Sous la tente
Mercredi 28 juillet
Mardi midi, nous quittons donc notre première famille. Nous partons à pied, le chauffeur nous rattrapera plus tard avec le van. Je n'ai pas encore décrit à quoi ressemblait la steppe concrètement. La terre y est très sèche, sablonneuse et poussiéreuse. Il n'y pousse pas un gazon fourni mais une herbe drue et éparse, épaisse et parfumée. Cela ressemble à du thym. Pourtant Erica me dit qu'elle n'est pas utilisée pour la cuisine. Le parfum de la steppe est un mélange entre cette odeur et l'odeur des animaux. Dans les yourtes, on sent aussi le lait et le fromage.
Nous reprenons le van un peu plus loin. Nous nous arrêtons d'abord dans une première famille qui élève des chevaux. Nous avons vu ce matin le troupeau de chevaux revenir au campement : le spectacle du troupeau qui galope dans la steppe est assez incroyable, je ne pense pas qu'on puisse voir ça à beaucoup d'autres endroits. La famille nous accueille avec de l'aïrag, cette boisson mongole très populaire à base de lait de jument fermentée. Ça pétille un peu et son gout et proche du cidre. Avec, on nous sert des petits fromages secs au gout étrange.
Avec cette famille, nous prenons la mesure du dénuement de nos premiers hôtes. Ici, les yourtes sont beaucoup plus grandes et chaque famille en a plusieurs : au moins deux, une pour vivre et l'autre pour préparer la nourriture. La yourte est aussi plus richement décorée : tapis, ornements. Hier, nous avions remarqué les petits capteurs solaires qui permettent d'obtenir un peu d'électricité. Il y en a aussi un ici (d'ailleurs, il y en a partout) mais il y a aussi une parabole et une petite télé qui diffuse Harry Potter. En parlant de modernité, l'outil qui semble maintenant incontournable est le téléphone portable utilisé par tous. Nous avons même vu la grand-mère avec !
Nous assistons à la traite des chevaux : il faut traire les juments toutes les deux heures ! On amène le poulain près de sa mère pour qu'il amorce la traite, puis on le pousse pour prendre du lait avant de le laisser revenir. En retournant vers la yourte, nous regardons les fromages sécher au soleil. L'homme de ce matin affirme que le soleil est très bon et que pour en profiter il faut retirer ses vêtements et le laisser nous atteindre. Je lui réponds que ma peau n'est pas la sienne, elle est trop blanche et brûle au soleil. Il ne me croit pas vraiment et pense que je ne suis juste pas restée assez longtemps pour être bronzée. Je lui montre alors mon bras et il regarde, circonspect, mes tâches de rousseur. Nous avons vu un petit cheval tacheté tout à l'heure et il me dit que ma peau est comme le cheval !
Nous reprenons le van et rejoignons le campement où nous devons passer la nuit. On nous explique qu'un des hommes a perdu sa femme il y a moins d'une semaine : elle est morte dans un accident de voiture. Sa sœur est arrivée hier soir, elle a déménagé ici avec son troupeau (il lui a fallu plusieurs jours) pour vivre avec lui car il ne pourrait pas s'en sortir seul. Nous nous installons en marge du campement dans la tente pour deux fournie par l'agence et qui est très spacieuse. On nous apporte de l'eau dans un gros broc et des bassines pour nous laver. En maillot de bain sous la tente, je me verse de l'eau sur la tête : quel bonheur que cette fraicheur par la chaleur ambiante ! Il est déjà tard quand nous déjeunons mais je n'ai pas faim : nous avons passé la matinée à boire divers thés et laits dans les yourtes.
Après manger, nous nous promenons dans la steppe avant de faire la sieste dans la tente. Le soleil tape et il n'y a pas d'ombre, la tente est le seul endroit à peu près agréable. Vers 17h, le temps est plus supportable. Je sors et commence une aquarelle. Mais très vite, je suis interrompue car nous rencontrons les autres touristes qui sont installés ici avec leur guide. Les touristes sont français et la guide francophone. Elle a appris le français à l'université et travaille dans le tourisme depuis. Le couple de touristes vient de Tours, ils sont proches de la retraite et adorent voyager. Ils ont visité de nombreux pays : on dirait nous dans quelques années. On passe la fin de l'après midi à discuter avec eux. Puis les guides nous installent le repas et nous mangeons ensemble. J'arrive à terminer mon aquarelle tout en discutant. Les mongols, curieux, viennent regarder derrière mon épaule.
