Durmitor

Tandis que nous roulons vers le nord, le paysage devient de plus en plus montagnard. Nous déjeunons dans une auberge en bord de route. L'air est déjà plus frais, balayé d'un agréable vent. Nous arrivons à Zabljak en milieu d'après-midi et nous rendons directement au petit office de tourisme.

Nous sommes aujourd'hui mardi. Notre seul impératif est d'être de retour à Dubrovnik dimanche soir pour prendre notre avion lundi. Et nous voulons visiter le Durmitor... Plus précisément, nous avons une tente et voudrions faire une randonnée sur 2 jours ainsi que descendre la rivière Tara en rafting. Nous ne savons rien de rien : nous n'avons pas de guide, pas de carte. Nous n'avons pas étudié les différentes randonnées possible, ne connaissons rien du fonctionnement du parc. Nous sommes venus à Zabljak car nous avons deviné à la concentration des hôtels que c'était le point de départ principal pour explorer le Durmitor. Et d'ailleurs, nous avons bien deviné comme en témoignent les dizaines de panneaux "Rafting", "Tara River Experience", "Explore Durmitor" que nous avons vus. Nous n'expliquons pas tout ça à la jeune femme de l'office de tourisme, nous demandons juste des informations sur les "Hiking Trails" (chemins de randonnées). Elle nous répond dans un anglais très rapide et difficilement compréhensible. Il ressort cependant que nous devons nous rendre jusqu'au Crno Lake à quelques kilomètres et trouver le "Visitor Center".

Il faut se garer à environ un kilomètre du lac, sur une route encombrée où les véhicules s'entassent un peu n'importe comment. Cependant, Edward Abbey serait content : aucune voiture dans le parc national. Il faut l'explorer à pied ou à vélo. On rejoint le lac par un chemin goudronné où sont installés des stands vendant des produits locaux : miels, champignons et liqueurs. Le "lac noir" porte mal son nom, il est en fait d'un joli bleu turquoise, installé dans son écrin de forêt sombre. Plusieurs personnes s'y baignent ce qui fait envie dans la douceur de l'après-midi. Nous cherchons le "Visitor Center" que nous ne voyons nulle part. Plusieurs panneaux le mentionne cependant mais sans jamais indiquer où il se trouve. Une indication mentionne quelque chose à 900 mètres, le long du lac. Ce n'est pas trop loin et nous y allons pour ne finalement trouver qu'un bâtiment fermé. Il est près de 17h, nous n'avons toujours aucune information et commençons à désespérer. Notre dernier espoir se situe au niveau de la petite cabane qui vend les billets d'entrée dans le parc. La conversation qui s'engage me donne au départ assez peu d'espoir mais à un moment, les choses se débloquent : "You want go hiking in the mountain? - Yes! - You have tent? - Yes! - You want leave car here and go hiking in the mountain with tent ? - Yes! - You have map ? - No! - You want map ? - Yes!". Il se trouve qu'à la suite d'une embrouille, ils n'ont finalement pas les cartes (ils ont prêté une voiture et la personne est partie avec les cartes mais va revenir bientôt). Nous attendons un peu, puis comme la personne ne revient pas, décidons d'aller d'abord nous installer au camping et de revenir acheter nos cartes plus tard.

Le camping Ivan Do est indiqué sur la route, juste à côté de l'entrée. Il se trouve un peu au dessus du lac et est accessible à pied. C'est un petit terrain assez mignon, vallonné et vert. Les emplacements ne sont pas délimités et les tentes s'installent où elles veulent dans une légère anarchie. Nous trouvons une place pour notre petite tente que nous montons en quelques minutes sans difficulté. La question du logement de ce soir est donc réglée et nous redescendons au lac. Cette fois, les cartes sont bien là. On en achète une mais cela ne règle toujours pas la question de quoi faire demain. La carte est très détaillée et, mauvais que nous sommes, nous avons des difficultés à la lire. Nous retournons à l'office du tourisme, mettant la carte sous le nez de la jeune femme et lui demandant où nous pouvons camper dans le parc. Là, enfin, les informations se dégagent : il y a un campement accessible en 2-3 heures de marche depuis Ivan Do, "easy", qui peut servir de départ à d'autres randonnées. Voilà ! Cette fois nous savons quoi faire. Le programme se dessine : randonnée demain mercredi ainsi que jeudi. Et pour vendredi ? Nous entrons dans la première petite agence qui propose les "Rafting Tara" et réservons notre place pour vendredi.

