Quand nous arrivons sur le quai de petite Martinique, nous ne voyons pas de bateaux mais des gens qui attendent avec leurs bagages. Nous demandons si le ferry pour Grenade arrive bientôt et ils nous désignent un petit yacht bien minuscule pour un si long trajet. On nous explique que le grand bateau est plus loin et qu'on le rejoint avec le petit. Après avoir attendu 1/2 heure à fondre dans la chaleur humide on nous laisse enfin nous installer et le bateau part rapidement. Nous sommes assis à l'intérieur, plutôt en dessous du niveau de l'eau. Par les petites fenêtres carrées, nous n'apercevons que le ciel gris et uniforme qui se balance. Le moteur vrombit de façon très désagréable et nous devons fermer les yeux et chercher la somnolence pour ne pas être malade. Heureusement, le voyage est court et nous changeons de bateau à Carriacou, rejoignant le plus grand ferry qui doit nous amener à Grenade. Nous sommes maintenant assis à l'extérieur et profitons de l'air frais marin. Nous regardons l'île de Carriacou s'éloigner, voguant vers le sud. Je me lève bientôt pour regarder les vagues se briser sur les flancs du bateau. L'attraction la plus amusante reste l'observation des poissons volants. Plus je les regarde, plus je trouve ces animaux improbables et étranges. A les voir planer au dessus de l'eau, on croirait que quelqu'un s'est amusé à prendre un poisson tout ce qu'il y a de plus poisson et à lui attacher deux petites ailes télécommandées pour le balader au dessus des vagues. Car quand on dit "volant", c'est qu'ils ne font pas que bondir rapidement, ils restent plusieurs dizaine de seconde hors de l'eau à virevolter avant de replonger. Ils sont très rapides et parcourt ainsi parfois 20 ou 30 mètres. On a l'impression qu'ils font ça pour s'amuser. Un autre être marin vient enchanter les passagers : un dauphin qui bondit plusieurs fois juste à côté du bateau comme pour se faire mieux admirer.
Nous arrivons à Grenade par le nord et devons longer toute l'île pour rejoindre le port de Saint-Georges. Les grands oiseaux nous accueillent alors que nous nous rapprochons de la côte. Avec Grenade, nous retrouvons une grande île. Derrière ses côtes sauvages, un paysage escarpé dont les sommets se perdent dans la brume. Parfois, l'île est creusée d'une grande vallée qui descend jusqu'à la mer. La terre se termine en rochers et falaises parfois découpées de petites plages brunes. En descendant vers le sud, les plages se font plus grandes et les habitations plus régulières. Puis, au creux d'une baie, apparaît Saint-Georges, blanche et unie, qui escalade joliment sa colline avec ses belles maisons géométriques. Nous voilà sur le quai à refuser les nombreux taxis, l'un d'eux, fair play, nous indique l'arrêt de bus. Nous montons dans le mini-van qui doit nous amener à destination. Les bus ont des numéros affichés sur le pare-brise, ce qui facilite les choses. Nous sommes un peu serrés avec nos sacs, mais ça aurait pu être bien pire. Il y a en général deux personnes importantes dans le bus : le chauffeur imperturbable et le jeune homme qui s'occupe de la porte. Son rôle est crucial : il scrute les passants pour les alpaguer quand le bus n'est pas plein, il s'assure que tout le monde paye et surtout il organise les places assises dans le bus. Celui qui est là aujourd'hui est plein d'une énergie gaie et insouciante. Le sourire aux lèvres, il passe son temps accroché à son téléphone portable. Nous imaginons qu'il donne rendez-vous à ses différentes petite amies le long du trajet. C'est à lui que nous donnons notre destination, les passagers qui connaissent la route se contente de tapoter la vitre quand ils souhaitent descendre.
Nous nous rendons dans un village appelé Crochu, il se trouve assez loin de la capitale et quand nous arrivons, la nuit est en train de tomber. Il nous faut encore descendre une route à pied puis marcher sur un chemin boueux où nous allumons des lampes de poche. Dans la nuit noire, nous trouvons enfin l'hôtel et pouvons nous installer dans notre chambre. En fait de chambres, ce sont de petits chalets en bois, montés sur pilotis, installés dans un grand jardin. Nous dînons d'un délicieux curry de poulet préparé par la maîtresse de maison et rentrons nous reposer. La chambre comporte deux lits d'une place et un matelas par terre rajouté pour nous, mais ce n'est pas très pratique. En effet, nous sommes au milieu de la nature, il y a des bestioles et personne ne veut dormir sur le sol. Nous devons donc nous partager un lit d'une place avec Sébastien sans s'emmêler dans la grande moustiquaire qui nous tombe dessus, la nuit n'est pas très confortable. Au matin, nous découvrons le jardin fleuri qui embaume l'air et la vue magnifique sur la mer. L'endroit est parfait pour une retraite au calme où l'on passe des journées paresseuses à lire sur le balcon. Nous décidons cependant de ne passer ici que 2 nuits au lieu des 4 prévues initialement. Nous voulons nous rapprocher de la ville et de l'aéroport.
