Retour en Géorgie
Jeudi matin, Seb se sent beaucoup mieux et nous quittons Gyumri et l'Arménie. Nous prenons la route dans la matinée, direction le nord. Nous longeons des montagnes, de l'autre côté se trouve la Turquie. Nous passons la frontière vers la Géorgie sur une minuscule route déserte. Autour de nous, des champs : vaches et tracteurs semblent se préoccuper bien peu du pays dans lequel ils se trouvent. Le passage se fait plus rapidement qu'à l'aller car il n'y a pas grand monde et nous n'avons donc pas à attendre pour recevoir tous les papiers et tampons nécessaires. Et nous voilà de l'autre côté, traversant de petits villages aux toits de chaumes sur lesquels je trouve à ma grande surprise des cigognes !
Au moment où j'écris, cela fait déjà plusieurs jours que je suis retournée en Géorgie et les différences entre ces deux pays m'apparaissent assez clairement. Elles sont d'ailleurs remarquables dès le passage de la frontière. On pourrait penser que deux pays si petits et si proches sont presque semblables, et pourtant... Ce qui frappe d'abord c'est que, pour une raison qui m'échappe, l'influence architecturale soviétique a beaucoup moins frappé la Géorgie que l'Arménie. D'ailleurs l'Arménie semble plus russe que la Géorgie. La conséquence directe c'est que, pour ce que j'en ai vu, les villes géorgiennes sont plus jolies que les villes arméniennes. Évidemment, je ne base cette remarque que sur une observation incomplète : il faudrait au moins pouvoir comparer Yerevan et Tbilisi. En tout cas, en Arménie, on parle partout le russe et nulle part l'anglais. Le russe est aussi très présent en Géorgie mais les rudiments d'anglais sont beaucoup plus développés. De façon générale, la Géorgie est un peu plus riche que l'Arménie : les prix y sont un peu plus élevés, les routes sont dans un état un peu meilleur et il y a plus d'indications (elles sont presque inexistante en Arménie, merci GPS). On le voit aussi au niveau des voitures. Dans les deux pays, on trouve un mélange hétéroclite de vieilles voitures soviétiques genre Lada et de nouveaux 4x4 ultra modernes. Mais la proportion est différente : si vous vous demandez où sont passées toutes les voitures de l'ère soviétique, c'est simple, elles sont toutes en Arménie !
Une chose est compliquée dans les deux pays : se nourrir le midi. Le soir on va au restaurant, mais le midi on est parfois sur la route ou bien on ne veut pas perdre de temps (on ne peut pas dire que les restaurateurs soient très pressés). Alors, pourquoi ne pas acheter à l'avance de quoi pique-niquer ? C'est ce qu'on essaie de faire mais on trouve ici asse peu de supermarchés. Le plus courant, ce sont des petites épiceries, même pas toujours en libre service. Dans les rayons, peu de choses nous semblent consommables. Et puis, évidemment, on ne comprend jamais rien à ce qui écrit. Alors on fait ce qu'on peut, on achète un peu de pain, des paquets de Tuc et des petits gâteaux. Parfois aussi des fruits. Heureusement on n'a pas toujours très faim, mais cette alimentation décousue n'est peut-être pas pour rien dans les quelques soucis de santé que nous avons dû affronter. Ce jeudi matin où nous passons la frontière, nous mangeons donc nos Tuc au bord d'une petite rivière. Nous avons déjà parcouru plusieurs kilomètres en Géorgie au milieu d'une plaine désertique. On avait faim mais on ne savait pas où s'arrêter.
