C'est à nouveau Richard que nous retrouvons pour nous rendre à Carriacou le vendredi. Il nous faut d'abord passer l'immigration car nous quittons Saint-Vincent et les Grenadines pour nous retrouver sur le territoire de la Grenade. Puis nous voilà avec tous nos bagages dans la petite barque bigarrée. Hier, nous avions été secoué mais étions restés au sec. Aujourd'hui le vent a tourné. Assise à l'arrière du bateau, je me retrouve sous une constante douche d'eau de mer. Entre le vent et l'eau, je ne vois absolument rien. J'ai les yeux fermés, la visière de mon chapeau trempé est collée à mon visage. Quand, enfin, je peux lever la tête, nous arrivons aux abords de Carriacou et nous sommes entourés de magnifiques voiliers. Nous longeons la côte sauvage percée de criques de sable blanc et rejoignons la petite ville de Hillsborough. En sortant de la barque je pourrais tout aussi bien prendre un bain toute habillée que ça ne changerait pas beaucoup mon état. Mais avant de rejoindre l'hôtel, il faut à nouveau passer les formalités d'entrée dans le pays. On pourrait penser que c'est à la douane que nous serions le plus embêtés : chaque touriste étant susceptible d'emporter dans son sac un coquillage protégé ou autre souvenir du même genre. Mais non, c'est à l'immigration que l'on nous regarde avec suspicion, nous posant des dizaines de questions sur notre voyage. Mais quand nous apprenons à notre inquisiteur que nous logerons bientôt à Crochu, il devient d'un seul coup beaucoup plus aimable : c'est sa ville natale. Il connait l'hôtel que j'ai réservé, et nous explique en détail comment prendre le bus.
Pour l'instant, nous sommes au Kim's Plazza. Nous trouvons une chambre propre et fraiche avec une petite cuisine, un balcon et une climatisation en état de marche. Nous pouvons nous reposer un peu et profiter de ce confort que nous n'avions pas eu dernièrement. Nous ressortons plus tard pour aller à la plage. Nous l'avons vue du bateau, belle et blanche, juste à côté du port. Quand je dis port, c'est un mot un peu trop important pour décrire la réalité de la chose. Dans toutes ces petites îles, le port n'est qu'une jetée en bois qui s'avance dans la mer. Les bateaux viennent y déposer les voyageurs, mais s'ancrent ensuite plus loin dans l'eau calme et peu profonde de la baie. La plage part de la jetée et continue jusqu'au sud de la ville, quelques maisons et hôtels donnent directement dessus. Nous nous installons à l'ombre et nous baignons près des barques paresseuses peuplées de grands oiseaux.
Le soir, nous partons nous promener dans la ville. Venant de Union Island, Hillsborough nous parait grande et peuplée. Pourtant, elle n'est formée que de la longue rue qui longe la plage et de quelques autres parallèles plus petites. On est vendredi soir et la ville semble s'animer. Une musique tonitruante se déverse dans les rues et des gens dansent un peu partout. Mais la fête qui semblait si gaie depuis l'hôtel nous parait triste à présent. Nous ne croisons que des groupes d'hommes éméchés qui se dandinent dans le bruit. Où sont les filles ? Toutes celles que nous voyons ont les bras encombrés d'un bébé ou de plusieurs. Peut-être les jeunes filles se préparent-elles pour le concert qui semble se préparer ? Je regrette un peu les aguicheuses Sainte-Luciennes du carnaval. Nous mangeons de délicieux roties dans un minuscule bar où l'on vend des DVD gravés de films américains. Les roties sont de grosses crêpes fourrées à la viande, c'est un plat local très commun dans le sud caraïbe, ça coûte une misère : nous sommes visiblement sortis de la route à touristes. Nous n'avons pas la patience d'attendre que le concert commence et rentrons à l'hôtel. Plus tard, la musique vient frapper nos fenêtres de son tintamarre assourdissant. Elle troublera notre sommeil agité jusqu'au petit matin...
Le samedi, nous décidons d'aller nous balader sur l'île. J'ai repéré une plage dans le guide un peu au nord de la ville, il faut prendre le bus. Ici, les bus sont numérotés ce qui facilite un peu l'orientation. Mais j'appréciais aussi les bus de Saint-Vincent, personnalisés par les chauffeurs de tags et peintures diverses et où la musique balançait les passagers au rythme de la route : Reggae ou chant religieux. Le bus part rapidement mais fait tout le tour de la ville pour attraper des passants et des marchandises et quand nous la quittons réellement, nous sommes serrés comme des sardines. Le voisin de Sébastien est un jeune homme déjà bien imbibé par l'alcool et qui tient absolument à nous faire la conversation. Nous le convainquons gentiment que nous n'avons pas besoin de lui pour nous guider à Carriacou. Cependant, heureusement que l'autre voisin a compris où nous voulions aller car c'est lui qui arrête le bus et nous dit de descendre au bon endroit.
