Retour en Irlande
Voilà bientôt 10 ans que j'ai quitté l'Irlande, précisément fin juillet 2008. La dernière fois que j'y suis retournée, c'était en 2010 alors que Seb était lui aussi rentré en France. Nous avions encore de nombreux amis là bas. Depuis, beaucoup ont déménagé aux 4 coins du monde et moi je n'ai pas revu Dublin depuis 8 ans. L'idée de ce nouveau voyage m'a tout de suite plu. Nous n'y allons pas seuls. Nous voyagerons, pour la première fois, avec nos deux nièces S. 12 ans et E. 13 ans. Ce sera l'occasion de leur faire découvrir ce pays qui fut le notre pour un temps.
Les péripéties commencent à l'aéroport, avant même le départ. Les filles sont avec nous, encore un peu timides car elles ne se connaissent pas, n'ont jamais voyagé avec nous et n'ont pas trop l'habitude de l'avion. Alors que nous pensions avoir pris toutes les précautions nécessaires, nous découvrons que notre vol part une heure plus tôt que prévu ! L'information avait été envoyée dans un mail assez obscur que Seb pensait avoir pris en compte. Nous qui nous pensions à l'heure sommes donc en retard et c'est de justesse que nous pouvons enregistrer les bagages. Mais les problèmes ne s'arrêtent pas là. Grèves, avion plein, surbooking : derniers enregistrés, nous voilà sur liste d'attente. Il reste 3 places et nous sommes 4. Nous décidons de faire embarquer Seb et les filles et de laisser mon sort en suspens. Il faut que j'attende que tous les passagers enregistrés montent dans l'avion et si l'un d'eux manque à l'appel, je pourrai prendre sa place. Sinon je serai reléguée sur un vol demain matin. Je vois passer la file qui se dirige vers le bus. Ils sont tous là sauf un. Le steward appelle l'équipe à bord cherchant un certain Mr. O'Sullyvan dont l'ami, bien qu'enregistré, n'a pas passé l'embarquement : l'ont-ils loupé ? Est-il absent ? Est-il en retard ? Mon sort en dépend ! Personne n'arrive. Je suis le steward dans le petit bus, puis dans l'avion (après tout le monde) et patiente, dans l'incertitude, pendant qu'il vérifie que "ma" place est libre. C'est bon ! L'ami de Mr. O'Sullyvan n'a pas quitté l'Irlande, il n'est donc pas là pour son vol de retour et c'est moi qui prends sa place.
Après ce début un peu aventureux, le vol se passe sans encombre et les formalités d'entrées sont particulièrement rapides. Je retrouve l'aéroport de Dublin, si familier bien qu'un nouveau terminal ait poussé depuis la dernière fois. Nous récupérons notre voiture de location et roulons jusqu'à Portmarnock à quelques kilomètres au nord de la ville. La conduite à gauche, les panneaux, les routes : toutes ces petites choses qui me rappellent le temps passé ici et mes trajets quotidiens vers Swords où je travaillais.
Nous logeons au White Sands Hotel. En nous réveillant jeudi matin, nous découvrons un ciel bleu, éblouissant de soleil sur la mer. Après le petit déjeuner irlandais (oeufs brouillés, bacon et "black pudding"), nous nous promenons un peu sur la plage pleine de rochers et de coquillages. Au sud, la presqu'île de Howth s'avance, découpant le ciel et la mer de ses falaises verdoyantes. Enfin, nous prenons la voiture et commençons notre voyage : direction l'ouest.
La route vers Galway est tranquille. L'autoroute traverse les pâturages ou paissent vaches et moutons ainsi que les champs de tourbe fleuris de joncs. Le temps est irlandais : des éclaircies lumineuses entrecoupées d'averses. À l'arrière, les filles se sont endormies. Nous atteignons Galway en début d'après-midi. Le temps est frais et ensoleillé. Nous nous garons sur le port et marchons vers le centre-ville pour déjeuner.
Deuxième (et dernière) mésaventure du voyage dont je suis à nouveau victime : alors que je marche sur le trottoir, une voiture garée m'ouvre sa portière dessus. La jeune femme semble désolée. Je suis un peu abasourdie par le choc de la collision soudaine. Je m'assois un peu plus loin pour reprendre mes esprits. Je vais bien mais la douleur au niveau du genou me suivra le reste du voyage (coup sur la rotule : rien de grave mais il faut quelques jours pour que ça passe). Ça ne sera vraiment handicapant que le jeudi, jour du choc. Par la suite, je ne subirai les quolibets de Seb (et l'air compatissant des filles) que lorsque je devrai monter ou descendre un escalier. En tout cas, c'est en boitillant que je traverse le centre-ville de Galway à la recherche d'un café pour déjeuner.
