Union Island et Tobago Cays

Notre bateau part de Saint-Vincent le mardi 26 à midi. Nous sommes arrivés à l'avance car l'heure n'avait pas l'air très claire et nous voulions être sûrs de trouver le bateau. Il est déjà là à 10h30, des hommes s'affairent à y charger des marchandises. Nous rejoignons la petite salle climatisée qui accueille les passagers et tuons le temps en jouant au tarot. Finalement, il ne quitte le port qu'après 13h. Nous doublons l'île de Bequia et celle de Mustique apparait sur notre gauche. Au loin, Canouan est déjà bien visible. Le lent balancement des vagues ne nous permet que deux activités : regarder le paysage ou dormir. Je pratique les deux car même si ma préférence va à la première, on se lasse vite. En effet, si hier le bateau m'a paru lent, aujourd'hui c'est pire encore et la lointaine côte de Canouan semble ne jamais vouloir se rapprocher. En me promenant dans le bateau, je découvre qu'il vient en fait de Norvège car il y a au mur des cartes des fjords et des instructions en norvégien.  Enfin, nous atteignons Canouan mais il faut encore être patient car nous continuons jusqu'à Union Island que l'on voit maintenant très proche.

Le bateau reste bien une heure et nous ne quittons l'île qu'après 18h. Je sors sur le pont pour profiter de la vue lors de cette dernière partie du voyage. Dans la lumière du soir, les îles se dessinent, magnifiques sur l'océan. Le vent me frôle à peine ce qui prouve bien que nous allons à une lenteur accablante. Je croise des français et j'apprends avec désespoir que l'on s'arrête encore à Mayreau. Le soleil se couche alors que nous abordons la petite île joliment entourée de plage. Nous pensons arriver au bout de nos peine et Union n'est qu'à quelque brasse. Mais il nous faut attendre encore. Le bateau que nous avons pris n'est pas l'express habituel réservé aux voyageurs, c'est un bateau de marchandise et il doit charger et décharger les provisions dans chaque île. A Mayreau, les hommes passent des heures à tirer des blocs de ciments avec une pelleteuse tout à fait inappropriée. Il fait complètement nuit quand nous arrivons à Union, il est tard, nous avons faim et nous sommes épuisés.

Notre auberge est près du port, elle a un aspect à la fois gai et délabré. Son petit restaurant est coloré et nous mangeons en écoutant malgré nous une vieille compilation des Backstreet Boys. Les murs sont peints de poissons et d'inscriptions joyeuses, le sol recouvert de carreaux colorés, au plafond pendent des affiches de marques de Rhum. L'homme qui tient l'auberge s'appelle Lambi, c'est un grand et gros mastodonte au visage gentil et poupin. La femme qui s'occupe du restaurant a des cheveux défrisés, coupés au carré et teint en une espèce de violet, ses vêtements brillent de la couleur des fêtes mais la salle est moitié vide et son visage exprime la lassitude désabusée. Les murs de notre chambre semblent s'effriter dans l'humidité du port et nous voyons les bateaux depuis notre fenêtre. Il fait trop chaud et la clim fonctionne mal. Plusieurs fois, nous aurons à tuer de gros cafards de ceux que l'on voit parfois sous les tropiques.

Le lendemain, le temps est plus nuageux que d'habitude et assez venteux. Nous prenons notre petit déjeuner au Capitaine Gourmet, petite boutique-bar tenue par une française. Une énorme averse éclate, nous coulant dessus à travers l'auvent. Nous ne devons rester à Union qu'une seule journée et nous voulions aller aux Tobago Cays, des petites îles magnifiques et inhabitées. Nous avons rendez-vous à 10h avec un bateau. Mais la française nous explique que nous sommes sous l'influence d'une onde tropicale et qu'il risque de pleuvoir toute la journée. Dépités, nous ne savons que faire. Nous voudrions prolonger d'une journée notre séjour et ne quitter l'île que vendredi mais la navette ne part que les jeudis et lundis. Finalement, nous discutons avec propriétaire du bateau : il nous emmènera demain aux Tobago Cays et peut nous servir de "Water Taxi" vendredi pour aller à Carriacou, ça nous coûtera plus cher que prévu mais tant pis.