Aujourd'hui cependant, nous profitons du lieu. Nous descendons vers la plage, nous perdons, marchons à travers un petit chemin dans la forêt. Mais la plage est jolie, sauvage. Les vagues de l'Atlantique se brisent au loin sur des rochers et nous nageons dans l'eau calme. Le soleil tape quand nous remontons. Rafraîchis par la douche, installés sur notre balcon, nous aurions envie de ne plus bouger de l'après-midi. Mais nous n'avons rien à manger et il faut tirer de l'argent pour payer la chambre. Nous devons prendre le chemin qui grimpe vers l'arrêt de bus, écrasés par la chaleur. Le bus nous emmène à Grenville, à 20 minutes au nord de Crochu, c'est la deuxième ville de l'île. Nous descendons au milieu du marché, l'air est parfumé d'épices. La ville est plutôt jolie, très vivante. Nous mangeons des roties sur un parking près de la mer : nous ne sommes pas dans un lieu touristique, rien n'est joliment aménagé. Quand un mendiant s'approche pour nous demander de l'argent, il est vertement chassé par une vendeuse. Avant de repartir, nous nous baladons sur le marché. Grenade est "l'île aux épices", en particulier, c'est ici que pousse la noix de muscade. Arrêtée près d'un petit étal, je passe du temps à choisir ceux que je veux rapporter. Ici, pas besoin de marchander, de ruser, de déjouer quoi que ce soit, la vendeuse discrète m'explique tout ce que je veux savoir et n'essaie pas de me forcer la main. Mais j'ai acheté chez elle presque 10 euros d'épices et elle est visiblement contente : elle m'en rajoute gratuitement quelques-uns. Nous voilà à nouveau dans le minibus à virevolter le long de la côte atlantique, essayant d'apercevoir la mer et le paysage à travers les fenêtres grises. En rentrant, nous nous arrêtons sur un coup de tête dans un endroit qui semble être un bar le long de la route qui descend vers l'hôtel. On nous accueille l'air un peu surpris, mais oui, c'est un bar et l'on nous sert volontiers à boire. Il est agréable de profiter de la fin de journée avec une boisson fraîche après le trajet en bus. Assis dehors sous un auvent, des hommes jouent aux dominos et ça a l'air d'une affaire sérieuse. Par ailleurs, une femme joue à un jeu de carte avec son petit-fils. Les règles sont simples, nous les comprenons vite et jouons avec elle. S'ils ont été surpris de nous voir, les clients (des habitués et la famille) sont maintenant ravis de nous avoir et nous passons un moment très agréable. Nous prenons des photos de la dame et de son petit fils, nous prenons son adresse et lui enverrons une carte de Paris.
Le soir, je rencontre le gérant de notre hôtel pour lui payer la chambre. J'avais déjà vu sa femme la veille. Ils forment tous les deux un couple étrange et assorti. Lui est allemand et elle grenadienne. J'ai eu les plus grandes difficultés à communiquer avec lui par email car il ne répondait jamais clairement à mes questions : A quelle distance est la station de bus ? Comment se rend-on à l'hôtel depuis Saint-Georges ? La réservation est-elle confirmée ?... Quant à elle, nous avons toujours l'impression qu'elle ne comprend pas ce qu'on lui dit. Quand on lui pose une question, elle nous regarde avec un air un peu absent et nous répond souvent un peu à côté. C'est comme si elle comprenait les mots mais pas la signification globale de la phrase ni le rôle qu'elle doit jouer dans la conversation. Les deux semblent vivre dans un monde à part, plus lent, plus doux. Coupés du monde dans leur petit paradis verdoyant, leur mode de vie leur convient visiblement. Ils sont un peu déçus que nous ne restions pas plus longtemps, je leur explique que la chambre ne va pas pour trois même si je ne suis jamais sure qu'ils aient compris le problème. Cependant, ils sont très sympathiques et nous donnent beaucoup de conseils sur Grenade. Notre départ imminent les réveille provisoirement de leur torpeur habituelle. Je pense que leur affaire fonctionne à peu près, car l'endroit est très joli et doit beaucoup plaire aux âmes romantiques en recherche de nature et de calme. Il y a un Allemand dans le chalet voisin du nôtre qui passe ses journées assis sur son balcon à regarder la vue...
