Après le magnifique beau temps, nous nous réveillons sous les nuages. La pluie arrive avant le petit-déjeuner que nous prenons à l'abri des arbres. Elle tombe toujours quand nous replions la tente et rangeons nos affaires en essayant de ne pas tout tremper. Et il pleut encore lorsque plus tard, nous arrivons à Percé. C'est une pluie froide et épaisse, de celle qui trempe jusqu'aux os. Elle enveloppe la ville d'un manteau brumeux. Le rocher qui donne son nom à la ville est visible mais pas l'île Bonaventure pourtant très proche. On commence par se réchauffer dans une agréable boulangerie mais voyant que la pluie ne s'arrête pas, il nous faut décider quoi faire. La météo indique qu'il pleuvra toute la journée mais que le temps devrait s'améliorer demain. Alors nous décidons de rester.
On commence à se renseigner sur l'île de Bonaventure et les bateaux qui s'y rendent. On nous apprend (sans surprise) qu'il n'y aura plus de départ aujourd'hui. De toutes façons, on n'avait pas vraiment l'intention de prendre le bateau sous ce temps là. Habituellement, il y a des départs toutes les heures sans réservation. On prévoit de faire la promenade demain matin. En attendant, il faut se trouver un logement. Nous parcourons les rues sous la pluie battante cherchant un motel avec encore de la place (on n'a pas très envie de dormir sous la tente ce soir). Nos premiers essais sont infructueux et on décide de chercher depuis la voiture pour arrêter de se faire tremper. On appelle quelques établissements pleins avant de tomber sur le * Fleur de Lys* à qui il reste une chambre. On a bien fait de s'y prendre dès le tout début d'après-midi.
Je voudrais bien rejoindre la chambre tout de suite mais elle ne sera prête qu'à 15h, c'est-à-dire dans 2h. Il faut trouver à s'occuper dans la toute petite ville de Percé un jour de pluie… Mon imperméable ne fait déjà plus très bien son travail et je sens l'eau et le froid se glisser partout (c'est à cette occasion qu'on découvre les sièges chauffants dans la voiture ! ). On décide d'aller écouter un petit concert gratuit de musique locale dont on a trouvé un prospectus. Dans une salle municipale, une chanteuse reprend les classiques québécois de La Bolduc, chanteuse compositrice populaire du milieu du vingtième siècle. Je n'avais jamais entendu parlé d'elle et je ne connais aucune de ses chansons. Le style est à la fois traditionnel et irrévérencieux sur une musique qui pourrait rappeler certaines chansons de Bassens. Et puis on découvre la "parlure" québécoise. Enfin, l'ambiance dans la salle est familiale et chaleureuse. C'est un mélange de locaux et de touristes cherchant comme nous à échapper à la pluie. Les québécois, largement majoritaires, reprennent un peu les refrains et marquent le rythme avec des instruments en bois. Quand le concert se termine, on fait un petit tour au musée de la ville où on nous parle d'histoire de la pêche à la morue et de biodiversité. Je me demande si mon ancêtre granvillais, capitaine au long cours, est venu à l'époque jusqu'à Percé. Qui sait, il a peut-être eu des descendants de ce côté là de l'Atlantique… Mais enfin, il est 15h et on peut aller se calfeutrer dans la chambre d'hôtel et regarder la pluie tomber oar la fenêtre.
Le lendemain, c'est comme si ce jour de pluie n'avait jamais existé. On revient au soleil radieux de l'avant veille comme si de rien n'était. L'île Bonaventure est maintenant parfaitement visible, si proche qu'on se demande comment elle a pu disparaître dans le brouillard. Le Rocher-Percé se dresse, majestueux, sur la mer, nous offrant ses immenses falaises de roches. La ville entière est complètement différente et reprend son aspect de petite cité balnéaire. On découvre la plage et les terrasses de restaurants qui s'étalent un peu partout. La rue principale (ou plutôt l'unique rue) est animée par le joyeux flot de touristes. Nous rejoignons le quai d'embarquement et la longue file qui attend les bateaux. Il y a du monde ce matin, nous ne sommes certainement pas les seuls à avoir dû repousser d'un jour notre planning. Nous avons de la chance et embarquons rapidement. La balade commence par un tour du rocher dont on peut voir de plus près les hautes falaises puis nous faisons le tour de l'île. Alors que nous avançons, le ciel s'emplit du vol tumultueux des oiseaux marins. La majorité sont des fous de Bassan dont on voit les nids sur les rochers. Ils ont un long corps blanc avec un cou jaune et de petites pointes noires sur les ailes. Ils planent élégamment au dessus des flots. Mais ils ne sont pas les seuls dans le ciel, on remarque parfois le vol plus haché d'un petit oiseau noir : un pingouin ! Le bateau accoste finalement au niveau d'une petite plage et nous commençons notre exploration de l'île.