Fatigués de notre journée, nous errons un peu perdus dans Zabljak. C'est une ville touristique de montagne comme on en trouve partout : un supermarché, beaucoup de cafés et restaurants, quelques chalets et hôtels, des touristes en sac à dos et chaussures de randonnées buvant des bières en terrasse. Beaucoup, beaucoup de Français et aussi des Allemands et des Italiens. Attablés nous aussi, nous réfléchissons à ce que nous devons emporter pour notre périple; c'est la première fois que nous partons deux jours en randonnée en portant nos affaires. Nous avons fait une razzia à la boulangerie : pains au jambon, pains au fromage, pains à la confiture, pains au chocolat. À ça, nous devons ajouter des fruits secs, des barres de céréales, du fromage peut-être, des petites briques de lait, des bananes… Nous rentrons au camping à la nuit tombée, parés pour notre première nuit sous la tente et notre aventure du lendemain…

Nous voilà donc sur le départ pour nos deux jours de randonnée. Seb porte le plus gros sac avec la tente (que nous avons achetée exprès ultra légère). J'ai un sac plus petit mais je porte toutes mes affaires (mon peu de vêtements, mon sac de couchage, mon matelas) et ma part de nourriture et d'eau. La randonnée part directement du camping où nous avons laissé la voiture. La première partie est une jolie promenade en forêt. Ça monte pas mal mais de façon raisonnable et pas en continu. Seb est ralenti par son sac et s'adapte assez facilement à mon rythme (c'est aussi plus difficile pour moi mais je suis déjà très très lente même sans sac). Nous faisons cependant déjà plusieurs pauses et il s'est passé quasiment deux heures quand les arbres se raréfient, dégageant de jolies vues sur le paysage alentour. Nous marchons maintenant dans les hautes prairies, au milieu des fleurs de montagne. Cela monte moins régulièrement, parfois c'est plat ou, même, on redescend. Mais les côtes sont plus abruptes et nous sommes au soleil. Heureusement, avec l'altitude, l'air est frais et il souffle un agréable vent. Mon corps se plie difficilement aux efforts : j'ai faim, j'ai soif, je surchauffe sous le soleil, chaque montée est plus pénible que la précédente. Enfin, au sommet d'une petite crête, j'aperçois en contre-bas le campement.

Il est 14h quand nous l'atteignons. Je commence par m'étaler au sol, épuisée. C'est une simple cabane entourée d'un petit prés. Un peu plus loin, un jeune berger vend des bières et du coca depuis sa hutte. Aucune autre installations : les "toilettes" semblent être un tas d'ordures derrière un buisson (le parc n'est qu'aux prémisses de touristisation laissant se développer des dégradations domageables). Nous sommes au creux d'un cirque, entourés de plusieurs hauts pics rocheux. Une tente est déjà installée et le couple de Français qui l'occupe revient tandis que nous déjeunons. Ils sont arrivés hier soir, reviennent de randonnée et s'apprêtent à replier leur tente et redescendre. Depuis le campement, on peut partir vers deux balades : la "Ice Cave", plus proche et le sommet du "Bobotov Kuk". (Ni nous, ni aucun touriste n'arrivent jamais à se rappeler du nom de cette montagne qui devient "Bobokov" "Babakuk dov" "Babaduk" ou autres variations). C'est là qu'étaient les deux Français : ils disent que la randonnée est difficile et leur a pris 5h. Ils sont allés à la Ice Cave hier qui est d'après eux à 1h30 d'ici. C'est aussi eux qui nous apprennent qu'il y a bien une source sur le campement : elle sort directement des rochers dans ce qui ressemble à une flaque d'eau quelques mètres en contre-bas.

