A la rue à Carriacou, nous n'avons d'autres choix que de prendre le water taxi pour nous rendre à Petite Martinique le samedi soir quand nous comptions n'y arriver que le dimanche. Celui-ci me semble encore plus déchainé que celui de Richard. Le conducteur est à l'arrière, je suis assise devant lui au milieu du bateau. Je vois se dresser comme un pic l'avant de la barque qui bondit sur les vagues. Je suis obligée de m'accrocher de toutes mes forces à mon siège pour ne pas être projetée sur le banc devant moi. Si j'ouvre la bouche, j'ai l'impression que l'air emplit mes joues et me déforme le visage comme sur une image de bande dessinée. Je pousse pourtant régulièrement des cris incontrôlés lorsque, soulevée de mon siège, je sens que j'y retombe brutalement. Je pense que les waters taxis ne doivent être utilisés que par des personnes jeunes et en bonne santé. Si vous avez déjà un peu peur des manèges de Disney Land, oubliez les barques des Grenadines. Peut-être le conducteur adapte-t-il sa conduite à ses passagers ? Je n'en suis pas sure... Dans la folie du voyage, je reconnais tout de même la plage sur laquelle nous nous sommes baignés l'après-midi : c'est sûr qu'en bateau, on y est plus rapidement ! Le trajet officiel entre Carriacou et Petite Martinique dure 1/2 heure, nous mettons 10 minutes. Nous arrivons secoués, échangeant des regards plein d'un soulagement hébété. Nous payons le taxi qui repart comme il est venu, pressé sans doute de retourner à la fête qui commence déjà à Carriacou.Nous voilà donc à Petite Martinique : pas même de ville, simplement quelques maisons posées ça et là et un gamin qui nous indique notre auberge. Elle est un peu plus loin le long de la plage, une grande maison jaune où nous accueille notre hôtesse attablée dans son bar-restaurant vide. Les chambres sont simples mais agréables. Il n'y a presqu'aucun meuble, les couloirs sont larges et vides, hauts de plafond et les murs sont peints dans un vert clair qui tranche agréablement avec le rouge bordeaux des grandes dalles en terre cuite qui couvrent le sol. Nous pouvons utiliser la cuisine commune ainsi que la terrasse qui deviendra notre principal lieu de vie. On y voit la mer derrière les palmiers et la petite cour de l'auberge où paissent des chèvres peureuses.
La nuit tombe et après nous être rafraichis sous la douche et avoir rangé nos affaires, il faut penser à manger. C'est petit, Petite Martinique, et il n'y a pas beaucoup de restaurants. On nous indique une épicerie encore ouverte un peu plus haut sur la rue où l'on fait, parait-il, un délicieux barbecue. Nous entrons dans une première boutique où une famille est installée devant la télévision, ils nous regardent avec curiosité mais non, ils n'ont pas de pain. La seconde épicerie semble, elle aussi, ouverte et nous y achetons un paquet de riz. Dans un coin sombre, dehors devant la porte, une vielle femme fait griller du poulet. Nous lui commandons trois barbecue et attendons sur le banc en face au milieu des habitants qui semblent s'amuser de notre présence et nous posent quelques questions. Voilà notre repas du soir que nous prenons sur notre terrasse et voilà notre première rencontre avec Petite Martinique.
Le lendemain, nous nous levons tard et le soleil tape déjà si fort que nous n'envisageons pas de faire quoi que ce soit. Quand la chaleur devient insupportable, nous franchissons les quelques mètres qui nous séparent de la mer et profitons de l'eau fraiche, nageant parmi les barques des pécheurs. Un dimanche hors saison à Petite Martinique, on ne peut pas imaginer plus calme. Les boutiques sont fermées, les habitants semblent inexistants, même notre hôtesse a disparu et nous sommes seuls. Nous déjeunons avec le reste du poulet et du riz de la veille et laissons couler le temps. Après le soleil torride, le ciel s'est couvert et maintenant le vent souffle et de grosses averses mouillent l'air et les près. A l'abri sur notre terrasse, nous ne pouvons qu'observer le déchainement de la nature, les palmiers qui se courbent et la mer qui écume.
Entre deux averses, je découvre l'oiseau qui m'a empêchée de dormir la nuit dernière. Son cri ressemble à une manivelle rouillée que l'on tourne. C'est un perroquet, il est dans une cage sous un arbre dans la cour. Je m'approche de lui, il me regarde avec curiosité, il n'a pas l'indifférence habituelle des oiseaux. Il lance des petits bruits étranges comme pour commencer une conversation. Son plumage est vert, d'un beau vert brillant et clair, il a du duvet doré et bleu au dessus de la tête et autour des yeux et de grandes plumes colorées au niveau de la queue et des ailes. Il me console un peu des perroquets que je n'ai pas vus à Saint-Vincent, mais celui-ci est enfermé, pourquoi ? Il me regarde de ses petits yeux rouges et vient poser sas tête contre sa cage. Je tente prudemment de caresser les plumes juste au dessus du bec (il ne peut pas me pincer). Il semble un peu surpris, mais il revient. Quand je le caresse, il hérisse les plumes de sa tête comme une crinière. Plus tard, il se met de telle manière que je peux le caresser encore plus facilement et je m'enhardis. Il ferme les yeux et je m'attends presque à l'entendre ronronner. Il s'en ira ensuite avec indifférence et quand je reviendrai d'autres fois, je n'obtiendrai jamais à nouveau de telles faveurs.
