nous faut retourner vers le camping si on ne veut pas louper la balade en bateau : on a vite fait de sous-estimer les distances sur ces pistes qui ne font que tournicoter dans les cailloux.
A 15h45, nous sommes au centre d'information, à 52 de retour au camping pour rejoindre l'embarcadère je dis à Seb : « Quelle belle lumière sur le lac ! » et il me répond « c'est parce qu'il va pleuvoir ». A 53, je sens une première goutte, à 55 je suis à l'abri au restaurant et un déluge s'abat. Seb me suit de peu, j'ai eu tout juste le temps de mettre à l'abri les chaises, lui a vérifié les sardines de la tente et rangé le chargeur de la lampe. Les autres touristes qui attendent comme nous le bateau observent impuissants la furie du ciel. Tout est eau : le ciel, l'air, la terre, tout est devenu liquide. Des torrents déchaînés coulent autour de nous là où il y a quelques minutes, il n'y avait qu'un sol sec et dur. Nous écoutons patiemment le grésillement continue de la pluie sur le lac. Bientôt nous sommes rejoints par un autre groupe de touristes : des suisses allemands qui font le tour du pays en vélo. Vers 17h, l'averse se calme petit à petit puis s'arrête complètement. Le soleil perce d'un seul coup à travers les nuages, éclairant le lac d'une lumière incertaine. Très rapidement, les torrents sèchent et le sol redevient solide, comme si rien ne s'était passé. Notre tente, heureusement, était sur un petit monticule et n'a pas été traversée par l'eau déferlante : tout est au sec. Nous nous approchons de l'embarcadère, les guides sont déjà sur les bateaux à écoper l'eau et nettoyer les sièges. Ce sont de petites embarcations : les suisses allemands montent sur le bateau un peu plus grand et nous prenons une barque à moteur avec 3 autres touristes.
La promenade est moins spectaculaire qu'au parc Elizabeth. Les rives du lac Mburo sont couvertes de végétation et donc moins propice à l'observation. Les seuls mammifères que nous verrons sont les hippopotames mais nous ne nous lassons pas de ces grosses vaches d'eau douce. Dans l'eau, leur corps balourd est caché, ils n'apparaissent que brièvement, sortant leur petite tête grise où remuent leurs ridicules oreilles roses puis ils replongent des que le bateau s'approche. Le plus intéressant est l'observation des oiseaux. Comme le bateau est petit et va très lentement, nous avons tout le temps de les observer et même de les photographier, admirant leur grande variété de couleurs et de formes. Nous rentrons à l'embarcadère après 1h30 de balade, alors que le soleil se couche.
A peine revenus sur la terre ferme que nous repartons vers le centre d'information. Ce soir nous avons décidé de nous lancer dans un « night drive », notre promenade ultime, dernière chance de voir des animaux. Mon rêve serait de croiser un léopard qu'on ne peut voir que la nuit. Le guide commence par ouvrir le capot de la voiture et branche sur la batterie un gros projecteur. Il s'assoit avec à l'avant, il le fera tournoyer dans la nuit pour repérer les bêtes. Nous commençons par croiser un hippopotame. Hors de l'eau, ils ne sont pas faciles à observer, ils ne sortent que la nuit. En fait, les hippopotames vivent dans l'eau mais, herbivores, ils se nourrissent d'herbe non aquatique. Et comme ils sont gros, ils ont besoin de beaucoup, beaucoup d'herbe. Donc ils sortent le soir et passent leur nuit à brouter. Comme il faut aussi surveiller leur territoire, ils sont obligés d'y aller chacun leur tour, par groupe. Ils peuvent marcher des kilomètres mais doivent marquer précisément leur chemin pour le retrouver au retour : ils ne voudraient pas se tromper et rejoindre un groupe différent ce qui créerait à coup sûr une bagarre. En dehors de l'eau, on prend la mesure de leur taille imposante. Celui que croisons n'a pas l'air d'apprécier l'éclairage du projecteur, il va se cacher dans le buisson.
Après ça, nous roulons plusieurs heures dans la nuit. Nous réveillons de nombreux impalas tranquillement couchés dans l'herbe, et effrayons quelques zèbres qui s'enfuient dans le noir. On repère les animaux de loin car leurs yeux brillent sous la lumière du projecteur. A un moment, nous croisons deux mangoustes tapies sous un talus et des oiseaux nocturnes, mais pas de félins… Lorsqu'on passe à côté d'un autre véhicule, le guide demande toujours au chauffeur s'ils ont vu quelque chose mais non, ils n'ont « rien » vu. Bien sûr, « rien », ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas vu d'animaux : comme nous, ils ont croisé un grand nombre d'antilopes, « rien », ça fait toujours référence aux félins, aux prédateurs, aux hyènes pourquoi pas, qui se dérobent à la vue des touristes curieux. Personne n'a croisé l'unique lion du parc, personne ne s'est trouvé nez à nez avec un léopard. Vers 21h30, nous sommes de retour. Le guide est un peu désolé, mais ce n'est pas sa faute. Tant pis, il faudra revenir en Afrique !
Le lendemain, nous repartons dans la matinée. Nous disons au revoir aux zèbres et aux impalas et ne voyons toujours pas de girafes. La route est monotone mais plutôt rapide jusqu'à Kampala. Nous passons à nouveau l'équateur : retour dans notre hémisphère. Un peu avant la capitale, nous tournons vers Entebe pour passer la nuit sur les rives du lac Victoria. C'est aussi là qu'on trouve l'aéroport mais nous devons de toutes façons repasser par Kampala avant de prendre l'avion : nous avons laissé des affaires à la guesthouse. On était supposé prendre un ferry qu'on manque de peu. Il faut attendre une heure le prochain. Je vois un panneau pour un hôtel, on décide d'aller voir. On se retrouve dans un joli endroit, en bordure du lac avec des chaises et tables en pierre où se reposent quelques personnes. Alors que nous cherchons la réception, une jeune femme nous accueille. Elle nous propose un petit pavillon assez modeste mais joli, avec vue sur le lac. Visiblement, ce n'est pas un établissement pour touristes européens, les gens sont très étonnés que nous soyons ici, que nous connaissions l'endroit. Ca semble être une petite base de loisir pour les locaux qui viennent y passer les week-end en famille. Nous admirons le coucher de soleil sur le lac Victoria qui est très beau malgré ses eaux polluées. Le lendemain, nous prenons notre dernier petit-déjeuner, dehors, entourés par les oiseaux. Puis nous reprenons la route de Kampala. De retour à la guesthouse, nous rangeons la voiture avant que le chauffeur ne vienne la récupérer. Le moindre centimètre carré est recouvert de poussière. Notre taxi vient nous chercher à minuit : nous quittons l'Ouganda au milieu de la nuit. Je garde de ce voyage un magnifique souvenir, première rencontre inoubliable avec l'Afrique subsaharienne. L'Ouanda est un pays joyeux, vivant, plein d'énergie et d'espoir pour le futur. Ces dernières années, il a su développer un tourisme intelligent qui profite globalement à l'économie du pays et pas seulement à de riches privilégiés. J'espère qu'il continuera, pour cela on ne peut que lui souhaiter la paix et la stabilité politique (le dirigeant actuel saura-t-il passer la main?). En attendant, je pars et je garde des images : les longues pistes de terre, les petites maisons en torchis, les hautes termitières sur le bord des routes et les immenses fours extérieurs en brique, les enfants aux cheveux très courts (filles comme garçons) qui marchent pieds-nus, souriants, en rentrant de l'école, les collines verdoyantes, les forêts denses, la savane infinie...