Le paysage devient moins monotone. La rivière que nous longeons fait comme une trainée de verdure dans les collines poussiéreuses. J'avais pensé rouler directement jusqu'à la ville de Borjomi mais je découvre que nous passons juste à côté de Vardzia et qu'il possible d'y loger. Cette vallée est un "must see" d'après le guide, on y trouve en particulier un monastère taillé directement dans la roche. On décide donc de s'y rendre dès aujourd'hui et d'y passer la nuit. La vallée en elle même est magnifique. Au moment de quitter la route principale, on est accueilli par une magnifique forteresse dressée sur un rocher. Puis on roule le long des falaises désertiques avec la rivière en contre bas. Au bout de quelques kilomètres, on peut voir le monastère comme une série de petites grottes dans les rochers. C'est tout ce que j'en verrai : des circonstances ennuyeuses m'empêcheront d'en visiter l'intérieur mais je ne le sais pas encore. Un peu après le monastère, on trouve comme l'indique le guide, une petite auberge perdue au fond de la vallée. Ils viennent de terminer leur joli bâtiment de pierre : il n'est même pas encore tout à fait fini, certains murs sont encore nus et des ouvriers travaillent à créer une terrasse. Mais ils ont déjà ouverts les chambre et en ont une pour nous. L'auberge est comme nichée au creux des rochers. Un magnifique jardin fleuri descend jusqu'à' la rivière. Dans ce petit paradis, nous sommes coupés du monde : pas d'internet, pas même de réseau mobile, à une heure de route de la ville la plus proche. Nous avons tout juste de quoi payer la chambre (50 euros pour 2 avec repas du soir et petit-déjeuner). En effet, comme je pensais que nous serions dans une ville, je ne me suis pas inquiétée de tirer de l'argent géorgien depuis la frontière. Mais il m'en restait un peu et l'auberge accepte les euros. Ouf, nous pouvons donc rester. Il n'est que 15h mais nous ne ressortons pas visiter la vallée. Nous paressons dans le jardin. Seb lit, allongé dans un hamac, et je fais une aquarelle sous le regard amusé et complaisant de nos hôtes. Le soir, nous mangeons un copieux repas au bord de la rivière. Repas qui pour moi sera bien douloureux... A suivre.
Dilijan et le lac Sevan
Mardi matin, Dilijan est recouvert par les nuages ce qui donne à ses montagnes un air majestueux. Nous prenons un copieux petit-déjeuner à l'auberge, légèrement tourmentés par les guêpes. Nous avons pris la chambre pour deux nuits et avons prévu aujourd'hui d'aller voir le lac Sevan à une vingtaine de kilomètres de la ville. Nous voilà donc sur la route avec maillots et crème solaire. Nous roulons un moment dans la montagne brumeuse, passant quelques tunnels pas toujours éclairés. Et puis, assez soudainement, le paysage change et devient presque désertique. Ce sont les abords du lac.
C'est le genre de lac qui rappelle la mer : on n'en voit pas toujours l'autre rive. Notre premier arrêt est la péninsule Sevanavank qui fut autrefois une île. En haut de cette petite colline, se perche un monastère du IXème siècle dont il reste principalement deux églises. De nombreux touristes, dont beaucoup d'Arméniens, se pressent dans l'escalier qui grimpe vers le sommet. La haut, il faut parfois patienter et se serrer pour pouvoir rentrer dans les églises (ce qui, d'ailleurs, n'est pas très intéressant car elles sont plus jolies de l'extérieur). Ce qui fait tout le charme du lieu, c'est le dessin de ces magnifiques petits édifices sur le lac, vision hautement romantique. Le ciel s'est dégagé et l'on aperçoit les montagnes brumeuses au loin. Nous profitons de la vue dans le soleil et le vent avant de redescendre.
Nous reprenons la route, espérant trouver une plage. La ville de Sevan est séparée de la rive par une sorte d'autoroute sur laquelle nous nous trouvons. En fait, c'est à peine si nous voyons le lac. Puis enfin, on quitte la voie rapide pour rejoindre la petite route de la côte. Nous sommes maintenant assez loin de la ville et les abords du lacs semblent presque déserts. Le paysage est rouge et caillouteux. Près de l'eau, on trouve de petites cabanes en taule, en fait ce sont des container transformés en habitations éphémères le temps de l'été. De nombreuses familles campent là, pêchant et se baignant. Nous roulons une vingtaine de kilomètres dans cet étrange désert. Nous visitons un autre monastère, moins touristique que le premier mais tout aussi joli puis atteignons un petit village. Le guide parlait d'une plage que nous ne trouvons pas (le village ne semble même pas au bord de l'eau). Nous visitons un vieux cimetière dans lequel se dressent de grandes pierres sculptées de croix et de dessins divers : trésors arméniens datant parfois de plusieurs siècles. Une vielle dame vend des bonnets en laine. Nous trouvant seuls dans le cimetière, elle s'autoproclame notre guide. Elle nous emmène voir les pierres les plus fameuses, nous expliquant ce que représentent les gravures. Elle ne parle pas vraiment anglais mais ponctue son discours d'un minimum de mots compréhensibles et l'illustre à grand renfort de mimes et de gestes. C'est ainsi qu'on comprend par exemple qu'une certaine pierre décrit une famille entière tuée par les Mongols. Tandis que nous terminons le tour, un autre groupe de touristes apparait. Je sens que la vieille dame leur jette des regards furtifs. Mais elle n'aura pas perdu son temps avec nous car Seb se décide à lui acheter un bonnet. Il faut dire qu'elle s'est donnée beaucoup de mal pour nous et que sa passion pour le cimetière semblait tout à fait sincère. De façon générale, ce genre de choses nous arrive peu. L'Arménie est un pays relativement pauvre mais on ne s'y sent sent jamais harcelés. Il y a peu de mendicité et on s'y promène très tranquille.