La ville est aussi charmante que dans mon souvenir. La rue piétonne est animée de musique. Les boutiques et les restaurants se succèdent au pied des maisons colorées. Nous prenons des sandwichs dans un vieux pub puis marchons vers l'office de tourisme. Que faire cet après-midi ? La décision est vite prise : nous irons visiter le Connemara dont le nom suscite la curiosité des filles.
De Galway, nous roulons vers l'ouest, le long de la "Wild Atlantic Way". Petit à petit, les maisons se font plus rares et le paysage prend des allures sauvages et décharnées. La mer semble grignoter la terre, formant de longues flaques grises parsemées d'îlots. Les verts pâturages ont laissé la place à une herbe jaune et sèche poussant sur la tourbe balayée par le vent. Il n'y a plus d'arbres. Les champs, où paissent chevaux et moutons, sont séparés par des petits murets de pierre. Au loin, on voit se découper de hautes collines. Seb et moi avons déjà visité la région il y a longtemps, lors de notre séjour en Irlande. L'impression reste la même : celle d'une grande beauté sauvage qui évoque aussi la rudesse et la désolation. À l'époque, nous étions allés jusqu'à Clifden dont je garde le souvenir venteux d'une ville de bout du monde. Aujourd'hui, nous n'allons pas si loin car l'après-midi est déjà bien avancée. Nous nous contentons de rouler sur un chemin de traverse, de nous arrêter au milieu de nulle part et de descendre marcher un peu dans l'herbe jaune, la tourbe et le vent. Puis nous reprenons la route de Galway en passant par l'intérieur des terres, admirant au passage les petits lacs argentés qui apparaissent au détour des chemins.
Ce soir, nous logeons à une trentaine de kilomètres au sud de Galway, à Kinvarra, de l'autre côté de la baie. Nos hôtes ont aménagé d'anciennes étables en un agréable petit appartement. Ils habitent la maison juste à côté et nous accueillent chaleureusement. La journée a été longue, nous dînons le soir dans l'un des deux pubs du village puis rentrons nous coucher tôt après quelques parties de "Loup Garou", jeu de société qui remporte la pleine adhésion du public.
Vendredi matin, le soleil brille sur Kinvarra, ce qui n'est pas si courant. La journée commence paresseusement. Les filles dorment encore tandis que nous dégustons le délicieux "soda bread" fait maison et étudions le programme de la journée. Finalement, tout le monde est prêt vers midi et nous pouvons partir. Notre hôtesse, volubile professeur de géographie, nous a imprimé un programme touristique détaillé rédigé par ses soins. Il est parfait, nous pouvons le suivre à la lettre, les instructions étant particulièrement claires. Nous commençons par une jolie promenade à quelques kilomètres de Kinvarra qui offre de magnifiques points de vue sur la baie de Galway. Puis nous visitons une jolie abbaye en ruine juste avant la petite ville de Ballyvaughan où nous déjeunons.
C'est le point d'entrée vers les Burren, région minérale aux propriétés géologiques intéressantes. Ce sont de grandes collines recouvertes de roches formant d'étranges lamelles et crevasses. Toujours sur les conseils de notre hôtesse, nous allons à la grotte de Aillwee "montagne jaune" (ou "very dark cave" d'après la série Father Ted). Sur le même lieu, ils ont aussi un centre de conservation pour oiseaux de proies. Nous voyons chouettes, hiboux, aigles, vautours, etc. Nous assistons même au spectacle de démonstration où les oiseaux sont libérés pour être nourris et écoutons les nombreuses explications que nous traduisons pour les filles. Nous apprenons ainsi que les vautours, mal aimés, sont menacés d'extinction ce qui semble bien malheureux. Je me porte volontaire pour tenir le faucon sur mon bras ce qui convainc les filles d'essayer à leur tour. Elles semblent ravies de voir le bel oiseau de si près. Ensuite, nous visitons la grotte. Là encore, un guide nous donne diverses explications sur l'histoire géologiques des Burren.