Autrefois habitée, c'est maintenant un parc national protégé. On y trouve plusieurs chemins de randonnées. Nous commençons par monter à travers la forêt pour rejoindre la crête des falaises. De là, on découvre une magnifique vue maritime au milieu d'une végétation fleurie. Puis nous arrivons au clou du spectacle : la colonie des fous de Bassan. Deuxième plus importante mondiale, on trouve ici 120 000 oiseaux qui reviennent chaque été installer leurs nids et élever leurs petits avant de repartir vers des contrées plus chaudes l'hiver. Depuis le bateau, on ne voyait que la petite minorité qui vit sur le versant de la falaise. La plupart sont installés au sommet, les uns à côté des autres dans ce qui ressemble à une organisation urbaine. Chaque couple a son nid attitré et passe son temps à se disputer avec ses voisins. Les groupes sont si nombreux qu'il est difficile d'en percevoir l'étendue. Ils piallent bruyamment et dégagent collectivement une odeur assez fétide de métropole ornithologique. Les oisillons sont déjà assez grand. Ils font presque la taille de leurs parents mais portent encore leur duvet gris de bébé. On dirait de gros adolescents un peu maladroits. Amorphes, ils dorment ou ouvrent le bec un peu piteusement, attendant qu'on leur mette le poisson dans la bouche. Certains commencent à entraîner leurs ailes un peu gauchement.
Nous pique-niquons, pas trop près des oiseaux pour ne pas être incommodés par l'odeur et les mouches puis repartons pour la deuxième partie de la balade. Cette fois, nous longeons presque continuellement la côte. Ce sont paysages ensoleillés, vues sur le Rocher-Percé, magnifiques étendues fleuries roses et jaunes. Il reste quelques maisons, certaines en ruines, d'autres rénovées, qui nous laissent imaginer ce que fut la vie des quelques habitants, pêcheurs et marchands, qui vécurent ici.
À 15h, nous reprenons le bateau vers Percé avant de continuer notre route, roulant maintenant vers la côte sud de la Gaspésie : la baie des chaleurs. Il y a plus d'habitations de ce côté-ci de la péninsule. C'est un lieu de vacances, de petites villes au bord de la mer. Nous nous arrêtons dans un camping au milieu de nulle part avec une petite plage. Nous allons nous baigner le lendemain matin mais bien que l'eau soit plus chaude qu'au nord, elle reste très fraîche.
Nous continuons la route jusqu'à Carleton. Après les randonnées et le camping, il me vient des envies de paresse. Je m'arrêterais bien sur une chaise longue au bord de la petite baie à lire mon livre et regarder passer les voiliers. Cependant, le camping est plein et il semble difficile de trouver à se loger par ici en cette fin de semaine du mois d'août. Les familles réservent longtemps à l'avance et viennent installer leurs camping-cars dans ce sui semble être le lieu de villégiature du Québec. Alors, nous roulons un peu plus loin. Nous atteignons la pointe ouest de la baie et passons de l'autre côté, en Acadie, au nord du Nouveau-Brunswick, juste en face de là où nous étions plus tôt. Ici, nous plantons notre tente et laissons filer le temps au bord de la piscine.
Avec le dimanche, arrive la fin du séjour. De l'Acadie, nous ne verrons que cette plage à marée basse sur laquelle nous nous promenons les pieds dans l'eau. Le reste sera pour un prochain voyage. Nous prenons la route de Québec et de Montréal. Notre dernière nuit sous la tente se fera au bord du Grand Lac Touladi, dans le Parc National du Lac Temiscouata. C'est là qu'après avoir brûlé toutes nos bûches dans un beau feu de camps, nous pourrons observer le ciel nocturne traversé d'étoiles filantes. Puis viendront les longues heures de route, les heureuses retrouvailles avec Montréal et enfin, le vol vers Paris…