Nous avons donc une journée de libre pour visiter Union Island. Le temps se découvre un peu et nous nous baladons dans la ville. Elle est à l'échelle de l'île, c'est à dire toute petite. Ce ne sont que quelques boutiques et maisons posées près du port le long de l'unique rue. Il y vit toute une communauté française, une trentaine en tout, ce qui représente une forte proportion de la population. Ils se connaissent tous et sont là depuis plus de vingt ans. Ils vivent des touristes et du temps qui passe, coulant des jours tranquilles sur leurs bateaux. Il y a aussi beaucoup de touristes français au point que les restaurants traduisent leurs menus et leurs affiches. Il faut dire que Union Island est l'île la moins chère des Grenadines, elle est un peu en dehors des circuits touristiques. Son aspect négligé tranche par rapport aux rues pimpantes et pourléchées des autres îles. Les baroudeurs et autres routards y trouveront plus leur compte que dans les resorts laissés aux riches américains. J'aime l'ambiance de paradis perdu qui s'en dégage. Tout semble ici aller plus lentement, rien n'est véritablement important et on oublierait facilement le reste du monde. Nous marchons vers une plage de l'autre côté de l'île. Perdus, le chemin que nous prenons traverse une sorte de décharge. Mais bien vite, nous retrouvons la route goudronnée entourée d'une douce végétation. L'île est sauvage mais le monde végétal y est moins exubérant que sur ses grandes soeurs. On voit de l'herbe, des vaches, des arbustes et aussi des figuiers de barbarie. Tout comme les gens, la végétation semble calme et paisible. Nous arrivons à la plage, nous sommes seuls sur le sable blanc. Le ciel brumeux nous arrose de sa pluie tropicale, les petits pavillons blancs sont vides car c'est la basse saison. L'impression de bout du monde est plus forte que jamais. Le soir, nous dinons dans un restaurant tenu par une française avec un grand aquarium et la mer, sombre dans la nuit, comme toile de fond.

Le jeudi, il fait encore assez nuageux mais cette fois, nous partons tout de même. L'homme qui nous conduit aux Tobago Cays s'appelle Richard, c'est un rasta entre deux ages qui possède une petite barque à moteur qu'il a peinte de rouge, jaune et vert. Elle s'appelle "Jah live" (Jah est le nom que les rastas donnent à Dieu). A chaque fois que nous devrons monter ou descendre dans cette barque, il nous faudra faire des acrobaties qui nous laisseront parfois des éraflures. Mais Richard, toujours très prévenant, nous aidera de son mieux et jamais ni nous, ni nos sacs ne tomberont à l'eau. La barque part en direction des Cays. Si j'ai trouvé les autres bateaux lents, aujourd'hui c'est différent. Nous bondissons à une vitesse effarante à l'assaut des vagues. Elles semblent n'être que des bosses sur une route invisible et mes sursauts à l'arrière du bateau me rappelle la Mongolie. La petite barque s'envole et retombe tandis que nous nous accrochons de toute nos forces à la rambarde pour ne pas sauter trop haut ou trop brutalement. L'eau part en gerbes blanches de part et d'autre du bateau et le vent nous ferme les yeux. Alors que nous nous rapprochons des Cays, l'eau devient turquoise et les vagues cessent. Ca ne ralentit pas Richard et j'ai l'impression d'être sur un bolide qui fonce comme un forcené entre les yatchs et les voiliers immobiles. Nous voilà, petite flèche folle et colorée dans ce monde paisible.

Richard nous dépose sur une plage, une avancée de sable au bout d'une petite île. Nous prenons nos masques et tubas et allons observer les profondeurs. Ici, pas de rochers et le fond de l'eau ressemble à des prairies sous marines dans lesquelles se baladent de petits poissons. Et d'un seul coup, apparait le bel animal. On nous a dit que allions nager avec des tortues mais nous ne voulions pas y croire totalement. Même quand Richard nous pointait des formes noires dans l'eau en disant "Voilà une tortue", je pensais : "Mais les verrai-je, moi, quand je nagerai tout à l'heure ?". Si bien que même prévu, le miracle n'en est pas moins beau. Les tortues sont énormes, leur carapace fait bien 50cm de diamètre. Quand nous en voyons une, nous nageons calmement au dessus d'elle pour ne pas l'effrayer et pouvons l'observer à notre guise pendant plusieurs minutes. Elle se contente souvent de brouter l'herbe avec sa grosse tête et parfois nage à la surface pour respirer rapidement. Il est incroyable de voir comment ces animaux qui ont l'air si patauds deviennent gracieux dans l'océan. Elles déplacent leurs longues nageoires avant comme de lentes ailes et semblent voler, mouvant leur lourd corps avec souplesse et facilité. Le spectacle est fascinant et nous devons nous forcer à les laisser partir quand elles s'éloignent un peu trop de la rive. Leur carapace est jaune oranger avec du brun et du vert, mais je trouve encore plus belle la peau qui leur couvre la tête et les pattes.Elle semble formée de petites formes géométriques noires et jaunes qui s'imbriquent tel un puzzle, le dessin en est compliqué et amusant. Nous nageons longtemps avec les tortues avant de sortir de l'eau. Nous nous baladons ensuite sur la toute petite île. Dès que l'on quitte la page, on est dans le monde des oiseaux qui s'envolent à chacun de nos pas. Nous croisons aussi un iguane au milieu des cactus.