Quand nous sortons, l'après-midi est bien avancée. Nous faisons un dernier détour pour admirer un beau dolmen puis filons vers Doolin pour aller visiter les Cliffs of Moher. Célèbre attraction touristique irlandaise, j'en ai vu de nombreuses images sans avoir jamais l'occasion d'y aller. En arrivant à 18h30, la masse de touristes est partie, nous avons les falaises pour nous. La journée a été ensoleillée et, miraculeusement, toujours aucune pluie. Le soleil du soir filtre à travers les nuages sur la mer d'argent. Les hautes falaises se tiennent, majestueuses, dans le vent. À leurs pieds, les gerbes d'écume semblent minuscules. Des oiseaux volent en poussant des cris le long de leurs flancs où ils ont fait leurs nids. Nous restons un moment à nous promener et admirer le paysage avant de rejoindre la voiture et de redescendre vers le village où nous dînons dans un pub. Nous remontons vers Kinvarra par la route de la côte. Le ciel est encore clair et nous profitons du crépuscule sur la mer tandis que la nuit tombe sur les Burren.
Le lendemain, c'est déjà le moment de revenir vers Dublin. Nous quittons Kinvarra en fin de matinée. Nous faisons une pause au sud d'Athlone pour visiter l'abbaye de Clonmacnoise (encore un conseil de notre hôtesse). Le soleil est toujours au rendez-vous et nous pique-niquons dehors. Il est 16h quand nous arrivons à Dublin et traversons le centre-ville en voiture, ravivant mes souvenirs. Nous logeons à Artane, dans le nord de la ville pas très loin de Coolock où nous avions habité. Nos hôtes sont une famille irlandaise qui loue plusieurs chambres dans leur grande maison. Lui a longtemps travaillé dans la construction ce qui explique les importants travaux qu'ils ont pu réaliser. Ils ont survécu, difficilement, à la crise qui a frappé Dublin en 2008 et se réjouissent de la reprise récente de l'économie.
Après une tasse de thé, nous ressortons et rejoignons à pied le parc St Anne où nous retrouvons notre ancienne colocataire espagnole Maria avec son compagnon irlandais et sa fille de deux ans. Maria habite à présent la banlieue sud, du côté de Wicklow, mais elle est montée dans le nord aujourd'hui pour voir sa soeur qui habite à Artane et attend un bébé. Maria a vécu avec nous à Coolock. Sa soeur l'avait rejoint peu de temps après notre départ et avait, elle aussi, vécu dans "notre" maison. Avec Maria, marchant le long des allées ensoleillées de St Anne, nous évoquons notre vie irlandaise, prenons des nouvelles et pensons au temps qui passe. Nous traversons le parc arrivons sur le front de mer. Derrière la plage brune, laissée nue par la marée basse, se profile Bull Island et sa lande venteuse.
Maria et sa famille repartent et nous prenons un taxi vers le centre-ville. Il nous dépose sur Parnell street, juste devant notre ancien appartement, où nous avons vécu après notre départ de Coolock. Les choses ont peu changé. Les restaurants chinois sont encore plus nombreux et le tramway passe à présent dans la rue. Nous descendons O'Connell street, montrons le Spire aux filles et rejoignons O'Connell Bridge puis Grafton Street. Je suis triste de voir que la statue de Molly Malone a déménagé. Je voulais dîner au Bewleys mais, malheureusement, il est fermé le soir. Il nous faut trouver un restaurant ce qui s'avère très difficile (et nous rappelle ce problème de nourriture très dublinois). Nous tournons en rond pendant presqu'une heure avant de nous asseoir, épuisés et affamés, sur une table en extérieur dans un restaurant de burger. Une table à l'intérieur se libère peu après et nous pouvons, enfin, dîner au chaud.
Et voilà que, déjà, le voyage se termine. Le lendemain, nous retournons une dernière fois dans le centre et marchons le long de Henry street. Les petites boutiques ont sans doute changé mais pas les grandes enseignes qui faisaient mon quotidien. Il y a toujours les centres commerciaux Jarvis et Ilac (avec la bibliothèque à l'étage), Debenham, Mark & Spencer et, bien sûr, Penneys qui s'est fait connaître à l'international sous le nom de Primark. Les filles vont y faire des achats, vêtements qui représentent aussi bien Dublin que les trèfles et les moutons qu'elles achèteront plus tard à Carrolls. Sur O'Connell street, la litanie de musique irlandais de la boutique de souvenirs se déverse toujours du matin au soir. Comme un dernier hommage à notre vie passée, nous déjeunons dans un restaurant coréen. C'est ici que j'ai découvert la gastronomie coréenne et, pour moi, le bibimbab évoquera toujours Dublin. Puis nous retournons à l'aéroport : direction Paris où nous attend la pluie. Adieu Irlande !