Nous repartons vers Sevan. Les rives désertes du lac peuvent être tentantes mais nous n'avons rien mangé. Et puis, on n'aurait l'impression de s'immiscer dans la tranquillité de toutes les petites familles installées là. Nous nous trompons de route et nous perdons un peu dans la ville de Sevan, tout à fait affreuse. Enfin, de retour sur l'autoroute, nous sommes maintenant du bon côté. C'est-à-dire que le lac est simplement caché par quelques arbres. Toutes les dizaines de mètres, il y a des panneaux et des petites sorties annonçant des plages mirobolantes. Évidemment, quand on roulait dans l'autre sens, on ne voyait rien de tout ça, et d'ailleurs, les sorties étaient inaccessibles. Nous tournons donc et découvrons tout un petit univers. Les bords du lac sont animés d'une agitation estivale. Les installations touristiques se succèdent : location de "container bungallow", petits hôtels, bars et restaurants. Sous une tonnelle au milieu des arbres, nous commandons du poulet grillé à un bar. Le barbecue semble être partagé par tous : restaurants mais aussi familles venues avec leur propre nourriture. Après le repas, nous nous rendons sur la plage. Quelques chaises longues en bois sur un sable gris, des enfants qui jouent et l'eau houleuse du lac. Il ne fait pas très chaud, il y a beaucoup de vent et peu de soleil. Cependant, je remarque que si le froid n'empêche pas tout un tas de gros bonshommes de se mettre torse nu en short de bain, les jeunes filles restent en grande majorité habillées. Même pour se baigner, elles portent souvent un short et un débardeur. En fait, je ne verrai qu'une seule femme en maillot de bain, elle semble être d'une classe sociale plus élevée. Mais par ailleurs, je sens bien que je peux me mettre moi en maillot sans que cela paraisse bizarre. Je suis tout de même loin de l'impression laissée par certaines plages du Maghreb où le moindre morceau de chair attirait les regards. Il faut dire aussi qu'avec ma peau claire et mes cheveux blonds, il y a peu de chances qu'on me confonde avec une arménienne. Enfin, nous nous décidons à entrer dans l'eau. Elle n'est pas trop froide comparée à l'air et une fois dedans, on y est tout à fait bien. Je nage avec plaisir en prenant garde à ne pas trop m'éloigner de la rive pour ne pas croiser les Jet Skis furieux.
Et voilà comment nous terminons cette petite excursion au lac. A peine sortis de l'eau, nous nous rhabillons et prenons la route du retour. Plus nous nous approchons de Dilijan, plus le ciel se couvre. En fait, dans la montagne, il a plu toute la journée. Les jeunes femmes de l'hôtel sont désolées car elles n'ont pas pu étendre le linge que nous avons mis à laver ce matin. Que peut-on fait contre la fatalité ? On l'étendra dans la voiture et il séchera comme il pourra. Dilijan est au milieu des montagnes. C'est une ville assez touristique car très bien placée. Il y a un vieux centre à l'architecture préservée. Il est très joli, mais surtout très petit. Il me rappelle un peu un écomusée. En dehors de ça, la ville n'est pas très jolie, à part quelques petites maisons comme notre auberge, il y a surtout de gros bâtiments soviétiques. Par ailleurs, elle est plutôt morne. Je ne sais pas si c'est le mauvais temps mais les rues sont désertes. Nous mangeons dans un restaurant du vieux centre où l'on nous sert de délicieux ragouts. Seb ne se sent pas très bien ce soir et mange peu. Nous rentrons rapidement et nous couchons tôt. Dehors, nous entendons tonner l'orage...