Vers 15h, nous sommes reposés, avons monté la tente et nous apprêtons à partir, déchargés de nos sacs, vers la Ice Cave. Nous passons d'abord à la source. C'est en effet simplement une flaque qui ressemble à de l'eau stagnante mais nous n'avons pas d'autres choix que d'y remplir nos bouteilles, presque vides.

Le début du chemin est particulièrement éprouvant. Nous sommes à flanc de montagne, grimpant sous le soleil dans les graviers glissants d'un pierrier. Je dois m'arrêter souvent sur la pente trop raide et nous mettons une heure rien que pour atteindre le petit col visible depuis le campement. Là, nous trouvons une intersection avec à gauche le Bobotov Kuk et à droite ce que nous pensons être la route pour la Ice Cave notée sur notre carte. En réalité, ce chemin va bien là où nous voulons mais n'est pas celui de la carte. Cela nous apporte beaucoup de confusions car nous ne comprenons plus rien à où nous sommes et aux distances parcourues. Nous pensons qu'il faut croiser une autre intersection qui n'arrive jamais et nous commençons à désespérer. Il faut dire que le chemin est, par ailleurs, difficile : ça grimpe dans les rochers, ça redescend. Il faut faire sans arrêt attention à ne pas perdre le marquage des petits ronds rouges et blancs sous peine de se retrouver perdus, sans chemin, au milieu des cailloux et des buissons. L'heure avance, nous inquiétant légèrement car nous ne voulons pas être rattrapés par la nuit. Au moment où nous sommes sur le point de laisser tomber, nous tombons en face d'un panneau et la Ice Cave est juste là ! C'est une simple grotte au fond d'un trou, tapissée par un névé et dans laquelle on voit des stalacmites de glace. Il est 18h, nous n'avons pas le temps de descendre crapahuter sur les rochers pour voir la glace de près. Nous repartons et, cette fois, trouvons le chemin de la carte, qui est plus simple que l'aller. Nous traînons nos pieds fatigués sur les graviers et nous retrouvons au campement à 19h.

Notre tente est entourée par plusieurs chevaux qui s'amusent à détacher nos sardines. Ils appartiennent aux bergers dont les moutons sont aussi revenus. Durant la balade, nous pouvions les voir au loin dans les falaises. Un couple d'Allemands est avec nous : ils ont installés leurs sacs de couchage dans la cabane car ils n'ont pas de tente et ont peur des chevaux. La jeune femme parle français et a une thèse en mathématiques : on discute boulot. Deux autres couples arrivent et installent leurs tentes à côté de nous. La convivialité entre randonneurs est agréable. On se raconte nos balades et on échange des informations sur le pays et la région. Voilà la nuit dans la montagne, le plaisir d'être loin de tout et d'avoir gagné notre place sous les étoiles. Ce serait parfait si je n'étais pas prise d'une terrible migraine, comme si mon corps cherchait à expulser dans la fraîcheur de la nuit toute la chaleur emmagasinée. Je regrette amèrement d'avoir laissé mes dolipranes dans la voiture et je souffre en attendant de m'endormir. Les chevaux nous jouent aussi des tours. L'un d'eux me réveille en sursaut lorsqu'il donne un coup dans la tente et que je vois, terrorisée, sa sillouette géante en ombre chinoise sous la lumière de la lune.

Le lendemain, nous nous réveillons avec vue sur les montagnes et prenons notre petit-déjeuner dans ce cadre magnifique. Nous n'avons cependant ni la force, ni le desir de faire une grande randonnée avant de repartir. Il faut être réaliste : hier nous avons mis 3h à atteindre la Ice Cave ce qui devait prendre 1h30 d'après le couple de Français. Ces mêmes français ont mis 5h à faire la boucle du Bobotov Kuk et ont dit que c'était "difficile". Ce n'est pas pour nous… Nous marchons seulement un peu sur les chemins de bergers, le long des pentes, explorant le petit cirque au fond duquel nous sommes installés. Puis nous replions la tente et repartons avec nos sacs sur le dos. La randonnée de la veille m'a épuisée et j'ai bien peu d'énergie pour ce retour. Le début, surtout, est fatiguant, dans le soleil, avec encore plusieurs côtes à gravir malgré la descente. Je suis contente quand enfin nous atteignons la forêt où nous faisons une pause pour déjeuner. Mais même après ça, mes jambes sont lasses, mes pieds me font mal, mon sac est lourd. La descente, qui d'habitude m'est agréable, me paraît interminable. Quand enfin nous retrouvons le camping, après une ultime et douloureuse montée, je vais m'écrouler dans un coin à l'ombre…