Durmitor
Tandis que nous roulons vers le nord, le paysage devient de plus en plus montagnard. Nous déjeunons dans une auberge en bord de route. L'air est déjà plus frais, balayé d'un agréable vent. Nous arrivons à Zabljak en milieu d'après-midi et nous rendons directement au petit office de tourisme.
Nous sommes aujourd'hui mardi. Notre seul impératif est d'être de retour à Dubrovnik dimanche soir pour prendre notre avion lundi. Et nous voulons visiter le Durmitor... Plus précisément, nous avons une tente et voudrions faire une randonnée sur 2 jours ainsi que descendre la rivière Tara en rafting. Nous ne savons rien de rien : nous n'avons pas de guide, pas de carte. Nous n'avons pas étudié les différentes randonnées possible, ne connaissons rien du fonctionnement du parc. Nous sommes venus à Zabljak car nous avons deviné à la concentration des hôtels que c'était le point de départ principal pour explorer le Durmitor. Et d'ailleurs, nous avons bien deviné comme en témoignent les dizaines de panneaux "Rafting", "Tara River Experience", "Explore Durmitor" que nous avons vus. Nous n'expliquons pas tout ça à la jeune femme de l'office de tourisme, nous demandons juste des informations sur les "Hiking Trails" (chemins de randonnées). Elle nous répond dans un anglais très rapide et difficilement compréhensible. Il ressort cependant que nous devons nous rendre jusqu'au Crno Lake à quelques kilomètres et trouver le "Visitor Center".
Il faut se garer à environ un kilomètre du lac, sur une route encombrée où les véhicules s'entassent un peu n'importe comment. Cependant, Edward Abbey serait content : aucune voiture dans le parc national. Il faut l'explorer à pied ou à vélo. On rejoint le lac par un chemin goudronné où sont installés des stands vendant des produits locaux : miels, champignons et liqueurs. Le "lac noir" porte mal son nom, il est en fait d'un joli bleu turquoise, installé dans son écrin de forêt sombre. Plusieurs personnes s'y baignent ce qui fait envie dans la douceur de l'après-midi. Nous cherchons le "Visitor Center" que nous ne voyons nulle part. Plusieurs panneaux le mentionne cependant mais sans jamais indiquer où il se trouve. Une indication mentionne quelque chose à 900 mètres, le long du lac. Ce n'est pas trop loin et nous y allons pour ne finalement trouver qu'un bâtiment fermé. Il est près de 17h, nous n'avons toujours aucune information et commençons à désespérer. Notre dernier espoir se situe au niveau de la petite cabane qui vend les billets d'entrée dans le parc. La conversation qui s'engage me donne au départ assez peu d'espoir mais à un moment, les choses se débloquent : "You want go hiking in the mountain? - Yes! - You have tent? - Yes! - You want leave car here and go hiking in the mountain with tent ? - Yes! - You have map ? - No! - You want map ? - Yes!". Il se trouve qu'à la suite d'une embrouille, ils n'ont finalement pas les cartes (ils ont prêté une voiture et la personne est partie avec les cartes mais va revenir bientôt). Nous attendons un peu, puis comme la personne ne revient pas, décidons d'aller d'abord nous installer au camping et de revenir acheter nos cartes plus tard.
Le camping Ivan Do est indiqué sur la route, juste à côté de l'entrée. Il se trouve un peu au dessus du lac et est accessible à pied. C'est un petit terrain assez mignon, vallonné et vert. Les emplacements ne sont pas délimités et les tentes s'installent où elles veulent dans une légère anarchie. Nous trouvons une place pour notre petite tente que nous montons en quelques minutes sans difficulté. La question du logement de ce soir est donc réglée et nous redescendons au lac. Cette fois, les cartes sont bien là. On en achète une mais cela ne règle toujours pas la question de quoi faire demain. La carte est très détaillée et, mauvais que nous sommes, nous avons des difficultés à la lire. Nous retournons à l'office du tourisme, mettant la carte sous le nez de la jeune femme et lui demandant où nous pouvons camper dans le parc. Là, enfin, les informations se dégagent : il y a un campement accessible en 2-3 heures de marche depuis Ivan Do, "easy", qui peut servir de départ à d'autres randonnées. Voilà ! Cette fois nous savons quoi faire. Le programme se dessine : randonnée demain mercredi ainsi que jeudi. Et pour vendredi ? Nous entrons dans la première petite agence qui propose les "Rafting Tara" et réservons notre place pour vendredi.