Et voilà, nous quittons le paradis. Les rastas opposent le Zion, qui représente la nature avec laquelle on doit vivre en harmonie, à Babylone qui représente tous les travers et absurdités de la société moderne. Nous avons quitté le Zion et nous rapprochons de Babylone : notre nouvel hôtel est situé dans la zone touristique au sud de Saint-Georges, plus de beau jardin fleuri mais une route avec des voitures, on a aussi remplacé les moustiques et bêtes bizarre par l'air climatisé ! Les bus passent à moins de 50 mètres. Nous avons dû en prendre deux différents pour venir. Ils sont déjà au rythme du carnaval qui aura lieu ce week-end (mais que nous ne verrons pas) et la Soca s'échappe de toutes les radios. C'est une musique antillaise très rythmée et répétitive faite pour danser et défiler. A peine arrivés que nous repartons vers la plage, Grande Anse, qui se trouve à 5 minutes en mini-bus. Nous descendons car nous voyons un peu de sable et de soleil au bout d'une rue, et voilà la plage qui s'étend dans toute sa beauté. C'est le genre de plage de rêve dont on fait des affiches dans le métro pour vendre des voyages organisés. Elle s'étend sur 2 kilomètres, sable blanc, mer turquoise, lisse comme un lac, de grands palmiers pour l'ombre. Nous entrons dans un petit bar où un vieil Antillais joue de la guitare et chante d'une voix chaude et sucrée pour le plaisir de deux touristes américains qui lui paient des verres. Nous prenons de l'eau et des beignets fourrés à la viande. Nous sommes à nouveau dans le monde des touristes : les prix sont traduits en US dollars, on peut louer des chaises longues sur la plage et de jeunes pinups viennent acheter des cocktails glacés qu'elles vont boire sur le sable. Mais la plage est grande et belle et pas du tout surpeuplée. Elle est aussi utilisée par les locaux et des familles viennent profiter de ce joli coin de paradis. En outre, une plage touristique a aussi des avantages qu'on ne trouve pas dans les criques désertes : des toilettes et des douches (propres) par exemple !
Après s'être rafraichis dans l'eau claire et s'être doucement séchés à l'ombre d'un arbre, nous repartons pour aller visiter Saint-George. La ville ne manquait pas de charme depuis le bateau et nous voulons la voir de plus près. D'un côté la marina touristique avec ses maisons blanches et ses restaurants chics, de l'autre le centre ville où nous descendons au terminal des bus : gros bloc de béton gris juste devant la mer. Entre les deux, il y a une grande colline et en haut le vieux fort que nous voulons visiter. Nous aurions voulu éviter de prendre un guide mais l'entrée officielle du fort est fermée et nous ne pouvons visiter qu'en suivant Paul qui ne tarit pas en explication sur sa ville, nous pointant tous les bâtiments, nous expliquant les dégâts de l'ouragan, la révolution communiste (mais je n'ai pas tout compris) et d'autres choses. Il est très exubérant et se lance sans arrêt des fleurs, vantant ses tarifs avantageux et son expérience. Visiblement aussi religieux, il fait une prière pour nous auprès de Jesus-Christ pour que notre séjour se passe bien : nous voilà rassurés ! Comme nous le payons généreusement, il est très contente et nous indique un restaurant populaire bon et pas très cher à côté du central de bus. Nous quittons Paul et allons prendre un verre dans un petit bar décoré de drapeaux. Puis l'heure tourne et nous allons au restaurant en question : grande cantine self service où l'on sert de délicieux plats à des prix modiques. Nous rentrons assez tôt à l'hôtel pour nous reposer avant notre dernière journée à Grenade.