Plus tard, nous prenons une longue douche. Plus tard, nous installons à nouveau la tente. Nous avons retrouvé les Allemands, descendus un peu avant nous. Nous rencontrons aussi à nouveau des voisins français à qui nous donnons notre carte et expliquons la randonnée à faire. En fin d'apres-midi, nous allons enfin nous baigner dans l'eau claire et froide du lac puis dîner dans un bon restaurant en ville.

Le vendredi, après l'effort de la randonnée, voilà la récompense : une descente en rafting dans la rivière Tara. À 9h30, nous sommes au rendez-vous pour partir dans le minibus avec les autres touristes. Nous étions une dizaine dans le minibus mais sommes beaucoup plus nombreux au point d'arrivée : toutes les agences de la ville vendent en réalité la même balade. Nous arrivons dans une grosse auberge qui nous accueille avec des verres de raki (c'est très fort et il est 10h du matin). Le visage surpris des touristes qui boivent une gorgée du breuvage vaut le détour. On nous distribue le matériel puis on descend à la rivière d'où partent une bonne dizaine d'embarcations. Il est amusant de comparer les nombreuses instructions de sécurité que nous avions reçus au Canada pour la même activité et les "non-instructions" ici. Chacun se débrouille comme il peut pour régler son casque et son gilet. À peine installés dans le bateau, hébétés, l'air encombrés par la pagaie, nous voilà partis. Les seuls mots que prononcent le guide sont "left", "right", "together" en fonction de qui doit pagayer, et "ok" quand nous pouvons arrêter. Mais la descente est très agréable. Ce n'est pas vraiment du rafting car la rivière est très calme à cette saison. La plupart du temps, nous dérivons donc tranquillement au milieu du beau paysage. Nous sommes au fond d'une jolie vallée, longeons parfois de hautes falaises. Le bateau fait une pause et nous pouvons nous baigner dans la rivière. L'eau est très froide mais ça ne me dérange pas et je saute, impressionnée, du promontoir de trois mètres. En début d'après-midi, la promenade s'arrête et on remonte à l'auberge où l'on nous sert un repas de midi "façon cantine".

C'est la fin de l'aventure. De retour au camping, nous passons notre après-midi à lire, étendus dans l'herbe. Le samedi, après une dernière nuit sous la tente, nous repartons vers le sud et la côte pour fuir le mauvais temps annoncé. Nous passons une nuit à Herceg Novi que nous prenons enfin le temps de visiter un peu. Je me sens rompue par les trois semaines de voyages, accablée par ailleurs d'un rhume désagréable. Nous passons la frontière le dimanche (pas de problèmes dans ce sens là). À Cavtat, juste à côté de Dubrovnik, nous nous baignons une dernière fois dans la met Adriatique et disons au revoir au sud avant de reprendre l'avion vers Paris…

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Des Frontières et des Monastères

Ce lundi matin, nous avons déposé la petite famille tôt à l'aéroport de Dubrovnik pour leur avion de 9h. Nous ne sommes plus que deux avec encore une semaine devant nous et pas de planning précis. J'aime me retrouver sur la route, passeport en poche, libre, sans réservation, sans savoir où l'on passera la nuit ce soir.

Nous avons gardé un mauvais souvenir du passage de la frontière sur la grande route qui relie Dubrovnik à Herceg Novi. Hier, dans le sens Monténégro-Croatie, c'est passé très vite, mais nous avons pu voir une file de voitures côté croate similaire à celle où nous sommes restés 3h il y a deux semaines. L'idée de nous retrouver coincés au même endroit une seconde fois est juste trop désagréable : nous prendrons une autre route.