Fatigués de notre journée, nous errons un peu perdus dans Zabljak. C'est une ville touristique de montagne comme on en trouve partout : un supermarché, beaucoup de cafés et restaurants, quelques chalets et hôtels, des touristes en sac à dos et chaussures de randonnées buvant des bières en terrasse. Beaucoup, beaucoup de Français et aussi des Allemands et des Italiens. Attablés nous aussi, nous réfléchissons à ce que nous devons emporter pour notre périple; c'est la première fois que nous partons deux jours en randonnée en portant nos affaires. Nous avons fait une razzia à la boulangerie : pains au jambon, pains au fromage, pains à la confiture, pains au chocolat. À ça, nous devons ajouter des fruits secs, des barres de céréales, du fromage peut-être, des petites briques de lait, des bananes… Nous rentrons au camping à la nuit tombée, parés pour notre première nuit sous la tente et notre aventure du lendemain…
Nous voilà donc sur le départ pour nos deux jours de randonnée. Seb porte le plus gros sac avec la tente (que nous avons achetée exprès ultra légère). J'ai un sac plus petit mais je porte toutes mes affaires (mon peu de vêtements, mon sac de couchage, mon matelas) et ma part de nourriture et d'eau. La randonnée part directement du camping où nous avons laissé la voiture. La première partie est une jolie promenade en forêt. Ça monte pas mal mais de façon raisonnable et pas en continu. Seb est ralenti par son sac et s'adapte assez facilement à mon rythme (c'est aussi plus difficile pour moi mais je suis déjà très très lente même sans sac). Nous faisons cependant déjà plusieurs pauses et il s'est passé quasiment deux heures quand les arbres se raréfient, dégageant de jolies vues sur le paysage alentour. Nous marchons maintenant dans les hautes prairies, au milieu des fleurs de montagne. Cela monte moins régulièrement, parfois c'est plat ou, même, on redescend. Mais les côtes sont plus abruptes et nous sommes au soleil. Heureusement, avec l'altitude, l'air est frais et il souffle un agréable vent. Mon corps se plie difficilement aux efforts : j'ai faim, j'ai soif, je surchauffe sous le soleil, chaque montée est plus pénible que la précédente. Enfin, au sommet d'une petite crête, j'aperçois en contre-bas le campement.
Il est 14h quand nous l'atteignons. Je commence par m'étaler au sol, épuisée. C'est une simple cabane entourée d'un petit prés. Un peu plus loin, un jeune berger vend des bières et du coca depuis sa hutte. Aucune autre installations : les "toilettes" semblent être un tas d'ordures derrière un buisson (le parc n'est qu'aux prémisses de touristisation laissant se développer des dégradations domageables). Nous sommes au creux d'un cirque, entourés de plusieurs hauts pics rocheux. Une tente est déjà installée et le couple de Français qui l'occupe revient tandis que nous déjeunons. Ils sont arrivés hier soir, reviennent de randonnée et s'apprêtent à replier leur tente et redescendre. Depuis le campement, on peut partir vers deux balades : la "Ice Cave", plus proche et le sommet du "Bobotov Kuk". (Ni nous, ni aucun touriste n'arrivent jamais à se rappeler du nom de cette montagne qui devient "Bobokov" "Babakuk dov" "Babaduk" ou autres variations). C'est là qu'étaient les deux Français : ils disent que la randonnée est difficile et leur a pris 5h. Ils sont allés à la Ice Cave hier qui est d'après eux à 1h30 d'ici. C'est aussi eux qui nous apprennent qu'il y a bien une source sur le campement : elle sort directement des rochers dans ce qui ressemble à une flaque d'eau quelques mètres en contre-bas.
Vers 15h, nous sommes reposés, avons monté la tente et nous apprêtons à partir, déchargés de nos sacs, vers la Ice Cave. Nous passons d'abord à la source. C'est en effet simplement une flaque qui ressemble à de l'eau stagnante mais nous n'avons pas d'autres choix que d'y remplir nos bouteilles, presque vides.