Richard revient nous chercher et nous emmène sur une seconde île où il y a des tables à l'abri où nous pouvons pique-niquer. Ca tombe bien, car il pleut. Après le déjeuner, la pluie a cessé et nous pouvons à nouveau nous baigner et observer les poissons. Le monde sous marin est plus beau que jamais et je ne me lasse pas de ces voyages sous l'eau. Seb voit même une raie, nous en verrons une autre au moment de partir depuis le bateau : elle est grise et gigantesque et l'on préfère finalement ne pas l'avoir croisée pendant la baignade. Nous nous baladons encore sur l'île, il y a les petits oiseaux noirs avec qui nous avons partagé notre pain, il y les gros crabes dans leurs trous de sable, il y a les hautes herbes qui nous effraient, il y a les serpents et autres bêtes que nous ne voyons pas mais dont la présence cachée nous fait peur. Nous quittons l'île un peu après 14h, le soleil est revenu mais Richard a peur que le ciel ne se couvre et préfère se rapprocher de chez nous. Il nous dépose à Palm Island, juste en face de notre île, Union. C'est une île resort qui appartient à un hôtel où nous passons pour des intrus. Nous sommes dans un autre monde, ici les prix sont en US dollars et la plage de sable blanc est ratissée avec soin : pas de fruit pourri, de branches mortes ou de fourmis mal venues. Sur les espaces verts, se promènent de gros Iguanes et nous pouvons les observer mieux que sur les îles sauvages. Ils sont peureux et s'enfuient dès que l'on veut s'approcher mais nous les regardons de loin, abasourdis par leur allure préhistorique. Les plus gros surtout, ceux qui sont brun clair, rayé de noir et qui déploient leur crête punk sur leur tête rasée. La plage est vide et nous nous baignons dans l'eau claire. Le gardien regarde d'un oeil torve le sac que nous avons posé sur un banc à l'ombre car les chaises longues et toutes les installations sont réservés aux absents clients de l'hôtel.

Pour notre dernier soir à Union Island, nous trouvons un très agréable restaurant local. Nous désespérions un peu car si beaucoup étaient annoncés, ils étaient tous fermés. Ici, nous sommes les seuls touristes et d'ailleurs les seuls clients mêmes si certains habitants viennent chercher des plats à emporter. Les dames sont charmantes et nous servent un curry de chèvre avec des légumes pays (riz, bananes et patate douce) ainsi qu'un délicieux jus de fruit. Malheureusement, en fin de repas, je fais une esclandre en jouant malgré moi un grand numéro de malade assez impressionnant. Voilà ce qui s'est passé : le ciel a été nuageux une bonne partie de la journée et m'a incitée à l'imprudence. Dès le premier rayon, j'ai remis de la crème mais il était trop tard. Vicieusement, car je ne l'ai pas senti, le soleil m'a brûlée. Mes coups de soleils ne sont pas très importants mais ils recouvrent une partie importante de mon corps et l'échauffement de ma peau dérègle mon fonctionnement général, créant ces impressionnantes insolations. Mais heureusement, l'épisode est limité et le lendemain, je me sens parfaitement bien. Le soir même par contre, je rentre à l'hôtel et m'effondre comme une masse. Mais malgré l'insolation, malgré l'onde tropicale, malgré l'auberge délabrée et les cafards, j'ai aimé Union Island, j'ai été touchée par son charme étrange et désuet, par cet air de bout du monde. Demain, nous prendrons à nouveau un petit déjeuner au Capitaine Gourmet : yahourt maison et croque monsieur, servis par notre hôtesse avec sa voix de marin et sa peau blanche tirée par le soleil.