Le lendemain matin, Seb est toujours mal en point. Il ne prend presque rien au petit déjeuner, pourtant très bon. Nous décidons quand même de quitter la ville comme prévu. Nous roulons longtemps dans les montagnes puis atteignons une longue plaine où nous retrouvons la chaleur de l'été. Nous arrivons Gyumri en début d'après-midi. C'est une ville assez grande et plutôt agréable, nous logeons dans un grand hôtel du centre ville. Avec ses colonnes en marbre, son large hall et son aspect légèrement démodé, on dirait un ancien établissement soviétique. D'ailleurs, de façon générale, on se croirait dans une ville russe. Et pour cause, la ville a été développée par les Russes au XIXème siècle. Son centre est fait d'imposants bâtiments rappelant cette époque autour de très larges places. Sur la terrasse d'un restaurant où le menu n'est traduit qu'en russe (partout en Arménie, on nous parle russe), je commande un plat au hasard. Pas de chance, ce sont des harengs. Je suis obligée de voler des morceau de poulet à Seb. Sur notre droite, se trouve l'église Amenaprkich en grande partie détruite lors du tremblement de terre de 1988. Depuis, une reconstruction à l'identique est à l'oeuvre, pas encore terminée mais bien avancée. La ville a beaucoup souffert de ce tremblement de terre qui tua 50000 personnes et en laissa de nombreux autres sans abris. Aujourd'hui, on en voit presque plus rien : tout a été reconstruit. Il est difficile de dire si les trottoirs défoncés et les maisons en mauvais états sont des restes de la catastrophe ou simplement dû à l'état général des rues et des bâtiments en Arménie... Nous ne nous promenons que peu car Seb n'est pas encore remis et est fatigué du trajet. Nous passons donc la majeure partie de l'après-midi à nous reposer. Nous ressortons le soir pour manger, la ville est agréablement animée dans la douceur du soir. C'est notre dernière nuit en Arménie...
Arrivée en Arménie, premières aventures...
Nous quittons Tbilisi le dimanche matin. Trouver la location de voiture, sortir de la ville, tout ça ne pose pas trop de problèmes. Les yeux rivés sur le GPS, c'est à peine si je remarque les piteuses barres d'immeubles que forment les banlieues que nous traversons. Assez vite, nous voilà sur une petite route au milieu d'une plaine desséchée. Nous croisons des vaches et des moutons. Sur le bord de la route, des vieilles dames vendent des fruits. Nous traversons des villages tristes et pauvres. Assez vite, nous arrivons à la frontière. D'abord, il faut sortir de Géorgie, nous patientons avec la longue file de voiture. En fait, seul le conducteur peut passer avec le véhicule. Moi, il faut que je sorte et que j'aille faire la queue avec les piétons. Je retrouve Seb de l'autre côté, nous sommes dans "l'entre deux". Dans ce noman's land, on ne trouve qu'une petite boutique d'alcool duty free et rien d'autre. Nous avions l'espoir d'acheter de quoi nous nourrir ce midi car nous n'avons rien vu de convaincant depuis Tbilisi ce matin. Bon, il nous faudra nous contenter de nos gaufrettes et graines de tournesol... A nouveau, on fait la queue pour entrer en Arménie. Aucun problème, il n'y a plus besoin de visas, et un simple tampon sur nos passeports suffit. Mais ce n'est pas fini, il faut maintenant s'occuper de la voiture. Dans un petit bureau, nous donnons tous les papiers à un fonctionnaire affable qui nous montre des photos de lui sous la tour Eiffel. On reçoit de nouveaux papiers et de nouveaux tampons et on peut enfin sortir. Nous voilà donc en Arménie dans l'agitation poussiéreuse de la ville frontalière. On s'occupe encore de quelques formalités : changer quelques euros pour avoir de l'argent arménien, acheter une assurance pour la voiture et une carte pour le téléphone de Seb (ça marche, il est très content). Nous n'avons toujours pas mangé et l'après-midi est déjà bien entamée. Nous avons un peu faim mais nous en avons assez de cette errance dans la fumée des pots d'échappement, on veut surtout quitter cet endroit et reprendre la route. En tout, la frontière nous a bien pris deux heures ce qui me semble plutôt raisonnable. Je sais bien qu'une frontière terrestre avec un véhicule n'a pas grand chose à voir avec les formalités aseptisées des aéroports. Et puis l'essentiel, c'est qu'on soit de l'autre côté, nous sommes en Arménie !!
