Je passe la majeure partie de cette première semaine en Ouganda sur le campus de l'université Makerere à Kampala. C'est ici que je loge, dans la modeste guesthouse qui accueille les professeurs invités. Jolie bâtisse blanche de plein pied au style légèrement désuet mais dont le confort simple me convient parfaitement. Au moment où j'écris ces lignes, je suis installée sur le perron. Le soleil se couche et je profite de l'air frais du soir. J'ai mis du produit anti-moustiques, mais c'est plus par acquis de conscience que par réelle nécessité : je n'ai pas vu beaucoup de ces embêtantes bestioles et mes seules piqûres me viennent de mon récent voyage en Corée. Il est 19h, l'appel du Muezzin retentit, la nuit va tomber et les musulmans vont pouvoir rompre le jeûne du ramadan. La mosquée est juste en bas de la côte. Encore plus près, on trouve le temple protestant qui lui aussi fait entendre ses chants régulièrement.
Je ne suis presque pas sortie du campus, il faut dire que c'est un endroit très agréable et que mes journées sont chargées. La ville est tout autour de moi, agitée, poussiéreuse. Dans ses rues, se côtoient en klaxonnant les minibus fiévreux, les voitures et les bodas bodas, motos taxis dangereusement passe-partout. Les trottoirs ne sont souvent que de gros tas de terre rouge pleins de bosses et de trous (sauf dans le quartier des ambassades où ils sont pavés et les buissons taillés). Lors de mes rapides passages, à travers les vitres de la voiture, j'ai entrevu des quartiers de bric et de broc, des boutiques chatoyantes, des maisons coloniales couvertes de stuc blanc, et comble de la modernité : un centre commercial flambant neuf où il faut montrer patte blanche et où l'on vient faire du shopping dans les boutiques internationales avant de manger au KFC.
Moi, je reste dans mon cocon paisible, écrin de verdure : le campus de l'université Makerere. Grande colline au milieu de la ville, c'est un petit monde à part entière. Bien sûr, on y trouve les bâtiments de l'université, mais aussi la guesthouse, des restaurants, une banque, une piscine, des logements. Dans les recoins, derrières les pentes, j'ai même vu de modestes habitations, entre cabanes et maisons avec du linge étendu dehors et des enfants qui jouent. Les étudiants sont en vacances, les journées coulent paisiblement. Le matin, je quitte l'auberge et me rends au département de mathématique avec l'autre enseignante de la semaine. Nous marchons à l'ombre des grands arbres. Dans l'herbe encore humide de rosée, des Ibis noirs fouillent la terre de leur long bec. Sous le soleil, leur plumage sombre brille d'une couleur émeraude. Mais nous levons la tête :un lent battement d'aile dans le ciel, le vol majestueux d'un marabout d'Afrique. Cousins des cigognes, ils sont partout, rois du campus. Ils nous toisent du sommet des palmiers, perchés sur des branches qui semblent trop fragiles pour leur massive silhouette. Ou alors on les voit par dizaines sur les toits, comme les oiseux d'Hitchcock. Fascinants, effrayants, ce sont des charognards (mais où sont les charognes ?). Ils semblent relever les épaules pour cacher leur cou nu et rouge qui pend sous leur bec. Ce ne sont pas les seuls oiseaux ici : partout des petits piafs et une musique incessante de piaillements, roucoulements et autres chants.
C'est ainsi que commencent mes journées, dans la fraîcheur matinale. Car ici, il fait frais la nuit, pas besoin de clim. Pendant la journée, le temps se réchauffe sans jamais atteindre des températures désagréables. Comme c'est la saison sèche, il ne pleut pas : en fait, il fait un temps tout à fait idéal ! Mes journées sont prises par mes cours. Je partage ma semaine d'école d'été avec une autre jeune chercheuse. Heureusement, car c'est un travail très prenant ! Mais aussi très gratifiant : j'ai en face de moi des étudiants motivés et curieux qui ne veulent pas lâcher une miette de cours, qui me posent des questions tout le temps. Ils viennent d'horizons assez divers et le niveau est hétérogène. Mais tous ont une détermination phénoménale surtout quand on est habitué à enseigner en Europe à des groupes proches de l'apoplexie ou de la sieste généralisée. Ici, c'est moi qui réclame les pauses ! Je prends aussi plaisir à discuter avec eux en dehors des cours, à apprendre d'où ils viennent et quel est leur parcours. Certains sont Ougandais, mais d'autres sont originaires du Kenya, de la Tanzanie, du Rwanda ou encore de Zambie. Pour tous, cette école d'été est une chance et leur parcours universitaire, une bataille. Certains étudient les maths purs et cherchent à faire une thèse. D'autres sont en train de finir leurs études en maths appliquées et me disent enthousiastes : « on est tellement content de pouvoir apprendre un peu de maths théoriques car ce n'est pas au programme de notre école ! ». En une semaine, on ne pourra pas tout faire pour eux. Mais leurs attentes sont une exigences et une motivation pour nous. A la fin de la semaine, je ressens le plaisir de leur avoir appris quelque chose, d'avoir travaillé avec eux et ça me donne envie de recommencer !
Après de telles journées, je suis assez fatiguée le soir. Je descends parfois au petit restaurant indien ou alors je mange à la guesthouse. Mais je n'ai pas très faim : j'ai été nourrie toute la journée à coup de thé au lait épicé et délicieux accompagné de beignets et d'un déjeuner plein de patates douces, de bananes plantains, de purée de maïs, etc. Je suis choyée… Mais ma semaine s'achève. Bientôt je vais quitter mon calme cocon. Lundi, je pars à l'aventure...