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Bequia

Pour notre dernière journée à Saint-Vincent, nous partons visiter l'île de Bequia. Nous connaissons maintenant bien le chemin jusqu'à l'arrêt de bus et sommes habitués à ces petits vans surpeuplés qui transportent les locaux et touristes courageux pour 1 EC dollar. Le bateau pour Bequia s'appelle "express" mais avance lentement et met plus d'une heure pour rejoindre l'île. Nous longeons la côte sauvage avant d'apercevoir les maisons toutes installées à l'intérieur d'une baie. Descendus du bateau, nous sommes assaillis par les chauffeurs de taxi et nous dirigeons vers l'office du tourisme, petite maison à la sortie du port.

Nous avons finalement pris un taxi, nous traversons la jolie île pleine de verdure, croisant des vaches et des hôtels. Le taxi nous dépose au "sanctuaire des tortues", la plage n'est pas loin, il reviendra nous chercher cette après-midi pour reprendre le bateau. Un vieux blanc à la peau tannée vient nous accueillir. C'est lui qui gère l'endroit et on le sent plein d'une tendresse paternelle pour la moindre de ses tortues. Il récupère les bébés tortues encore vulnérables sur la plage pour les élever et les relâcher au bout de quelques années quand ils ont atteint une taille raisonnable et échapper aux dangers de la prime jeunesse. Les tortues sont installées dans des bassins en fonction de leur taille. Les plus petites ne font que un ou deux centimètres de diamètre, les plus grandes plusieurs dizaines. C'est avec de la peine que l'homme nous montre les tortues qu'il ne pourra pas remettre à l'eau : à l'une, il manque une patte, l'autre a une déformation, elles n'auraient aucune chance dans l'océan. Avant de relâcher ses bêtes, il leur fait une petite marque sur la carapace : deux petits trous au niveau de la queue. Les plongeurs peuvent alors lui dire chaque fois qu'ils en croisent une et son rêve est d'en voir revenir une sur la plage pour la ponte.  Nous observons encore les grandes bêtes avant de partir, leur tête qui ressemble à un bec est impressionnante, elles ne semblent pas toujours de bonne humeur et c'est avec prudence que je leur touche la carapace.

Nous marchons jusqu'à la jolie plage qui borde ce côté de l'île. Nous nous installons à l'ombre d'un cocotier près d'un bar fermé pour la basse saison. Il n'y a personne d'autre que nous. Au loin, les vagues de l'océan semblent se briser en entrant dans la baie, sans doute arrêtées par des rochers sous marins. La mer devant nous ressemble à une aquarelle qui aurait été peinte en grandes lames avec deux teintes de bleu : l'un plus foncé et l'autre turquoise. Alors que nous mangeons nos sandwichs, j'aperçois un grand oiseau se poser sur l'eau. C'est un pélican. Ils sont en fait trois. Ils passent la majeure partie de leur temps à se reposer sur un petit bateau. De temps en temps, ils volent dans le ciel avant de piquer vers les flots. Ils ne sont pas les seuls à pêcher et c'est impressionnant de voir tous ces oiseaux fondre d'un seul coup vers la mer, plonger et ressortir avec un poisson dans le bec. Nous n'avons pas la chance de pouvoir observer les poissons car l'eau est troublée d'algues et on ne voit rien avec le masque. Cependant, le lieu n'en est pas moins paradisiaque et l'après-midi coule doucement.

Le taxi revient nous chercher et nous montons à l'arrière de sa camionnette : le visage au vent, protégés simplement du soleil par son petit auvent. Nous avons encore un peu de temps avant de reprendre le bateau et nous nous baladons dans la petite ville de Port-Elisabeth. Les boutiques colorées se suivent le long de la mer, comme déposées au hasard des vagues, illuminées par le soleil. Dans un marché aux fruits, nous achetons des bananes et un avocat. Mais c'est un peu plus loin que nous prenons notre goûter. Un homme nous propose des noix de coco. Depuis que j'ai goûté l'eau de coco, les autres boissons me semblent avoir perdu leur attrait. L'homme coupe le haut de la noix encore fraiche avec un coutelas. Le fruit se transforme alors en coupe géante emplie de son jus. Il faut savoir que la noix fraiche ne ressemble pas du tout à celle que nous avons chez nous. Elle est beaucoup plus grande, de couleur jaune et de forme ovale comme un ballon de rugby. Son cœur n'a presque pas de chaire  : en séchant, la noix perd son eau et dépose sa matière blanche le long de sa coque.  L'eau que l'on boit dans la noix fraiche est très désaltérante, on l'appelle eau et non pas lait car elle n'a pas cette texture crémeuse qu'on lui connait par la suite. Elle est d'une douce tiédeur, d'un goût très délicat, sucré et fruité. Une fois la noix bue, l'homme la fend en deux avec son coutelas et l'on peut racler la très fine chaire blanche, un peu caoutchouteuse, qui a déjà eu le temps de se déposer. L'ensemble forme un met si délicieux, naturel et doux qu'il me fait passer l'envie d'une glace ou tout autre chose qui paraitrait alors artificiel.  Nous retournons au bateau et quittons la jolie Bequia.  Ce soir, nous dormons à nouveau à Saint-Vincent avant de continuer notre voyage.