De ce côté là, le paysage devient tout de suite beaucoup plus joli (n'en déplaise aux géorgiens). Nous longeons une rivière entourée de verdure et de petites collines. Ici aussi , il y a des vaches et des moutons (plus ou moins sur la route) et des vieilles dames qui vendent des fruits. Bientôt, les collines deviennent plus importantes et nous roulons au fond d'une gorge entre de hautes parois rocheuses. C'est le canyon de Debed où nous souhaitons passer la nuit. Nous arrivons dans la ville d'Alaverdi. Ville minière flanquée d'affreuses constructions soviétiques, son abord est un peu triste et sordide. Nous dépassons une large usine désaffectée et des immeubles gris décrépits. Autour, le paysage est splendide. Un peu après la ville, nous prenons la route du village d'Odzun dont parle notre guide. Il nous faut trouver un endroit où dormir et le village semble un meilleur pari que la ville. Nous serpentons le long de la falaise découvrant de magnifique panoramas sur la rivière et la vallée. En haut, surprise, nous voilà sur un immense plateau : il y a des champs et des animaux qui paissent tranquillement. Nous arrivons au village. Il est relativement grand, modeste mais pas misérable. Visiblement, il doit vivre de l'agriculture et de l'élevage car nous croisons de nombreuses granges pleines de foin. Le guide parlait d'un B&B près de l'école. Nous trouvons l'école mais pas le B&B. Nous suivons alors un panneau indiquant "hôtel". Lorsque, ce faisant, nous sortons du village sur une route cabossée, nous perdons un peu espoir. Mais un groupe de jeunes filles nous indique la direction d'un air très convaincu en répétant "hôtel, hôtel". Nous continuons, légèrement circonspects. Qu'allons nous donc trouver ici ? On roule encore quelques centaines de mètres au milieu des bosses, des trous et des bouses de vaches. Nous passons une première grille toute défoncée, puis une seconde en meilleur état, et d'un seul coup, derrière les arbres, apparait un joli petit bâtiment. Il y a donc bien un hôtel, et mignon en plus, les jeunes filles et le panneau avaient raison. Un homme arrive, il ne parle pas anglais mais la situation est plutôt simple. Il nous amène à notre chambre, en fait, un véritable appartement avec deux chambres et un salon. Surtout, il y a un grand balcon avec une vue grandiose sur le plateau et la vallée. Avec le petit-déjeuner, cela coûte un peu plus de 40 euros... Pour monter à la chambre, on emprunte un petit escalier au milieu d'un parterre fleuri avec des petites fontaines. L'hôtel est au coeur d'un verger de pommiers, on croirait un petit paradis. Il y a même une piscine ! Plus tard, nous grignotons à nouveau nos graines de tournesol sous une tonnelle au bord de l'eau tandis qu'une petite dame nous sert du thé. Je me baigne dans l'eau froide : il ne fait pas très chaud et il y a des mouches mortes à la surfaces mais après une journée de route, je trouve si agréable de nager.