A l'auberge, nous découvrons ce qui sera notre principal problème pendant ce court séjour : l'eau. Elle se coupe régulièrement et nous devons attendre patiemment qu'elle revienne. Quand elle est là, nous faisons des réserves, nous lavons la vaisselle, nous prenons nos douches mais elle peut disparaitre à tout instant. Nous découvrirons seulement le lendemain qu'il nous suffit de tirer la chasse pour qu'elle revienne dans l'ensemble de la maison. Nous n'avons pas trouvé d'explication rationnelle à ce phénomène étrange. Par ailleurs, nous avons un second problème : le ravitaillement en nourriture. Il y a plusieurs petites boutiques sur l'île mais elles s'ouvrent et se ferment au gré de la présence ou non de leurs propriétaires, sans compter que nous sommes dimanche. Le soir, nous cherchons un restaurant : il n'y en a pas. Nous marchons sous la pluie sur l'unique route, la boutique d'hier est ouverte mais il n'y a plus de barbecue, nous y achetons du pain et du lait (oh miracle !) et on nous indique un "restaurant" un peu plus loin. Nous entrons dans le lieu indiqué, une femme derrière un comptoir nous propose des sandwichs et des frites. Il n'y a pas de tables, seulement un billard qui prend l'ensemble de la pièce. Trois petits garçons sont assis qui regarde un film américain qui me semble à la fois très niais et très violent. Au mur, il est affiché "No Credit" et les dix commandements sur une affiche avec un ciel et des nuages. Nous attendons patiemment nos sandwichs et retournons les manger à notre auberge.
Le lundi matin, il pleut encore beaucoup. Nous pensions voir un peu plus d'activité aujourd'hui, mais non, tout est toujours aussi clame : est-ce un jour férié ? Le ciel se dégage en fin de matinée et nous allons explorer l'île. J'espérais pouvoir en faire le tour mais ce n'est pas possible. Il n'y a qu'une seule route, notre auberge se trouve à peu près au milieu, à gauche et à droite, après environ 1 ou 2 kilomètres, la route se transforme en chemin de terre puis se perd dans les bruissons épineux. Nous faisons tout de même deux agréables balades et l'île est très jolie. Les petites maisons se suivent, fleuries de bougainvilliers et d'autres buissons colorés. Il y a un foisonnement de fleurs et d'arbustes. Comme le terrain est accidenté et humide, les habitations sont souvent en hauteur sur des petits pilotis. Les plus modestes utilisent des tas de briques, des gros bouts de bois et l'on se demande comment tout ne s'écroule pas. Nous croisons peu d'habitants et beaucoup plus de chèvres. Certaines se promènent libres sur la route, d'autres sont attachées à des piquets. Les petits sont toujours laissés libres car ils ne quittent pas leur mère. Elles sont toutes peureuses et veulent s'enfuir au moindre pas dans leur direction. Celles qui sont attachées tirent alors comme des damnées sur leur corde, tombant parfois bêtement, mais réussissant régulièrement à arracher leur piquet et à se libérer. Détail insolite, de petits cimetières sont installés le long de la route, nous en voyons au moins trois ou quatre. Ils ne comportent qu'une dizaine de tombes qui surgissent blanches et gravées au milieu des buissons de fleurs roses. Abandonnés à la végétation, ils exhalent romantisme et mélancolie. En grimpant sur les hauteurs, nous admirons la belle île fleurie battue par les flots. Un bras de mer d'à peine un kilomètres nous sépare de Petit Saint Vincent, une île encore plus petite qui sert de resort touristique. Au sud, nous voyons Union Island et au nord Carriacou et même Grenade dans le brouillard de l'horizon. Nous retournons nous baigner à la plage près de l'auberge, l'eau est brunie par la pluie mais agréablement fraiche.
La journée passe tranquillement. Nous mangeons à midi le fruit à pain que nous avons acheté à un rasta qui vend des légumes près du port. C'est une grosse boule verte qu'il faut couper et éplucher et dont la chaire ressemble beaucoup à de la pomme de terre avec un léger goût d'artichaut. Le soir, nous en ferons de la purée avec quelques saucisses que nous avons pu acheter. Notre seconde journée à Petite Martinique se termine dans la même quiétude que celle qui nous berce depuis notre arrivée. Le mardi, l'île semble un peu plus active ce qui confirme l'idée que le lundi était bien férié. Nous profitons encore un peu du calme avant d'aller prendre le bateau et de retrouver la civilisation à Grenade.