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Saint-Vincent

Nous arrivons à Saint-Vincent le jeudi 21 au matin par l'avion de 7h45. Nous passons vite les formalités d'entrée car il y a très peu de passagers : l'avion n'est déjà pas très grand, mais en plus il repart vers Tridinad et tout le monde ne descend pas. Cependant, le voyage commence mal car il nous manque un sac, oublié ou perdu par la compagnie aérienne lors du très court trajet. Après avoir rempli les papiers, nous prenons le taxi pour rejoindre notre hôtel, Crystal Heights. C'est une belle maison, au bout d'une pointe sur une colline entre l'aéroport et la ville. A nouveau, nous sommes les seuls clients. Nous avons un grand appartement et une vue splendide sur la mer et les îles des Grenadines, en particulier celle de Bequia dont les falaises surplombent la mer à quelques kilomètres à peine.

Arrivés tôt, la journée est surtout consacrée au repos, nous prenons un bon petit déjeuner sur le balcon avant de faire une sieste à l'appartement.  La première expédition de la journée est destinée à aller faire des courses. Nous marchons avec entrain, remontant la colline pour rejoindre le petit supermarché. Depuis la route, nous admirons la magnifique vue sur la baie en contre-bas, la mer est d'un bleu très sombre qui tranche sur le ciel plus clair et les collines recouvertes de végétation. Notre hôtel est situé dans un agréable quartier résidentiel et nous passons à côté de petites villas colorées, aux jardins remplis d'arbres fruitiers et de fleurs exubérantes.  Parfois, nous croisons une chèvre attachée à son piquet ou quelques poules au regard vide.  Nous arrivons à la petite supérette et y achetons de quoi nous cuisiner plusieurs repas. Nous prenons aussi des fruits, dont des pommes cannelles que nous mangeons en marchant. La pomme cannelle ressemble à une petite grappe verte. Du centre du fruit, partent de petites alvéoles qui contiennent une graine noire et se terminent par de gros boutons râpeux. Mais ce qui nous intéresse, c'est la chaire blanche et sucrée qui entoure la graine et qui fond doucement dans notre bouche.  Si à l'aller, le chemin a paru simple, au retour, nous nous perdons, grimpant la mauvaise colline et errant sans fin, montant et descendant des rues qui se ressemblent et semblent se jouer de nous.  C'est épuisés et assoiffés que nous retrouvons notre appartement. La préparation du repas et sa dégustation nous prennent une bonne partie de l'après-midi et c'est assez tard que nous nous décidons à ressortir. Il nous faut retourner à l'aéroport chercher le sac qui a réapparu. Nous y allons à pied, il faut cette fois descendre la colline. En bas, les habitants semblent plus pauvres. Les maisons sont beaucoup plus modestes, parfois construites de bois et de tôle. Quelques enfants jouent dehors qui nous regardent avec curiosité. Revenus de l'aéroport, nous passons la soirée à l'appartement, terminant calmement cette première journée à Saint-Vincent.