Comme nous voulons aller vers le nord, l'idée est de passer par la Bosnie ce qui, par ailleurs, flatte notre esprit voyageur : encore un nouveau pays. Le passage de frontière Croatie-Bosnie se révèle quasi instantané. Il n'est même pas 11h quand nous arrivons dans la jolie petite ville de Trebinje. Nous sommes en Herzégovine, et en République Serbe de Bosnie. Pendant la guerre, Trebinje servait de base militaire aux serbes, en particulier lors du siège de Dubrovnik. Les conflits ont accentué les polarisations de population et d'après Wikipedia, la grande majorité des habitants est maintenant serbe. Cependant, on trouve dans la vieille ville une mosquée du 18ème siècle qui a échappé aux destructions.

Notre premier soucis est de tirer de l'argent bosniaque. Pas très sûrs du temps que nous allons passer, nous prenons 200 marks mais très vite, nous réalisons que c'est trop. En effet, les prix nous semblent incroyablement bas et comme il est encore tôt, nous ne passerons certainement pas la nuit en Bosnie. La ville est agréable. Après la frénésie de la côte, il est reposant de se retrouver dans un endroit calme, une vieille ville pas encore envahie par le flot touristique. Nous marchons dans ses jolies rues, tournons un peu en rond, puis terminons sur une jolie place animée d'un marché. Installés à la terrasse d'un hôtel, nous déjeunons de fromage et jambon.

Que faire à présent ? Nous avons récupéré des plans à l'office du tourisme. Il n'y a pas énormément d'informations mais visiblement, l'attraction locale est de visiter des monastères. Il y en a un qui domine la ville sur une colline, c'est là que nous allons d'abord. Nous n'avons aucune idée de ce que nous visitons. C'est une jolie petite église orthodoxe en briques rouges et entièrement peinte à l'intérieur. En réalité, c'est une copie récente d'un monastère du 14ème siècle situé au Kosovo. Il offre aussi un beau point de vue sur la ville et la plaine desséchée sous le soleil. La rivière Trebisnjica serpente et on voit le joli pont à arches du 16ème siècle dont la photo est partout.

De là haut, nous reprenons la route avec l'idée de trouver les autres monastères. Nous suivons le panneau vers "Saint-Pierre Saint-Paul" qui mentionne aussi une grotte. Seulement les indications sont très parcellaires. Elles nous envoient dans une direction puis ne nous donnent plus aucune information, nous laissant rouler des kilomètres dans la plaine poussiéreuse. Nous faisons demi-tour, explorons les chemins, visitons de charmants villages. À chaque fois que nous pensons laisser tomber, nous découvrons un nouveau panneau à moitié caché qui semble contredire le précédent et nous partons explorer une nouvelle route. À un moment, perdus dans la campagne, Seb remarque un plan affiché en grand : c'est sans doute une carte touristique et le monastère y sera indiqué ! En réalité, c'est un plan des terrains minés dans les environs... Alors que nous avions perdu tout espoir, Seb, pris d'un doute, s'arrête au bord d'un chemin. Le monastère est juste là. On ne trouve ni la grotte, ni les ruines du V ème siècle, seulement quelques bâtiments modernes en pierre, assez mignons. Mais cette fois, ça nous suffit et on repart vers le Monténégro. En chemin, on se demande ce qu'on va faire des plus de 100 marks qu'il nous reste : acheter 200 boules de glaces ? 300 litres d'eau ? 400 cartes postales ? Finalement, nous pourrons les changer à l'aéroport au retour et récupérerons un peu plus de 50 euros.