Nous nous couchons après la traite des vaches et le retour des troupeaux. La tente est confortable et nous dormons très bien malgré la pluie. Les guides et les chauffeurs avaient voulu dormir à la belle étoile : ils ont dû retourner dans les voitures et n'ont pas passé une très bonne nuit. Au petit déjeuner, nous goûtons le délicieux yaourt préparé avec le lait de chèvre. Pour mettre sur notre pain, nous avons aussi la crème de lait, très épaisse, obtenue à partir du lait de vache en le faisant bouillir. Nous avons beaucoup de route aujourd'hui donc nous préparons rapidement nos affaires et rangeons la tente. Mon plus gros problème dans ce camp sont les araignées : il y en a plein de petites qui courent partout sur la tente, ça m'effraie beaucoup (heureusement, il y a la moustiquaire et les araignées sont donc à l'extérieur). Ça pose plus de problèmes quand il s'agit d'aller aux toilettes. Les toilettes ici sont un trou dans le sol dans une petite tente en toile. Des tas d'araignées se cachent dans la toile et m'attaquent. Je sors les fesses à l'air en criant, mais heureusement personne ne me voit car je suis un peu loin du campement. Je crois que je préférais le campement d'hier où il n'y avait pas de toilettes et où l'on pouvait choisir un endroit sans araignées.
Nous quittons donc la famille. En partant, nous laissons des cahiers et crayons de couleur pour les enfants. En échange, la dame nous offre des petits fromages secs. Ça se conserve, nous pourrons les ramener en France pour faire partager cette étrange expérience culinaire. Nous devons faire 250km aujourd'hui, nous passons donc une bonne partie de la journée dans la voiture. Le voyage se passe bien, après une partie piste, nous rejoignons une route asphaltée qui nous mène jusqu'à notre destination (nous sommes sur un grand axe).
Quelques évènements ponctuent le voyage. La voiture a un problème et nous nous arrêtons une demi-heure sur le bord de la route (ce qui m'a permis d'écrire la première partie de cette note). Ce genre de choses ne m'effraient pas du tout, je fais complètement confiance au chauffeur qui connait très bien sa voiture et a un sens pratique à toute épreuve. Plus tard, nous nous arrêtons manger dans un restaurant car nous avons perdu du temps. Un restaurant au milieu de la steppe ! Mais oui ! Voir cette grande bâtisse en brique au milieu de nulle part est assez étrange et encore plus quand on nous y sert un steak à cheval. Nous passons à côté de petites villes et de zones agricoles mais la plupart du temps, nous roulons au milieu de grandes plaines entourées de collines et où courent des troupeaux. Elles prennent de belles couleurs bleues et jaunes sous le soleil. Nous rencontrons notre premier yak, d'après notre chauffeur, nous en verrons d'autres : "Après demain, encore, boucoup yaks". Seb se fait piquer par une abeille, c'est la première que nous voyons ici, il pense donc qu'elle est venue exprès pour l'attaquer.
Ce soir, nous arrêtons dans un lieu assez touristique où nous passerons trois nuits. Nous sommes juste à côté de belles dunes de sable qui attirent les foules. Nos hôtes ont une yourte spéciale pour les touristes, très confortable. Le tourisme semble leur principale source de revenu, ils ont un troupeau de vaches et ils vendent le lait aux campements de touristes. Ils ont aussi des chevaux et des chameaux qu'ils louent pour des balades et pour lesquels ils servent de guide.
Alors que j'écris, un petit garçon est assis à côté de moi. Son nom est Monhbat. Il va à l'école pendant l'année et apprend l'anglais. L'été, il sert de guide aux touristes pour les balades en chameaux. Un autre petit veut jouer avec l'ordinateur, il tape dessus et quand on l'en empêche il pleure. Il s'appelle Tserentogtoch : un nom qui semble guerrier et très approprié ! C'est Monhbat qui m'a épelé les noms sur l'ordinateur. Tserentogtoch doit avoir 4 ans, il a les cheveux long car sa cérémonie de baptême lors de laquelle on lui coupera les cheveux n'a pas encore eu lieu. Il est très indiscipliné, court partout, attrape tout ce qu'il peut. J'ai montré à Monhbat quelques photos sur l'ordinateur mais je n'avais rien de bien intéressant. Plus tard, je lui ai offert des cahiers et crayons de couleur, il a eu l'air d'apprécier. Sébastien et moi sommes maintenant ses grands amis.