Le vendredi, nous essayons de ne pas nous lever trop tard pour aller faire une balade un peu au nord de l'île. Nous longeons la côte caraïbe que nous avions vue du bateau, la mer apparaît magnifique à chaque tournant, en bas de la côte raide et couverte de végétation. Au milieu des palmiers, brillent les bien nommés flamboyants aux fleurs d'un rouge éclatant. Nous descendons dans la ville de Concord et devons maintenant monter à pied une longue route ensoleillée pour voir une chute d'eau. Nous avons choisi l'option des pauvres (ou des courageux) et n'avons pas pris d'excursion organisée hors de prix ni même loué une voiture. C'est pour ça qu'il nous faut marcher tandis que les touristes nous doublent dans leurs taxis. Ce n'est pas évident mais le soleil n'est pas encore trop haut et la chaleur est supportable. En ce moment, je lis "Autoportrait de l'auteur en coureur de fond" de Murakami et je suppose que cela me donne du courage. Nous passons d'abord devant des maisons puis la route s'enfonce dans les terres et nous ne voyons presque plus d'habitations. La route est goudronné et la végétation n'est pas complètement sauvage, nous voyons des petites plantations et des jardins. Je peux reconnaitre quelques arbres comme l'arbre à pain où pendent les grosses boules vertes et rugueuses, ou le bananier (facile), je vois aussi des papayes et des avocats. Je respire le doux parfum humide de la forêt et le vent frais de la rivière me fait du bien. Je n'ai aucune idée de la distance à parcourir et j'économise mon énergie au maximum en marchant très lentement, quand au bout de presqu'une heure apparaît la chute d'eau, je suis surprise et enchantée. Elle n'est pas exceptionnelle, mais on peut se baigner dans son joli bassin : tout petit mais 6 mètres de profondeur. Quel bonheur de m'épuiser dans l'eau fraiche après cette marche, de nager contre le courant, de luter contre les remous et de plonger la tête sous la chute. Nous redescendons bientôt et je peux prendre un véritable plaisir à la balade. Je vois la forêt sauvage sur les flancs de la colline : les bambous qui frissonnent de leurs petites feuilles fines, les plantes plus lourdes d'un vert sombre et les grands arbres qui s'échappent au dessus de la mêlée avec leurs troncs torturés et magnifiques. Nous mangeons nos sandwichs en attendant le bus, deux passent sans nous prendre car ils sont pleins. Le système des mini-bus peut paraître anarchique mais c'est en fait la première fois que nous avons à attendre !
De retour à l'hôtel, nous nous reposons et ne ressortons que vers 16h30 pour aller nous baigner. Le bus nous dépose devant un hôtel de luxe et nous traversons avec curiosité ses longues étendues de gazon parsemées de fontaines et de fleurs. Nous trouvons la plage et nous éloignons un peu de l'hôtel pour nous baigner. Il y a en fait un autre accès que nous pourrons utiliser pour partir. La aussi, c'est une plage magnifique, il y a un peu plus de vagues qu'à Grande Anse mais c'est très agréable. Nous profitons de la fin d'après-midi dans le soleil plus doux à cette heure tardive. Quand nous partons, nous croisons un groupe qui se prépare à prendre un barbecue sur la plage. Et c'est notre dernière image de Grenade, nous mangeons nos dernières provisions et préparons nos sacs pour prendre l'avion le lendemain pour Trinidad.
A la rue à Carriacou, nous n'avons d'autres choix que de prendre le water taxi pour nous rendre à Petite Martinique le samedi soir quand nous comptions n'y arriver que le dimanche. Celui-ci me semble encore plus déchainé que celui de Richard. Le conducteur est à l'arrière, je suis assise devant lui au milieu du bateau. Je vois se dresser comme un pic l'avant de la barque qui bondit sur les vagues. Je suis obligée de m'accrocher de toutes mes forces à mon siège pour ne pas être projetée sur le banc devant moi. Si j'ouvre la bouche, j'ai l'impression que l'air emplit mes joues et me déforme le visage comme sur une image de bande dessinée. Je pousse pourtant régulièrement des cris incontrôlés lorsque, soulevée de mon siège, je sens que j'y retombe brutalement. Je pense que les waters taxis ne doivent être utilisés que par des personnes jeunes et en bonne santé. Si vous avez déjà un peu peur des manèges de Disney Land, oubliez les barques des Grenadines. Peut-être le conducteur adapte-t-il sa conduite à ses passagers ? Je n'en suis pas sure... Dans la folie du voyage, je reconnais tout de même la plage sur laquelle nous nous sommes baignés l'après-midi : c'est sûr qu'en bateau, on y est plus rapidement ! Le trajet officiel entre Carriacou et Petite Martinique dure 1/2 heure, nous mettons 10 minutes. Nous arrivons secoués, échangeant des regards plein d'un soulagement hébété. Nous payons le taxi qui repart comme il est venu, pressé sans doute de retourner à la fête qui commence déjà à Carriacou.Nous voilà donc à Petite Martinique : pas même de ville, simplement quelques maisons posées ça et là et un gamin qui nous indique notre auberge. Elle est un peu plus loin le long de la plage, une grande maison jaune où nous accueille notre hôtesse attablée dans son bar-restaurant vide. Les chambres sont simples mais agréables. Il n'y a presqu'aucun meuble, les couloirs sont larges et vides, hauts de plafond et les murs sont peints dans un vert clair qui tranche agréablement avec le rouge bordeaux des grandes dalles en terre cuite qui couvrent le sol. Nous pouvons utiliser la cuisine commune ainsi que la terrasse qui deviendra notre principal lieu de vie. On y voit la mer derrière les palmiers et la petite cour de l'auberge où paissent des chèvres peureuses.