Nous marchons le long d'une route de terre encore humide de pluie. De gros lézards traversent furtivement : ce sont en fait de jeunes iguanes, on peut le savoir à la façon dont ils se déplacent. Mais les lézards n'ont rien d'inquiétant, ce dont il faut se méfier ce sont les horribles scolopendres qui apprécient l'humidité. Ces bêtes immondes peuvent vous piquer et vous rendre malade plusieurs jours. Nous marchons en faisant du bruit et en regardant nos pied. Il faut à peu près 3/4 d'heure pour rejoindre la plage et à la fin, le chemin traverse un bout de forêt. Mais ici, c'est une forêt de petite île côtière, rien à voir avec la "rain forrest" dans laquelle nous nous sommes promenés d'autres fois. La végétation est beaucoup moins dense, parfois un peu sèche et peuplée de cactus. La plage pourrait sortir d'un film, longue étendue de sable, sauvage et blanche comme un écrin doré. C'est ici que des tortues viennent pondre leurs oeufs mais nous n'en verrons pas aujourd'hui. Nous ne sommes pas seuls, un yacht luxueux est venu déposé une flopée de pinups qui se font griller au soleil. Des barques pleines de jeunes hommes du coin semblent attirées comme des mouches et profitent du spectacle. Au moins, face à ces créatures, Reb et moi passons inaperçues et ne sommes pas embêtées. Les jeunes femmes semblent indifférentes à l'engouement qu'elles engendrent. Leur présence ne nous empêche en rien de profiter de la plage et je me laisse emporter par la beauté du rocher peuplé de grands pélicans. En nageant avec le masque, je verrai les bancs de poissons secoués par les courants et filer par millier juste en dessous de moi.
Le chemin du retour se fait plus rapidement que je ne l'avais pensé. La terre est plus sèche et nous avons moins peur des scolopendres. Nous croisons des chèvres hébétées et l'air sent presque le sud de la France. Nous attendons le bus et croisons une voiture qui nous dépose en ville pour le même prix. Mais alors que nous rachetons quelques courses et que nous nous apprêtons à rentrer nous reposer et nous rincer du sable et du sel, voilà le début d'une galère qui commence. Le gérant de l'hôtel nous appelle à la réception et nous apprenons que nous n'avons plus de chambre. Il y a eu plusieurs changements dans nos plans. Au départ, nous aurions dû passer les nuits du jeudi et du vendredi à Carriacou, puis le temps nous a poussé à prolonger notre séjour à Union et j'ai écrit pour dire que nous n'arrivions que le vendredi et ne prendrions qu'une nuit. A ce moment, je pensais que nous repartirions pour Petite Martinique le samedi. Cependant, nous avons ensuite eu la confirmation qu'il était possible de faire en une journée le trajet entre Petite Martinique et Grenade et nous avons donc décidé de faire : vendredi et samedi à Carriacou, dimanche et lundi à Petite Martinique. Mais ça, nous ne l'avons décidé que la veille. La réception de l'hôtel étant à l'intérieur d'un supermarché, je ne l'ai pas vue en arrivant et c'est une jeune femme qui nous a donné la clé. Plus tard, la réception était fermée. De toutes façons, comme partout où nous avons été avant, les hôtels étaient vides, je ne pensais pas que ça posait le moindre problème. Ce matin, on nous a demandé s'il fallait faire la chambre, j'ai répondu que non, et que nous restions encre une nuit. Visiblement, l'information n'est par remontée mais de toutes façons, c'était trop tard, la chambre était déjà réservée et l'hôtel plein ! Nos affaires ont été déménagées d'office et nous sommes à la rue.
Nous parcourons les rues de Hillsborough, fatigués et hagards, cherchant une chambre dans un autre hôtel. Bientôt, nous découvrons le pot aux roses : il y a un festival de musique ce week-end dans la ville, tous les hôtels sont pleins. Je comprends mieux le problème posé par la nuit supplémentaire mais notre situation vire au dramatique ! Il reste d'autres hôtels sur l'île, mais ils sont plus chers et plus loin. Je n'ai pas changé la réservation à Petite Martinique car je ne pouvais pas contacter l'hôtel, ils nous attendent donc en théorie ce soir, mais c'est une autre île ! Le bateau régulier est parti ce matin, il reste les waters taxis. Nous nous rendons sur le port et trouvons un jeune homme, une bière à la main qui veut bien nous emmener. Nous lui donnons rendez-vous un peu plus tard et retournons chercher nos affaires.
Nous avons quitté notre chambre ce matin en pensant la retrouver ce soir et nos affaires étaient donc éparpillées un peu partout selon une logique qui nous était propre. Elles ont été rangées par des mains étrangères ce qui ne nous rassure pas. Nous vidons nos sacs dans le couloir de l'hôtel, nous avons l'air de vagabonds avec nos sacs plastiques et nos vêtements par terre. Finalement, l'essentiel est là et nous rangeons comme nous pouvons. Il nous manquera un shampoing et un savon mais rien d'important (en particulier, nous avons tous nos appareils photos, ordinateurs, passeports et argent). Nous retournons au port avec toutes nos affaires, Seb part chercher l'homme que nous avons vu tout à l'heure tandis que nous l'attendons. C'est cette image que je garderai de Carriacou : nos sacs posés négligemment sur la jetée dans la lumière du soir, les enfants qui jouent et s'éclaboussent sur les barques, la fête qu'on entend dans la ville, et nos corps un peu las et perdus, attendant la suite.