La route longe la rivière Trebisnjica où nous croisons quelques baigneurs. Plus nous avançons, plus le paysage devient vert et escarpé. Nous montons petit à petit dans la montagne. Puis la rivière disparaît et nous voilà au milieu de hautes falaises et de panoramas époustouflant. Le paroxysme est atteint au niveau de la frontière, au sommet d'un pic rocheux. Il n'y a aucune attente au passage du premier poste de douane pour quitter la Bosnie. Nous nous félicitions déjà de ce chemin et d'avoir ainsi évité les 3h de queue du passage Dubrovnik-Herceg Novi, quand nous voilà bloqués entre les deux postes frontières, pour entrer au Monténégro. Il n'y a pas énormément de voitures mais ça n'avance juste pas. Pendant deux heures, nous pouvons admirer le panorama… Dans la file de voitures, ça commence à s'énerver. Il y en a qui doublent tout le monde, d'autres qui klaxonnent, on entend des disputes qui éclatent. Il y a tout un groupe d'Italiens. Certains semblent parlementer avec les douaniers sans grand succès. La plupart du temps, ils courent juste d'un véhicule à l'autre à travers la file comme pour apporter une information urgente suivant une logique qui m'échappe. Enfin, nous atteignons le poste frontière et là, comble de l'absurdité, le douanier n'ouvre même pas les passeports ! Il les prend en main avec les papiers de la voiture et nous pose une question que nous ne comprenons pas. Alors il nous les rend et nous fait signe d'avancer… Nous voilà à nouveau au Monténégro.

Nous roulons encore jusqu'à Niksic où nous voulons passer la nuit. C'est une ville sans grand intérêt, qui rappelle surtout le passé communiste du pays dans son architecture. Il y a très peu d'hôtels. Celui où nous voudrions aller est plein : ils nous en conseillent un autre mais les critiques sur internet parlent de puces, de chambres sales et du "pire hôtel" et en plus, cher. Sur booking, on trouve surtout des chambres et appartements. Seb nous conduit au milieu de nulle part, dans une maison avec jardin où un vieux monsieur nous propose des lits dans une cave pour 10 euros. Nous continuons de chercher. Je trouve un établissement "Orange guest house" sur booking. Mais à l'adresse indiquée, il y a un club de karaté et un vendeur de parquet. Cependant, j'ai bien envoyé une réservation et cherche à contacter l'hôte. C'est lui qui m'écrit sur Whatsapp : il ne peut pas nous donner la chambre sur booking mais nous propose l'appartement de sa voisine au même prix "tout neuf". Il fait presque nuit, nous sommes fatigués, nous l'attendons las et résignés. L'appartement de sa voisine est à 5 minutes à pied. Quand il dit neuf, cela signifie "pas terminé" : les escaliers ne sont pas peints, il manque la moitié des meubles dans l'appartement. Mais bon, il y a des lits et on en a marre de chercher, on paye les 25 euros et on va dîner en ville en haut de la grosse colline. Il n'y a pas de clim dans l'appartement, la fenêtre ne s'ouvre pas complètement et il fait chaud : on aurait du prendre les lits dans la cave, au moins on aurait été au frais !

Le lendemain, avant de monter vers les montagnes du Durmitor au nord du pays. Nous descendons de quelques kilomètres au sud pour visiter le célèbre monastère d'Ostrog. Il se situe au bout d'une jolie route de montagne. Plus on avance, plus cela devient compliqué de se croiser. Surtout, que régulièrement, il faut composer avec des gros bus de touristes. Nous montons aussi haut que possible mais, une fois garés, il faut encore grimper un long escalier, heureusement ombragé. Là haut, nous sommes accueillis par de la musique liturgique déversée par des hauts parleurs. Les bâtiments du monastère sont directement logés dans la montagne. La plupart ont été détruits par un incendie et reconstruits en 1926. Il serait intéressant de visiter l'intérieur mais la file de pèlerins est longue et s'étale sous le soleil de midi. Mon ardeur religieuse n'étant pas très développée et mon intérêt architectural vite modéré par la perspective d'attendre en plein soleil, nous nous contentons de la vue extérieure sur la belle église blanche. Nous reprenons le chemin de la voiture et roulons cette fois vers le nord, vers le Durmitor.

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Côte Adriatique 2 : malades au Monténégro

Il nous reste encore une journée à Ulcinj après la grande excursion au lac Skadar. Nous avons surtout prévu de nous reposer et de retourner voir plus tard la grande plage de sable. Mais dès le matin, la petite se plaint d'un mal de ventre. Assez vite, il devient clair qu'elle est malade et souffre d'une sorte d'intoxication alimentaire. Nous patientons alors tandis que la journée passe doucement, nous écrasant de sa chaleur dans l'appartement non climatisé. Nous discutons avec les Russes en bas pour voir s'il est possible de faire venir un docteur. Ils nous donnent l'adresse d'un centre de soin. La petite s'est endormie : nous irons si son état empire.