La deuxième journée n'est pas beaucoup plus active. Nous avons tout de même le courage de descendre à la petite plage en bas de la colline. La mer vient caresser le rivage en jolies vagues rondes et frappe les rochers qui entourent la baie. Plusieurs familles locales se baignent tranquillement. A peine arrivés, nous voilà entourés de plusieurs petits gamins. Assez vite, je comprends ce qu'ils veulent. Ils ont vu les masques et tubas dans nos sacs et me supplient de leur les prêter. J'accepte sans remords car je ne pense pas en avoir l'utilité sur cette plage là. Une fois dans l'eau, alors que certains jouent avec les masques (il nous faudra attendre qu'ils aient tous eu leur tour avant de partir), d'autres viennent me parler.  Ils crient tous en même temps avec un très fort accent et le bruit des vagues couvre leurs voix : en fait je ne comprends rien à ce qu'ils me disent. Ils veulent jouer avec moi et le plus jeune d'entre eux qui doit avoir 4 ou 5 ans saute dans mes bras et s'amuse avec moi dans les vagues. Il est attachant et comme il est plus près de moi, je comprends mieux ce qu'il me raconte, en particulier la description de ma couleur de peau : "White, red and spotty". Nous prenons plusieurs photos des petits et de leur famille, les laissons jouer longtemps avec les masques et partons sans leur promettre de revenir le lendemain comme ils le voudraient.

Plus tard dans l'après midi, nous descendons à Kingstown pour la première fois. C'est la femme de ménage qui nous accompagne à pied et qui nous donne de très nombreuses explications sur comment prendre le bus au retour même si cela reste assez peu clair pour nous.  La ville de Kingstown est en fait assez petite, les habitations s'étalent sur les collines alentour et le centre ne se concentre que sur trois rues parallèles animées aujourd'hui de multiples étals de marché divers vendant des fruits, des boissons à emporter ou encore des Cds et DVDs. Les bâtiments sont de tailles et couleurs inégales, ils renferment surtout des commerces et des administrations, les habitations étant plus loin. Nous ne restons pas longtemps, juste le temps de faire tamponner le permis de Sébastien et de vérifier les horaires de bateaux.

La vraie découverte de l'île commence le samedi grâce à la voiture que nous avons louée pour le week-end. Aujourd'hui, nous avons décidé de remonter la côte atlantique. Nous roulons donc vers l'est, traversant le sud de l'île. Nous sommes passés par l'intérieur des terres car nous souhaitions voir d'anciennes inscriptions des indiens caraïbes. Le plus intéressant est de chercher ce lieu car nous prenons une multitude de petites routes sur lesquels nous nous perdons et demandons notre chemin : les habitants de Saint-Vincent sont particulièrement sympathiques et toujours prêt à nous aider. Nous finissons par trouver l'endroit mais découvrons qu'il faut marcher une demie heure et payer un guide : nous abandonnons le projet. Nous rejoignons donc la côte et montons vers le nord.

La route longe l'océan, découvrant de magnifique panoramas sur les imposants rouleaux qui viennent s'éclater contre la côte. Arrêtés sur une magnifique plage, nous admirons la mer puissante  balayer la plage de son écume blanche. Les arbres à terre et les débris témoignent de la violence des derniers ouragans. Nous traversons la ville de Georgetown qui étale ses maisons poussiéreuses le long de la côte pleine de vent. Nous continuons plus au nord où la route devient plus étroite et grimpe dans les collines. A chaque sommet, un nouveau panorama incroyable nous attend, la houle bleue sombre vient se briser contre les falaises et pénètre encore puissante dans les baies agitées de ses caprices. Les collines la surplombent,  tranchant entre la mer et le ciel par le vert vif de leur végétation tropicale.  Au bout d'une route sablonneuse parsemée de quelques modestes petites maisons, nous arrivons à "Salty Pound". En haut de la colline, voici d'un seul coup un magnifique petit parc : l'herbe y est bien coupée, des tables ombragées attendent sous les arbres, des enfants jouent sur des balançoires. Il est étonnant de trouver un si joli endroit dans un coin qui semble si reculé et loin de tout. En contre bas, nous apercevons la plage. La pointe rocailleuse s'avance dans l'océan et les rochers ont formé un petit étang d'eau de mer à l'abris de la fureur des vagues. Le bassin n'est pas bien grand mais il est assez profond par endroit, assez pour ne plus avoir pied et même plonger comme le font certains. L'eau y est turquoise et peuplée de petits poissons. La chose la plus agréable à faire est de s'accrocher au rocher qui nous sépare de la mer et d'attendre qu'une grosse vague vienne nous rafraîchir de son écume blanche telle une chute d'eau éphémère. Plus tard, j'irai aussi m’asseoir plus près de l'océan pour voir les magnifiques rouleaux et attendre qu'ils m'éclaboussent gentiment.  Nous quittons ce petit paradis juste à temps pour arriver chez nous à la tombée de la nuit.