Première nuit sous la yourte
Mardi 27 juillet
Lundi soir, nous ne mangeons pas avec la famille comme je l'avais pensé. D'après le chauffeur, leur repas ne conviendrait pas à nos fragiles estomac d'européens. Comme je l'ai dit, c'est une famille assez pauvre, ils n'ont sans doute pas de mets très raffinés à nous proposer. Il n'y a que deux yourtes, dans la première vivent un couple, la grand mère et leurs deux fils. Dans la seconde vit le jeune frère du mari avec sa femme et ses filles. Après le repas, nous assistons au retour des bêtes : chèvres et moutons. Il faut rentrer certaines chèvres dans un enclos pour la traite qui aura lieu demain et attraper les petits chevreaux au passage. Nous passons la fin de la soirée à jouer avec plusieurs membre de la famille. Avec l'aide d'Erica, ils nous ont appris un jeu à base d'osselets de moutons. C'est un mélange entre dès et billes : on doit faire se toucher des osselets qui sont tombés sur la même face. Nous avons bien compris le principe et pouvons participer pleinement au jeu.
One Steppe into the world
Me voilà rentrée en France après cet incroyable voyage ! Comme je l'avais prévu, je n'ai pas eu accès à internet. D'ailleurs, nous ne sommes pas allés en ville du tout. Cependant, chaque jour, j'ai pris en note mon voyage sur le netbook et j'ai décris mes journées avec minutie. Si j'avais dû attendre mon retour, j'aurai oublié les détails et les sensations, mais là, tout est intact sur l'ordinateur. Je publierai donc au fur et à mesure les notes que j'ai prise.
Mais déjà, petite note générale : le voyage s'est très bien passé ! Nous n'avons eu aucune galères ni même vraiment d'embêtements. Bien pris en charge par l'agence locale DMD et par notre guide et nos deux chauffeurs, nous n'avons eu à nous soucier de rien. Chaque jour a été plein de surprises, de rencontres, de découvertes. Un voyage que je garderai en mémoire à coup sûr !
Première note : Départ pour la steppe
lundi 26 juillet
Au matin, nous retrouvons notre chauffeur et rencontrons notre guide, Erica. Nous voilà dans le van en direction de la steppe. Nous traversons Oulan Bator. Malgré son petit centre, la ville comporte un million d'habitants. Les quartiers se ressemblent. On est lundi aujourd'hui, il y a plus de voitures et les rues sont pleines de vie. En périphérie de la ville, on peut voir de grosses usines qui crachent leur fumée. Dans leurs girons, quelques habitants dans des yourtes ou petites maisons. Mais entre deux masures décrépies, se dresse parfois une grosse boutique de voitures avec façade en verre comme on pourrait en voir dans une zone industrielle française. Nous nous éloignons vers les faubourgs de la ville. Un peu en retrait, des habitants sont installés dans des camps de yourtes qui s'étendent comme des petits villages. Ils n'ont pas de quoi se payer un appartement en ville. Mais ces banlieues pauvres ne ressemblent pas non plus à des bidonvilles. La yourte est une petite habitation confortable et chaque famille a son petit espace entouré de palissades. Ils sont peut-être même mieux ici que dans des appartements de mauvaises qualité en ville.
D'un coup, le chauffeur quitte la route principale et part vers la montagne. Nous nous retrouvons seuls. Bientôt, nous voyons à nouveau nos amies les vaches. Autours de nous, les prairies s'étalent, certes encore salies par les reste de la ville. Assez vite, nous croisons de petites yourtes isolées. Puis, aux vaches s'ajoutent moutons, chevaux et chèvres. Nous entrons dans un autre monde... Nous nous arrêtons près d'un ovoo : ce gros tas de pierre porte bonheur aux voyageurs. Nous y déposons des cailloux et en faisons trois fois le tour comme de coutume.