En attendant, dans la moiteur brûlante de la fin d'après-midi, Seb et moi décidons de descendre à la plage. C'est en remontant que les choses se gâtent. Tout commence par une légère nausée puis Seb me dit que lui aussi a mal au ventre. Très vite, impossible de nier l'évidence : nous sommes malades nous aussi. La soirée puis la nuit arrivent. Nous sommes étendus dans cette chambre trop chaude, à nous tordre de douleur sur le lit. La malchance veut que l'eau et l'électricité soient coupées plusieurs heures ce soir là. Il faut se débrouiller avec un gros bidon d'eau laissé en prévision par le propriétaire. Heureusement, la petite va mieux que nous et dort à présent. L'eau revient dans la nuit : je prends plusieurs fois des douches froides pour me rafraîchir. Ce n'est que vers 4h que je m'endors d'un sommeil douloureux.

Le lendemain, nous nous réveillons encore très faibles. Impossible pour moi de manger quoi que ce soit : je bois avec difficulté une tisane sucrée. La petite va mieux. Elle ne mange pas beaucoup mais semble en pleine forme. Nous devons déménager aujourd'hui. Le Russe nous a proposé de rester une nuit de plus mais nous avons réservé notre prochain logement et, par ailleurs, il devrait être plus confortable. Cependant, Seb et moi avons beaucoup de difficultés à ranger nos affaires. Nous commençons par dormir toute la matinée et ce n'est qu'en début d'après-midi que nous lançons le départ. Après chaque mouvement, il nous faut 5 minutes de repos. Heureusement, la maman va bien ainsi que le bébé. Voilà qui me fait soupçonner très fortement la baignade dans le lac d'être la cause de nos malheurs. Je revois très distinctement la petite avaler goulument des gorgées entières de cette eau douce et tiède tandis qu'elle nageait près du bateau. Nous aurons plus tard la confirmation que nous ne sommes pas les seuls touristes à avoir souffert d'une telle mésaventure…

La maman s'est occupée de ranger l'appartement. Seb et moi nous traînons tels des loques jusqu'à la voiture. Seb est déshydraté et trop faible pour conduire. Moi, je vais mieux, je manque de force mais tant que je suis assise, ça va : c'est moi qui prends le volant. Il n'y a que 45 minutes de route, nous remontons la côte vers le nord jusqu'à la petite ville de Petrovac. Nous sommes accueillis par un couple de Russes. Ils possèdent le petit immeuble dans lequel nous logeons et sont installés dans l'appartement au dessus du notre. L'immeuble en question n'est pas terminé : il reste des plateformes de béton brut hérissées d'acier, la porte-fenêtre de la chambre donne sur un trou en friche. Mais dans ma fatigue, l'appartement m'apparaît comme un havre. Il est neuf, clair et frais. Je m'étends sur le canapé blanc et regarde la mer en contre-bas dans la fraîcheur de la climatisation… La journée s'écoule ainsi. Seb parle d'aller à la plage mais s'endort finalement. La petite, qui va mieux, s'ennuie un peu. Heureusement, la propriétaire nous a apporté une collection de DVD de dessins animés en russe...

Le lendemain, après une nuit de repos, Seb et moi allons mieux. Je peux recommencer à me nourrir, doucement et prudemment. Cependant, c'est la petite qui a fait une rechute et est à nouveau malade. Inquiets de cette dégradation, nous cherchons les adresses des centres de soins et hôpitaux à Budva et Bar, les deux villes dont nous sommes le plus proches. Les propriétaires russes viennent à la rescousse et trouvent, enfin, à nous appeler un médecin ! Les autres partent faire des courses et je reste garder la petite qui s'est mise en boule sur le canapé.