La nuit tombe et après nous être rafraichis sous la douche et avoir rangé nos affaires, il faut penser à manger. C'est petit, Petite Martinique, et il n'y a pas beaucoup de restaurants. On nous indique une épicerie encore ouverte un peu plus haut sur la rue où l'on fait, parait-il, un délicieux barbecue. Nous entrons dans une première boutique où une famille est installée devant la télévision, ils nous regardent avec curiosité mais non, ils n'ont pas de pain. La seconde épicerie semble, elle aussi, ouverte et nous y achetons un paquet de riz. Dans un coin sombre, dehors devant la porte, une vielle femme fait griller du poulet. Nous lui commandons trois barbecue et attendons sur le banc en face au milieu des habitants qui semblent s'amuser de notre présence et nous posent quelques questions. Voilà notre repas du soir que nous prenons sur notre terrasse et voilà notre première rencontre avec Petite Martinique.
Le lendemain, nous nous levons tard et le soleil tape déjà si fort que nous n'envisageons pas de faire quoi que ce soit. Quand la chaleur devient insupportable, nous franchissons les quelques mètres qui nous séparent de la mer et profitons de l'eau fraiche, nageant parmi les barques des pécheurs. Un dimanche hors saison à Petite Martinique, on ne peut pas imaginer plus calme. Les boutiques sont fermées, les habitants semblent inexistants, même notre hôtesse a disparu et nous sommes seuls. Nous déjeunons avec le reste du poulet et du riz de la veille et laissons couler le temps. Après le soleil torride, le ciel s'est couvert et maintenant le vent souffle et de grosses averses mouillent l'air et les près. A l'abri sur notre terrasse, nous ne pouvons qu'observer le déchainement de la nature, les palmiers qui se courbent et la mer qui écume.
Entre deux averses, je découvre l'oiseau qui m'a empêchée de dormir la nuit dernière. Son cri ressemble à une manivelle rouillée que l'on tourne. C'est un perroquet, il est dans une cage sous un arbre dans la cour. Je m'approche de lui, il me regarde avec curiosité, il n'a pas l'indifférence habituelle des oiseaux. Il lance des petits bruits étranges comme pour commencer une conversation. Son plumage est vert, d'un beau vert brillant et clair, il a du duvet doré et bleu au dessus de la tête et autour des yeux et de grandes plumes colorées au niveau de la queue et des ailes. Il me console un peu des perroquets que je n'ai pas vus à Saint-Vincent, mais celui-ci est enfermé, pourquoi ? Il me regarde de ses petits yeux rouges et vient poser sas tête contre sa cage. Je tente prudemment de caresser les plumes juste au dessus du bec (il ne peut pas me pincer). Il semble un peu surpris, mais il revient. Quand je le caresse, il hérisse les plumes de sa tête comme une crinière. Plus tard, il se met de telle manière que je peux le caresser encore plus facilement et je m'enhardis. Il ferme les yeux et je m'attends presque à l'entendre ronronner. Il s'en ira ensuite avec indifférence et quand je reviendrai d'autres fois, je n'obtiendrai jamais à nouveau de telles faveurs.
A l'auberge, nous découvrons ce qui sera notre principal problème pendant ce court séjour : l'eau. Elle se coupe régulièrement et nous devons attendre patiemment qu'elle revienne. Quand elle est là, nous faisons des réserves, nous lavons la vaisselle, nous prenons nos douches mais elle peut disparaitre à tout instant. Nous découvrirons seulement le lendemain qu'il nous suffit de tirer la chasse pour qu'elle revienne dans l'ensemble de la maison. Nous n'avons pas trouvé d'explication rationnelle à ce phénomène étrange. Par ailleurs, nous avons un second problème : le ravitaillement en nourriture. Il y a plusieurs petites boutiques sur l'île mais elles s'ouvrent et se ferment au gré de la présence ou non de leurs propriétaires, sans compter que nous sommes dimanche. Le soir, nous cherchons un restaurant : il n'y en a pas. Nous marchons sous la pluie sur l'unique route, la boutique d'hier est ouverte mais il n'y a plus de barbecue, nous y achetons du pain et du lait (oh miracle !) et on nous indique un "restaurant" un peu plus loin. Nous entrons dans le lieu indiqué, une femme derrière un comptoir nous propose des sandwichs et des frites. Il n'y a pas de tables, seulement un billard qui prend l'ensemble de la pièce. Trois petits garçons sont assis qui regarde un film américain qui me semble à la fois très niais et très violent. Au mur, il est affiché "No Credit" et les dix commandements sur une affiche avec un ciel et des nuages. Nous attendons patiemment nos sandwichs et retournons les manger à notre auberge.
