Pour notre troisième séance à l’Étrange Festival, nous allons voir le samedi soir The Oregonian. En nous le présentant, l'organisateur nous prévient tout de suite que ce n'est pas un film ordinaire et plutôt dans un genre expérimental. Et, en effet, on peut dire que The Oregonian a bien sa place au sein d'un festival qui met l'étrange à l'honneur et va pouvoir rentrer dans la liste des films les plus bizarres que j'ai vus (avec par exemple Rubber ou Eraserhead).
On ne peut pas dire que je sois particulièrement fan des films psychédéliques et bien que je sois ouverte à l'expérimental, je juge souvent les séquences pseudo spirituelles vides et creuses. Mais j'ai été fascinée par The Oregonian et par la maîtrise du réalisateur. Le voyage étrange qu'il nous fait subir ne m'a pas du tout ennuyée et j'ai été touchée par l'univers qu'il arrive à créer. L'histoire se résume assez vite, ou plutôt, rien n'est vraiment racontable : une jeune femme s'enfuit de chez elle et se réveille après un accident de voiture. Ce sont les seuls faits concrets que l'on peut objectivement décrire et ils se déroulent lors des cinq premières minutes. Que se passe-t-il ensuite ? Je ne pense pas qu'il soit judicieux de chercher un sens ou une explication rationnelle à ce que l'on voit. Si on cherche vraiment à poser des mots, on peut toujours considérer l'ensemble du film comme un délire plus ou moins conscient marqué par la violence et la douleur vécue par le personnage principal.
Pourtant, on ne peut pas dire que The Oregonian n'ait aucun sens : le film a sa cohérence et son évolution propre. Plus on avance, et plus on quitte l'univers du réel pour rentrer dans ce qui se rapproche plus du rêve (ou du cauchemar) et de l'inconscient. Or je n'ai jamais vu un film reproduire avec tant de justesse l'univers absurde du rêve qui obéit à sa propre logique et ses propres obsessions. On avance dans le temps et l'espace d'une façon non linéaire, de scènes en scènes, chaque univers ayant sa propre personnalité marquée de récurrences inquiétantes et qui évolue presque toujours vers une angoisse pleinement ressentie par le spectateur. Des flashbacks nous donnent un lien très ténu à vers la réalité, laissant un soupçon d'explications de cet inconscient qui n'est pas le nôtre. La violence est présente, comme tapie dans l'ombre, partout suggérée. Un long cauchemar donc mais auquel on peut prendre un plaisir certain en tant que spectateur, et ce surtout si on est prêt à accepter de quitter l’univers rassurant d'une histoire conventionnelle pour aller vers cet "unkwown", vers l'absurdité de l'esprit et de l'image.
D'un point de vue technique, le travail du son, du montage, la précision de chaque plan nous offrent un premier film très maitrisé et nous découvrent un réalisateur de talent. Les scènes rappellent parfois Lynch dans ce qu'il a fait de plus obscur mais aussi de meilleur. Comme vous avez pu en juger, j'ai beaucoup aimé ce film mais je ne le conseillerais qu'à un certain type de public. Un public qui est prêt à aller chercher dans un film autre chose que ce qui est habituellement offert (et qui peut en outre être très agréable) et à apprécier une œuvre d'art au delà des conventions. Par ailleurs, je ne peux pas critiquer ceux que cet univers aura laissé froids et qui, perdus par le manque de sens, se seront simplement ennuyés. On est vraiment à la limite entre le film tel qu'on le conçoit au cinéma et la performance artistique : je n'infligerais pas ça à tout le monde. Cependant, je pense que le réalisateur, Calvin Lee Reeder, est à retenir. Il évoluera peut-être vers des oeuvres qui auront plus leur place au musée qu'au cinéma mais pourrait aussi réussir à adapter son style très particulier à une histoire plus conventionnelle et par là accessible à un plus large public, ce qu'a fait Lynch par exemple. En attendant, pour les curieux et les amateurs, le film est encore projeté pour le festival samedi et dimanche prochain (10 et 11 septembre) : profitez-en car je ne pense pas qu'il y aura beaucoup d'autres occasions !