C'est notre troisième journée de maladie, la deuxième dans ce bel appartement. Je passe mon temps à regarder la vue magnifique par la fenêtre. Le matin, la mer et le ciel sont d'un même gris vaporeux, séparés seulement par la ligne, plus sombre, de l'horizon. Puis, tandis que le ciel reste clair, presque blanc, la mer prend son bleu profond et vif qui tranche le paysage. Enfin, le soir, les deux se confondent à nouveau, rose, orange, rouge, dans l'explosion du crépuscule.

La docteure est arrivée. Elle ne parle pas anglais : nos échanges se font par gestes et par Google translate. Elle examine la petite : il n'y a rien d'alarmant, il faut seulement faire attention à la déshydratation. Elle nous laisse une ordonnance et malgré la différence de langue et les bizarreries de la traduction automatique, nous comprenons à peu près les instructions. Est-ce le sirop ou simplement que la crise est finie ? En tout cas, le soir, la petite va beaucoup mieux et après être restés enfermés tout ce temps, nous n'en pouvons plus et décidons de sortir. Nous arrivons à la plage de Lucice à la nuit tombante et Seb et moi prenons un bain nocturne.

Après ces trois jours de maladie accompagnés de leurs éprouvantes mauvaises nuits, la journée suivante n'est pas de trop pour reprendre des forces. Nous ne sortons que dans l'après-midi et redescendons à la plage. Petrovac est une ville de vacances, elle ne semble être faite que d'appartements saisonniers. Ses rues sont pleines d'un flot continue de familles en maillots de bain, de paréos et de parasols, de grosses bouées et de serviettes de bain. La plage de Lucice est moins agréable en journée que le soir : pleine de monde, il est difficile d'y trouver une place et l'ombre est rare. On s'est finalement installé dans un petit coin et nous profitons tout de même de cette belle mer Adriatique et du toboggan aquatique qui fait le bonheur de la petite. Le soir, nous prenons la voiture jusqu'à Budva, à 20 minutes au nord. On quitte l'ambiance gentiment familiale de Petrovac et on arrive dans le monde bling-bling d'une ville côtière branchée. Ici, ce sont les boîtes de nuit et les bars de luxe qui étalent leurs affiches et leurs terrasses pleines de cocktails colorés. Dans le port, les yachts à trois étages rivalisent de m'as-tu-vu. Quand on voit des groupes d'hommes bedonnants discutant affaires en sirotant un apéritif sur l'un de ces bateaux à pavillon italien, on se croirait dans un épisode des Soprano. La vieille ville est, encore plus qu'à Dubrovnik et Kotor, envahie par les boutiques où des vendeuses nous servent des sourires froids et fatigués. Derrière ce flot consumériste, difficile d'apprécier la beauté du lieu… Nous trouvons cependant un restaurant agréable et terminons ainsi notre soirée.

C'est déjà le dernier jour pour la petite famille qui nous accompagne. On profite une dernière fois de Lucice puis on part faire un tour en voiture jusqu'au parc du Lovcen. On monte en voiture jusqu'au sommet d'une montagne où l'on trouve l'étrange mausolée de Petar Il : son tombeau, tel un temple moderne, surplombe les collines décharnées du parc, poussiéreuses dans cette chaude journée d'été. La balade au Lovcen vaut surtout pour la route que nous prenons ensuite qui redescend vers Kotor. La baie, qui ne cesse de nous surprendre par sa beauté, apparaît d'un seul coup, presque dans son ensemble, argentée et brumeuse, mystérieuse dans le ciel du soir. Et ce soir, justement, nous retrouvons Kotor, animée par la fête du carnaval. Après le dîner, nous regardons défiler les groupes costumés. Les peaux moites se couvrent de sueur dans la chaleur nocturne qu'aucun souffle de vent ne vient rafraîchir. L'unique route est bloquée par le carnaval, nous n'avons d'autre choix que d'attendre la fin du défilé en tentant de se rafraîchir en mangeant des glaces.

Le lendemain, nous remontons une dernière fois la côte : Budva, Tivat, le bac qui traverse la baie, puis Herveg Novi et la frontière. La maman, la petite et le bébé repartent depuis Dubrovnik et nous entamons à deux la dernière partie de notre voyage…

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