Le lundi matin, il pleut encore beaucoup. Nous pensions voir un peu plus d'activité aujourd'hui, mais non, tout est toujours aussi clame : est-ce un jour férié ? Le ciel se dégage en fin de matinée et nous allons explorer l'île. J'espérais pouvoir en faire le tour mais ce n'est pas possible. Il n'y a qu'une seule route, notre auberge se trouve à peu près au milieu, à gauche et à droite, après environ 1 ou 2 kilomètres, la route se transforme en chemin de terre puis se perd dans les bruissons épineux. Nous faisons tout de même deux agréables balades et l'île est très jolie. Les petites maisons se suivent, fleuries de bougainvilliers et d'autres buissons colorés. Il y a un foisonnement de fleurs et d'arbustes. Comme le terrain est accidenté et humide, les habitations sont souvent en hauteur sur des petits pilotis. Les plus modestes utilisent des tas de briques, des gros bouts de bois et l'on se demande comment tout ne s'écroule pas. Nous croisons peu d'habitants et beaucoup plus de chèvres. Certaines se promènent libres sur la route, d'autres sont attachées à des piquets. Les petits sont toujours laissés libres car ils ne quittent pas leur mère. Elles sont toutes peureuses et veulent s'enfuir au moindre pas dans leur direction. Celles qui sont attachées tirent alors comme des damnées sur leur corde, tombant parfois bêtement, mais réussissant régulièrement à arracher leur piquet et à se libérer. Détail insolite, de petits cimetières sont installés le long de la route, nous en voyons au moins trois ou quatre. Ils ne comportent qu'une dizaine de tombes qui surgissent blanches et gravées au milieu des buissons de fleurs roses. Abandonnés à la végétation, ils exhalent romantisme et mélancolie. En grimpant sur les hauteurs, nous admirons la belle île fleurie battue par les flots. Un bras de mer d'à peine un kilomètres nous sépare de Petit Saint Vincent, une île encore plus petite qui sert de resort touristique. Au sud, nous voyons Union Island et au nord Carriacou et même Grenade dans le brouillard de l'horizon. Nous retournons nous baigner à la plage près de l'auberge, l'eau est brunie par la pluie mais agréablement fraiche.
La journée passe tranquillement. Nous mangeons à midi le fruit à pain que nous avons acheté à un rasta qui vend des légumes près du port. C'est une grosse boule verte qu'il faut couper et éplucher et dont la chaire ressemble beaucoup à de la pomme de terre avec un léger goût d'artichaut. Le soir, nous en ferons de la purée avec quelques saucisses que nous avons pu acheter. Notre seconde journée à Petite Martinique se termine dans la même quiétude que celle qui nous berce depuis notre arrivée. Le mardi, l'île semble un peu plus active ce qui confirme l'idée que le lundi était bien férié. Nous profitons encore un peu du calme avant d'aller prendre le bateau et de retrouver la civilisation à Grenade.
C'est à nouveau Richard que nous retrouvons pour nous rendre à Carriacou le vendredi. Il nous faut d'abord passer l'immigration car nous quittons Saint-Vincent et les Grenadines pour nous retrouver sur le territoire de la Grenade. Puis nous voilà avec tous nos bagages dans la petite barque bigarrée. Hier, nous avions été secoué mais étions restés au sec. Aujourd'hui le vent a tourné. Assise à l'arrière du bateau, je me retrouve sous une constante douche d'eau de mer. Entre le vent et l'eau, je ne vois absolument rien. J'ai les yeux fermés, la visière de mon chapeau trempé est collée à mon visage. Quand, enfin, je peux lever la tête, nous arrivons aux abords de Carriacou et nous sommes entourés de magnifiques voiliers. Nous longeons la côte sauvage percée de criques de sable blanc et rejoignons la petite ville de Hillsborough. En sortant de la barque je pourrais tout aussi bien prendre un bain toute habillée que ça ne changerait pas beaucoup mon état. Mais avant de rejoindre l'hôtel, il faut à nouveau passer les formalités d'entrée dans le pays. On pourrait penser que c'est à la douane que nous serions le plus embêtés : chaque touriste étant susceptible d'emporter dans son sac un coquillage protégé ou autre souvenir du même genre. Mais non, c'est à l'immigration que l'on nous regarde avec suspicion, nous posant des dizaines de questions sur notre voyage. Mais quand nous apprenons à notre inquisiteur que nous logerons bientôt à Crochu, il devient d'un seul coup beaucoup plus aimable : c'est sa ville natale. Il connait l'hôtel que j'ai réservé, et nous explique en détail comment prendre le bus.
