Pour notre dernière journée à Saint-Vincent, nous partons visiter l'île de Bequia. Nous connaissons maintenant bien le chemin jusqu'à l'arrêt de bus et sommes habitués à ces petits vans surpeuplés qui transportent les locaux et touristes courageux pour 1 EC dollar. Le bateau pour Bequia s'appelle "express" mais avance lentement et met plus d'une heure pour rejoindre l'île. Nous longeons la côte sauvage avant d'apercevoir les maisons toutes installées à l'intérieur d'une baie. Descendus du bateau, nous sommes assaillis par les chauffeurs de taxi et nous dirigeons vers l'office du tourisme, petite maison à la sortie du port.
Nous avons finalement pris un taxi, nous traversons la jolie île pleine de verdure, croisant des vaches et des hôtels. Le taxi nous dépose au "sanctuaire des tortues", la plage n'est pas loin, il reviendra nous chercher cette après-midi pour reprendre le bateau. Un vieux blanc à la peau tannée vient nous accueillir. C'est lui qui gère l'endroit et on le sent plein d'une tendresse paternelle pour la moindre de ses tortues. Il récupère les bébés tortues encore vulnérables sur la plage pour les élever et les relâcher au bout de quelques années quand ils ont atteint une taille raisonnable et échapper aux dangers de la prime jeunesse. Les tortues sont installées dans des bassins en fonction de leur taille. Les plus petites ne font que un ou deux centimètres de diamètre, les plus grandes plusieurs dizaines. C'est avec de la peine que l'homme nous montre les tortues qu'il ne pourra pas remettre à l'eau : à l'une, il manque une patte, l'autre a une déformation, elles n'auraient aucune chance dans l'océan. Avant de relâcher ses bêtes, il leur fait une petite marque sur la carapace : deux petits trous au niveau de la queue. Les plongeurs peuvent alors lui dire chaque fois qu'ils en croisent une et son rêve est d'en voir revenir une sur la plage pour la ponte. Nous observons encore les grandes bêtes avant de partir, leur tête qui ressemble à un bec est impressionnante, elles ne semblent pas toujours de bonne humeur et c'est avec prudence que je leur touche la carapace.
Nous marchons jusqu'à la jolie plage qui borde ce côté de l'île. Nous nous installons à l'ombre d'un cocotier près d'un bar fermé pour la basse saison. Il n'y a personne d'autre que nous. Au loin, les vagues de l'océan semblent se briser en entrant dans la baie, sans doute arrêtées par des rochers sous marins. La mer devant nous ressemble à une aquarelle qui aurait été peinte en grandes lames avec deux teintes de bleu : l'un plus foncé et l'autre turquoise. Alors que nous mangeons nos sandwichs, j'aperçois un grand oiseau se poser sur l'eau. C'est un pélican. Ils sont en fait trois. Ils passent la majeure partie de leur temps à se reposer sur un petit bateau. De temps en temps, ils volent dans le ciel avant de piquer vers les flots. Ils ne sont pas les seuls à pêcher et c'est impressionnant de voir tous ces oiseaux fondre d'un seul coup vers la mer, plonger et ressortir avec un poisson dans le bec. Nous n'avons pas la chance de pouvoir observer les poissons car l'eau est troublée d'algues et on ne voit rien avec le masque. Cependant, le lieu n'en est pas moins paradisiaque et l'après-midi coule doucement.
Le taxi revient nous chercher et nous montons à l'arrière de sa camionnette : le visage au vent, protégés simplement du soleil par son petit auvent. Nous avons encore un peu de temps avant de reprendre le bateau et nous nous baladons dans la petite ville de Port-Elisabeth. Les boutiques colorées se suivent le long de la mer, comme déposées au hasard des vagues, illuminées par le soleil. Dans un marché aux fruits, nous achetons des bananes et un avocat. Mais c'est un peu plus loin que nous prenons notre goûter. Un homme nous propose des noix de coco. Depuis que j'ai goûté l'eau de coco, les autres boissons me semblent avoir perdu leur attrait. L'homme coupe le haut de la noix encore fraiche avec un coutelas. Le fruit se transforme alors en coupe géante emplie de son jus. Il faut savoir que la noix fraiche ne ressemble pas du tout à celle que nous avons chez nous. Elle est beaucoup plus grande, de couleur jaune et de forme ovale comme un ballon de rugby. Son cœur n'a presque pas de chaire : en séchant, la noix perd son eau et dépose sa matière blanche le long de sa coque. L'eau que l'on boit dans la noix fraiche est très désaltérante, on l'appelle eau et non pas lait car elle n'a pas cette texture crémeuse qu'on lui connait par la suite. Elle est d'une douce tiédeur, d'un goût très délicat, sucré et fruité. Une fois la noix bue, l'homme la fend en deux avec son coutelas et l'on peut racler la très fine chaire blanche, un peu caoutchouteuse, qui a déjà eu le temps de se déposer. L'ensemble forme un met si délicieux, naturel et doux qu'il me fait passer l'envie d'une glace ou tout autre chose qui paraitrait alors artificiel. Nous retournons au bateau et quittons la jolie Bequia. Ce soir, nous dormons à nouveau à Saint-Vincent avant de continuer notre voyage.