Le dimanche, nous avons prévu une promenade dans la forêt. Il aurait fallu s'y rendre tôt le matin, mais paresseux et lents, nous n'arrivons là bas que vers 9h30. Le chemin traverse la forêt tropicale et surtout l'habitat du perroquet, animal protégé de l'île.  Le chemin est facile à suivre, ce qui est rassurant car je ne voudrais pas me perdre au milieu de cette végétation incroyable. Les grands arbres nous surplombent, nous cachant le ciel de leur dense canopée.  Il y a d'abord des pins qui ont été plantés là pour maintenir le sol, puis la forêt originelle, impressionnante de diversité et de vie. J'ai vu le monde minéral en Islande, je suis ici dans celui du végétal, le chemin est parcouru des racines entrelacées des arbres qui sillonnent le sol telles des doigts osseux. Les fougères poussent partout recouvrant la terre de leurs larges feuilles. Les arbres montent haut dans le ciel, d'autres plantes poussent le long de leurs troncs et tout semble lié par des lianes et des branches. Nous entendons les perroquets mais nous ne les voyons que peu et nous devons nous contenter de quelques battements d'ailes dans le ciel. La pluie nous surprend sur le chemin du retour, la forêt bruisse de toute part, les feuilles tremblent et la terre devient glissante. Nous accueillons avec bonheur l'eau fraîche sur nos visages.

Pour la suite de la journée, nous décidons de rejoindre une plage. Nous continuons sur la côte caraïbe et prenons une route un peu au hasard dans un petit village.  Nous contournons une colline en sautant sur des bosses et des trous jusqu'à ce qu'une magnifique baie apparaisse en contre bas. La plage est déserte, il semble qu'il y ai eut un projet d'hôtel ou de maisons mais qui a l'air abandonné.  Nous nous installons à l'ombre sur une table de pique-nique en mauvais état. Les petits crabes sortent de leurs trous pour nous saluer.  La baie est entourée de rochers, l'eau est calme et transparente, c'est parfait pour sortir nos masques et tubas. Et en effet, quelle vie sous la surface ! Nous voyons quantité de poissons, de formes et couleurs extravagantes. Ils nagent en groupe juste en dessous de nous. Leur tête est souvent colorée différemment du reste de leur corps : bleu et jaune, gris et rouge, ... Certains sont rayés ou tachetés de paillettes. Nous en voyons des très long qui ont comme un bec de couleur au bout de leur corps. Et puis, il y a les coraux.  On en voit des blancs qui forment comme de grosses boules décorées d'arabesque. Ceux que je préfère sont les jaunes qui ressemblent à des cheminées futuristes. Nous passons l'après-midi à nager, à nous reposer sur le sable, à barboter dans l'eau.  Le temps semble arrêté et notre seul souci est de nous protéger du soleil qui tape avec une force impressionnante.

Nous repartons vers la ville en fin d'après-midi et admirons le soleil couchant à Fort Charlotte. Depuis cette pointe au dessus de Kingstown, on peut voir plusieurs îles des Grenadine ainsi qu'une vue magnifique sur le reste de l'île. Nous suivons un guide dont le rythme lent et amical convient bien à l'ambiance du pays. Nous sommes dans un ancien fort construit par les anglais. Il faut savoir que Saint-Vincent a été pendant longtemps le refuge des indiens caraïbes qui fuyaient les autres îles envahies par les français et les anglais. L'île a aussi servi de retraite aux esclaves échappés de la Barbade qui ont d'abord été accueillis par les caraïbes. Leur métissage a donné ceux qu'on a appelés les "Black Carribs". Mais des tensions ont éclatées entre les anciens esclaves et les indiens caraïbes, ce qui fait que ces derniers ont fini par s'allier avec les français qui voulaient reprendre le contrôle de l'île. La défaite de de la France face à l'Angleterre a ensuite fait leur malheur car ils sont toujours restés hostiles aux anglais et ont fini par être déportés vers l'Amérique centrale.  L'histoire des indiens caraïbes et de l'esclavage est passionnante, j'en découvre en ce moment une partie en lisant le Voyage aux Iles du père Labat.  Et voilà que nous terminons notre séjour à Saint-Vincent, île sauvage où la vie coule le long des petites rues colorées et où les habitants vous saluent pleins de sourires. Le tourisme y est assez sous exploité car les Grenadines attirent tous les regards. Mais pourtant, elle vaut le coup d'être parcourue et j'en garderai un très agréable souvenir.

 

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