Pour l'instant, nous sommes au Kim's Plazza. Nous trouvons une chambre propre et fraiche avec une petite cuisine, un balcon et une climatisation en état de marche. Nous pouvons nous reposer un peu et profiter de ce confort que nous n'avions pas eu dernièrement. Nous ressortons plus tard pour aller à la plage. Nous l'avons vue du bateau, belle et blanche, juste à côté du port. Quand je dis port, c'est un mot un peu trop important pour décrire la réalité de la chose. Dans toutes ces petites îles, le port n'est qu'une jetée en bois qui s'avance dans la mer. Les bateaux viennent y déposer les voyageurs, mais s'ancrent ensuite plus loin dans l'eau calme et peu profonde de la baie. La plage part de la jetée et continue jusqu'au sud de la ville, quelques maisons et hôtels donnent directement dessus. Nous nous installons à l'ombre et nous baignons près des barques paresseuses peuplées de grands oiseaux.
Le soir, nous partons nous promener dans la ville. Venant de Union Island, Hillsborough nous parait grande et peuplée. Pourtant, elle n'est formée que de la longue rue qui longe la plage et de quelques autres parallèles plus petites. On est vendredi soir et la ville semble s'animer. Une musique tonitruante se déverse dans les rues et des gens dansent un peu partout. Mais la fête qui semblait si gaie depuis l'hôtel nous parait triste à présent. Nous ne croisons que des groupes d'hommes éméchés qui se dandinent dans le bruit. Où sont les filles ? Toutes celles que nous voyons ont les bras encombrés d'un bébé ou de plusieurs. Peut-être les jeunes filles se préparent-elles pour le concert qui semble se préparer ? Je regrette un peu les aguicheuses Sainte-Luciennes du carnaval. Nous mangeons de délicieux roties dans un minuscule bar où l'on vend des DVD gravés de films américains. Les roties sont de grosses crêpes fourrées à la viande, c'est un plat local très commun dans le sud caraïbe, ça coûte une misère : nous sommes visiblement sortis de la route à touristes. Nous n'avons pas la patience d'attendre que le concert commence et rentrons à l'hôtel. Plus tard, la musique vient frapper nos fenêtres de son tintamarre assourdissant. Elle troublera notre sommeil agité jusqu'au petit matin...
Le samedi, nous décidons d'aller nous balader sur l'île. J'ai repéré une plage dans le guide un peu au nord de la ville, il faut prendre le bus. Ici, les bus sont numérotés ce qui facilite un peu l'orientation. Mais j'appréciais aussi les bus de Saint-Vincent, personnalisés par les chauffeurs de tags et peintures diverses et où la musique balançait les passagers au rythme de la route : Reggae ou chant religieux. Le bus part rapidement mais fait tout le tour de la ville pour attraper des passants et des marchandises et quand nous la quittons réellement, nous sommes serrés comme des sardines. Le voisin de Sébastien est un jeune homme déjà bien imbibé par l'alcool et qui tient absolument à nous faire la conversation. Nous le convainquons gentiment que nous n'avons pas besoin de lui pour nous guider à Carriacou. Cependant, heureusement que l'autre voisin a compris où nous voulions aller car c'est lui qui arrête le bus et nous dit de descendre au bon endroit.
Nous marchons le long d'une route de terre encore humide de pluie. De gros lézards traversent furtivement : ce sont en fait de jeunes iguanes, on peut le savoir à la façon dont ils se déplacent. Mais les lézards n'ont rien d'inquiétant, ce dont il faut se méfier ce sont les horribles scolopendres qui apprécient l'humidité. Ces bêtes immondes peuvent vous piquer et vous rendre malade plusieurs jours. Nous marchons en faisant du bruit et en regardant nos pied. Il faut à peu près 3/4 d'heure pour rejoindre la plage et à la fin, le chemin traverse un bout de forêt. Mais ici, c'est une forêt de petite île côtière, rien à voir avec la "rain forrest" dans laquelle nous nous sommes promenés d'autres fois. La végétation est beaucoup moins dense, parfois un peu sèche et peuplée de cactus. La plage pourrait sortir d'un film, longue étendue de sable, sauvage et blanche comme un écrin doré. C'est ici que des tortues viennent pondre leurs oeufs mais nous n'en verrons pas aujourd'hui. Nous ne sommes pas seuls, un yacht luxueux est venu déposé une flopée de pinups qui se font griller au soleil. Des barques pleines de jeunes hommes du coin semblent attirées comme des mouches et profitent du spectacle. Au moins, face à ces créatures, Reb et moi passons inaperçues et ne sommes pas embêtées. Les jeunes femmes semblent indifférentes à l'engouement qu'elles engendrent. Leur présence ne nous empêche en rien de profiter de la plage et je me laisse emporter par la beauté du rocher peuplé de grands pélicans. En nageant avec le masque, je verrai les bancs de poissons secoués par les courants et filer par millier juste en dessous de moi.