Malheureusement, après s'être un peu reposés, il nous faut repartir. Il faut retourner à Alaverdi pour tirer de l'argent et puis il faut trouver un restaurant car nous commençons à avoir vraiment faim. Pour la banque, c'est facile mais on avait un peu plus peur pour le restaurant... Et pourtant, oh miracle, il apparait sur la route : un grand bâtiment que nous n'avions pas vu à l'aller d'où s'échappe une musique tonitruante. Une jeune serveuse nous amène sur une petite terrasse en bois. Le menu est à 6 euros, il comprend des crudité, du fromage et de la viande grillée. Trop heureux, nous profitons de notre repas copieux et inespéré. Les musiciens sont sur l'autre terrasse. Sur un rythme qui ne finit jamais, ils enchainent avec entrain des reprises de vieux tubes américaines mélangées de chansons arméniennes. Lors d'une de leurs pauses, l'un d'eux vient nous voir. Il est très heureux que nous soyons français et répète "Parish, Parish !" en souriant. Puis il insiste pour nous offrir des shots de vodka et trinquer avec nous : voilà pour l'accueil légendaire des arméniens ! Nous rentrons assez tôt à l'hôtel pour ne pas avoir à retrouver le chemin de nuit et, dans ce cadre magnifique, nous passons notre première nuit en Arménie.
Le lendemain, nous attendons patiemment l'heure du petit-déjeuner assis au soleil au milieu des pommiers. Nous sommes loin d'être les seuls dans l'hôtel, il y a tout un tas de famille mais mes piètres compétences linguistiques ne me permettent pas de savoir s'ils sont russes ou arméniens. Enfin, il nous faut quitter ce bel endroit et reprendre la route. Nous commençons par visiter l'église du village qui date du Vème siècle. C'est un magnifique petit bâtiment qui se cache un peu derrière des échafaudages car il est en réfection. Nous croisons un couple de français et écoutons un peu les explications de leur guide. En discutant avec eux, nous apprenons qu'ils font le tour de la mer noire et vont bientôt passer en Géorgie. Ensuite, nous visitons deux monastères du Xème siècle proches d'Alaverdi. A chaque fois, ils sont perchés en haut des falaises et il faut gravir des routes en lacets au dessus de la vallée. L'un d'eux est à côté d'une petite ville qu'on avait déjà remarquée : elle est aussi laide qu'Alaverdi mais au sommet du plateau. D'en bas, on voit dépasser ses horribles immeubles, on dirait une cité HLM plantée en haut d'une montagne. Les monastères, eux sont magnifiques. On ne peut pas tout voir car certaines parties sont en travaux. Mais, même de l'extérieur, les églises ont un charme fou avec leurs grosses tour ronde et les petits transepts qui les entourent. Ils sont de jolis écrins au coeur de ce paysage montagneux fait de pâturages et de forêt où le canyon se découpe entre les plateaux comme une longue cicatrice. Autour de chacun d'eux, on trouve une foule de petits marchands pour touristes : des vieilles dames nous alpaguent voulant à tout prix nous refourguer des chaussettes en laine, des cartes postales, ou des pots de confiture. A l'une d'elle, nous achetons des petits gobelets remplis de mures. C'est la saison, on en trouve partout sur les routes. Nous les dégustons tranquilles, au soleil, en fuyant les guêpes.
Enfin, nous repassons une dernière fois par Alaverdi : on a l'impression de passer notre temps à traverser cette ville. A force, sa laideur parait supportable, et elle a même un peu de charme dans son activité quotidienne. Aujourd'hui, nous ne nous laisserons pas surprendre et achetons de quoi subsister. Puis nous laissons derrière nous les noirs immeubles pour descendre vers le sud. Nous ne roulons pas longtemps, le guide indique un petit monastère caché dans un hameau. Une route de cailloux nous mène à une gare déserte. D'après notre guide, il doit y avoir derrière la voie ferrée un escalier de pierre qui montre vers le monastère. Nous avons beau chercher et marcher dans les hautes herbes, nous ne voyons rien. Il y a bien un mur la haut, mais rien pour l'atteindre que de la végétation hostile et des rochers abrupts. Derrière une petite grille, nous croyons repérer un début de chemin. Nous commençons à le suivre. Bientôt il se transforme en vrai bourbier et devient de plus en plus impraticable. Nous nous obstinons, trop avancés pour faire demi tour. Ce n'est qu'une fois arrivés au niveau du mur que nous nous résignons : ceci n'avait rien à voir avec un escalier de pierre et d'ailleurs, il n'a même pas de monastère derrière ce foutu mur. Nous redescedons tant bien que mal dans la boue et herbes et retournons, dépités, à la voiture. Là, nous nettoyons en soupirant nos jambes pleines de terre et de griffures et mangeons, résignés, notre pain au fromage. Alors qu'on a fait demi tour sur la route de cailloux et qu'on s'apprête à partir, le voilà qui apparait, il est là, l'escalier en pierre ! Il était beaucoup plus proche de la route principale que ce que nous pensions, voilà pourquoi on le l'avait pas vu tout à l'heure. Bon, on ne va pas rester sur un échec alors même si nous sommes fatigués, on y va quand même. On arrive dans un petit hameau, on croise un cochon et des poules et on continue de monter.