Nous arrivons à Zuumod, c'est la capitale d'une petite province près d'Oulan Bator. Quelques bâtiments en dur, style soviétique, mais surtout beaucoup de yourtes et de petites maisons. Nous ne faisons que traverser pour rejoindre la réserve naturelle qui se trouve derrière. Sur la montagne sacrée de Bogd Khaan Uul, se trouve le temple Mandchir. Il a été construit au XVIIeme siècle puis détruit sous l'ère communiste. Il en reste principalement des ruines. Seul un de ses bâtiments a été reconstruit et sert de mémoire. Il faut grimper un peu pour y arriver mais, même,pour moi, ce n'est pas trop difficile. Il fait un temps magnifique aujourd'hui et l'endroit où nous sommes est splendide. Le paysage est assez différent de ce que nous avons vu jusqu'alors. La montagne est plus rocailleuse et abrupte, et sur ses flanc poussent de nombreux arbres. Nous nous promenons dans les rochers autour du temple. De hautes fleurs poussent un peu partout, colorées et magnifiques. On trouve de très nombreuses Edelweiss, ce qui parait étonnant. Nous sommes à l'entrée du parc national. Dans cette montagne vivent des loups, des lynx, des ours, des cerfs et pleins d'autres animaux. Nous voyons surtout des sauterelles qui bondissent dans l'herbe à chacun de nos pas.
C'est ici que nous nous installons pour manger. Dans le mini van, il y a toutes les provisions et tout le matériel nécessaires. Alors que nous nous étendons sur des matelas à l'ombre des arbres, notre chauffeur nous prépare un délicieux petit repas sur son réchaud. Ce serait parfait s'il n'y avait pas partout autour les restes de précédents passages : plastiques, bouteilles etc. Nous serons très consciencieux et ne laisserons rien de ce genre derrière nous. Pendent le repas, nous pouvons discuter avec Erica notre guide. Elle a 30 ans comme Seb et est journaliste. Elle se fait guide pendant ses vacances. Nous pouvons lui poser des questions sur son pays, nous sympathisons très vite. Notre chauffeur ne parle pas l'anglais mais a appris un peu de français à force de s'occuper des touristes. Son français nous permet tous les échanges basiques comme "manger" "partir" et pour le reste nous passons par Erica. Lui aussi est très agréable, il semble avoir le sens de l'humour et a toujours l'air très cool.
Nous repartons et dépassons Zuumod. La route maintenant, n'est plus qu'une piste. Nous sommes balancés à peu près régulièrement par le van mais parfois nous sautons presque de nos sièges quand on passe certaines bosses. Bientôt, nous nous engageons sur une piste plus petite et roulons à travers la steppe. La route devient plus aventureuse, le chauffeur change régulièrement de piste et roule parfois au milieu de nulle part, sur l'herbe. Nous croisons troupeaux et campements. Après quelques hésitations, nous trouvons la famille qui doit nous accueillir ce soir.
D'un seul coup, nous voilà plongés dans une autre réalité. Nous entrons dans la yourte qui semble si petite pour accueillir toute la famille. La maitresse de maison nous sert du thé traditionnel mongol : un peu salé avec du lait. C'est très bon, ça ressemble à un bol de lait chaud. La famille est assise autour de nous, notre guide sert d'interprète. Nous rencontrons la vieille grand-mère de 85 ans, je trouve ça émouvant... Puis nous allons à l'autre yourte où vit la seconde famille. Le maitre de maison a l'air très enthousiaste, sa femme nous sert des gâteaux, des petites filles nous regarde avec curiosité. Nous sommes vraiment au milieu de nulle part. Autour de nous, les prairies à l'herbe rase s'étendent à l'infini. A l'horizon, les montagnes se fondent dans le ciel. Nous ne voyons pas le troupeau qui est parti paitre plus loin. Notre guide nous explique que la famille est assez pauvre en ce moment : ils ont perdu de nombreuses bêtes cet hiver et n'ont pas assez de lait pour préparer les traditionnels fromages.
Je suis maintenant seule dans la yourte avec le chat qui est là pour chasser les souris et les mouches. J'en profite pour écrire ces lignes en attendant l'heure du diner...