Le chemin du retour se fait plus rapidement que je ne l'avais pensé. La terre est plus sèche et nous avons moins peur des scolopendres. Nous croisons des chèvres hébétées et l'air sent presque le sud de la France. Nous attendons le bus et croisons une voiture qui nous dépose en ville pour le même prix. Mais alors que nous rachetons quelques courses et que nous nous apprêtons à rentrer nous reposer et nous rincer du sable et du sel, voilà le début d'une galère qui commence. Le gérant de l'hôtel nous appelle à la réception et nous apprenons que nous n'avons plus de chambre. Il y a eu plusieurs changements dans nos plans. Au départ, nous aurions dû passer les nuits du jeudi et du vendredi à Carriacou, puis le temps nous a poussé à prolonger notre séjour à Union et j'ai écrit pour dire que nous n'arrivions que le vendredi et ne prendrions qu'une nuit. A ce moment, je pensais que nous repartirions pour Petite Martinique le samedi. Cependant, nous avons ensuite eu la confirmation qu'il était possible de faire en une journée le trajet entre Petite Martinique et Grenade et nous avons donc décidé de faire : vendredi et samedi à Carriacou, dimanche et lundi à Petite Martinique. Mais ça, nous ne l'avons décidé que la veille. La réception de l'hôtel étant à l'intérieur d'un supermarché, je ne l'ai pas vue en arrivant et c'est une jeune femme qui nous a donné la clé. Plus tard, la réception était fermée. De toutes façons, comme partout où nous avons été avant, les hôtels étaient vides, je ne pensais pas que ça posait le moindre problème. Ce matin, on nous a demandé s'il fallait faire la chambre, j'ai répondu que non, et que nous restions encre une nuit. Visiblement, l'information n'est par remontée mais de toutes façons, c'était trop tard, la chambre était déjà réservée et l'hôtel plein ! Nos affaires ont été déménagées d'office et nous sommes à la rue.
Nous parcourons les rues de Hillsborough, fatigués et hagards, cherchant une chambre dans un autre hôtel. Bientôt, nous découvrons le pot aux roses : il y a un festival de musique ce week-end dans la ville, tous les hôtels sont pleins. Je comprends mieux le problème posé par la nuit supplémentaire mais notre situation vire au dramatique ! Il reste d'autres hôtels sur l'île, mais ils sont plus chers et plus loin. Je n'ai pas changé la réservation à Petite Martinique car je ne pouvais pas contacter l'hôtel, ils nous attendent donc en théorie ce soir, mais c'est une autre île ! Le bateau régulier est parti ce matin, il reste les waters taxis. Nous nous rendons sur le port et trouvons un jeune homme, une bière à la main qui veut bien nous emmener. Nous lui donnons rendez-vous un peu plus tard et retournons chercher nos affaires.
Nous avons quitté notre chambre ce matin en pensant la retrouver ce soir et nos affaires étaient donc éparpillées un peu partout selon une logique qui nous était propre. Elles ont été rangées par des mains étrangères ce qui ne nous rassure pas. Nous vidons nos sacs dans le couloir de l'hôtel, nous avons l'air de vagabonds avec nos sacs plastiques et nos vêtements par terre. Finalement, l'essentiel est là et nous rangeons comme nous pouvons. Il nous manquera un shampoing et un savon mais rien d'important (en particulier, nous avons tous nos appareils photos, ordinateurs, passeports et argent). Nous retournons au port avec toutes nos affaires, Seb part chercher l'homme que nous avons vu tout à l'heure tandis que nous l'attendons. C'est cette image que je garderai de Carriacou : nos sacs posés négligemment sur la jetée dans la lumière du soir, les enfants qui jouent et s'éclaboussent sur les barques, la fête qu'on entend dans la ville, et nos corps un peu las et perdus, attendant la suite.