Cette fois, il n'y a pas de boue ou de plantes qui nous griffent les jambes, mais ça reste fatigant. Enfin, nous voilà là haut, épuisés. Et le petit monastère est là, modeste trophée de notre quête absurde. Des jeunes filles, sans doute un chantier international, travaillent à le rénover en grattant patiemment la pierre brunie par le temps. Assez vite nous redescendons. Une dame nous a indiqué le chemin à l'aller et invité à prendre un café. Nous la rejoignons dans son jardin. Elle ne parle que très peu anglais mais on arrive tout de même à communiquer de façon minimale. Sa maison est toute petite, très modeste. Nous sommes installés dans son joli jardin où poussent des rosiers et des arbres fruitiers. Elle a aussi plusieurs ruches dont elle tire du miel. Une jeune femme est avec elle, c'est sa fille. Elle non plus ne parle pas anglais, elle est déçue que nous parlions pas russe et semble un peu taciturne. Mais la mère est très heureuse de nous avoir invité. Elle envoie sa fille nous préparer du café : elles nous le servent très épais et amer dans de petites tasses (je mets beaucoup de sucre car je ne suis pas habituée). Avec ça, elle nous offre du gâteau avec son miel maison et les fruits de son jardin. Nous acceptons avec plaisir. C'est un peu frustrant de ne pas parler la même langue mais nous pouvons tout de même leur montrer notre itinéraire sur la carte et leur dire que nous sommes français. Elles mêmes ont toujours vécu ici, dans ce minuscule hameau, difficile d'imaginer leurs vies. La mère vend peut-être certains produits de son jardin comme le miel. En tout cas, elle s'en occupe avec soin et profite des fruits et des légumes qu'il lui fournit. Peut-être que la fille travaille plus loin en ville, peut-être même qu'elle ne vit pas ici. Tandis que nous buvons le café, elle répond à son téléphone portable. La mère nous demande si nous sommes mariés et si nous avons des enfants. On répond que les enfants viendront plus tard mais que oui, nous sommes mariés (on ne va pas se lancer dans de grands discours sur l'union libre). Après ce petit goûter original nous quittons la mère et la fille avec une photo et plusieurs "au revoir, good bye, merci, merci, thank you".
Nous revoilà donc sur la route. Avec toute cette aventure, il est déjà presque 5h et nous ne sommes pas encore arrivés. Nous continuons vers le sud, quittant bientôt le canyon et dépassant la ville industrielle de Vanadzor. Nous roulons à nouveau dans la montagne mais le paysage est moins escarpé que ce matin. Il n'y a plus de hautes falaises rocheuses mais des forêts qui s'étirent en pentes douces. Nous arrivons à Dilijan. La ville semble s'étaler dans la montagne, nous avons du mal à trouver le centre. Après avoir tourné un certain temps , faisant demi tour sur demi tour, nous voilà enfin sur une rue un peu animée bordée de grandes bâtissent soviétiques. Les indications de notre guide étaient encore trop floues et nous n'avons pas trouvé les auberges qu'ils conseillaient. Qu'à cela ne tienne, nous suivons un panneau qui a une tête sympa et tentons notre chance dans une petite guesthouse à l'abord agréable. Et en effet, voilà une jolie petite maison avec un balcon et un petit jardin. De notre chambre, nous voyons la montagne. Un groupe de français est arrivé en même temps que nous. L'un d'eux est franco-arménien et fait la traduction pour son groupe et aussi pour nous. Comme eux nous commandons le dîner de ce soir à l'auberge. Une bonne douche chaude pour se laver de la boue restée collée sur nos mollets, puis une soupe au lait chaude sur le petit balcon dans la douceur du soir... Fin de cette première journée en Arménie.