Le début du chemin est particulièrement éprouvant. Nous sommes à flanc de montagne, grimpant sous le soleil dans les graviers glissants d'un pierrier. Je dois m'arrêter souvent sur la pente trop raide et nous mettons une heure rien que pour atteindre le petit col visible depuis le campement. Là, nous trouvons une intersection avec à gauche le Bobotov Kuk et à droite ce que nous pensons être la route pour la Ice Cave notée sur notre carte. En réalité, ce chemin va bien là où nous voulons mais n'est pas celui de la carte. Cela nous apporte beaucoup de confusions car nous ne comprenons plus rien à où nous sommes et aux distances parcourues. Nous pensons qu'il faut croiser une autre intersection qui n'arrive jamais et nous commençons à désespérer. Il faut dire que le chemin est, par ailleurs, difficile : ça grimpe dans les rochers, ça redescend. Il faut faire sans arrêt attention à ne pas perdre le marquage des petits ronds rouges et blancs sous peine de se retrouver perdus, sans chemin, au milieu des cailloux et des buissons. L'heure avance, nous inquiétant légèrement car nous ne voulons pas être rattrapés par la nuit. Au moment où nous sommes sur le point de laisser tomber, nous tombons en face d'un panneau et la Ice Cave est juste là ! C'est une simple grotte au fond d'un trou, tapissée par un névé et dans laquelle on voit des stalacmites de glace. Il est 18h, nous n'avons pas le temps de descendre crapahuter sur les rochers pour voir la glace de près. Nous repartons et, cette fois, trouvons le chemin de la carte, qui est plus simple que l'aller. Nous traînons nos pieds fatigués sur les graviers et nous retrouvons au campement à 19h.
Notre tente est entourée par plusieurs chevaux qui s'amusent à détacher nos sardines. Ils appartiennent aux bergers dont les moutons sont aussi revenus. Durant la balade, nous pouvions les voir au loin dans les falaises. Un couple d'Allemands est avec nous : ils ont installés leurs sacs de couchage dans la cabane car ils n'ont pas de tente et ont peur des chevaux. La jeune femme parle français et a une thèse en mathématiques : on discute boulot. Deux autres couples arrivent et installent leurs tentes à côté de nous. La convivialité entre randonneurs est agréable. On se raconte nos balades et on échange des informations sur le pays et la région. Voilà la nuit dans la montagne, le plaisir d'être loin de tout et d'avoir gagné notre place sous les étoiles. Ce serait parfait si je n'étais pas prise d'une terrible migraine, comme si mon corps cherchait à expulser dans la fraîcheur de la nuit toute la chaleur emmagasinée. Je regrette amèrement d'avoir laissé mes dolipranes dans la voiture et je souffre en attendant de m'endormir. Les chevaux nous jouent aussi des tours. L'un d'eux me réveille en sursaut lorsqu'il donne un coup dans la tente et que je vois, terrorisée, sa sillouette géante en ombre chinoise sous la lumière de la lune.
Le lendemain, nous nous réveillons avec vue sur les montagnes et prenons notre petit-déjeuner dans ce cadre magnifique. Nous n'avons cependant ni la force, ni le desir de faire une grande randonnée avant de repartir. Il faut être réaliste : hier nous avons mis 3h à atteindre la Ice Cave ce qui devait prendre 1h30 d'après le couple de Français. Ces mêmes français ont mis 5h à faire la boucle du Bobotov Kuk et ont dit que c'était "difficile". Ce n'est pas pour nous… Nous marchons seulement un peu sur les chemins de bergers, le long des pentes, explorant le petit cirque au fond duquel nous sommes installés. Puis nous replions la tente et repartons avec nos sacs sur le dos. La randonnée de la veille m'a épuisée et j'ai bien peu d'énergie pour ce retour. Le début, surtout, est fatiguant, dans le soleil, avec encore plusieurs côtes à gravir malgré la descente. Je suis contente quand enfin nous atteignons la forêt où nous faisons une pause pour déjeuner. Mais même après ça, mes jambes sont lasses, mes pieds me font mal, mon sac est lourd. La descente, qui d'habitude m'est agréable, me paraît interminable. Quand enfin nous retrouvons le camping, après une ultime et douloureuse montée, je vais m'écrouler dans un coin à l'ombre…
Plus tard, nous prenons une longue douche. Plus tard, nous installons à nouveau la tente. Nous avons retrouvé les Allemands, descendus un peu avant nous. Nous rencontrons aussi à nouveau des voisins français à qui nous donnons notre carte et expliquons la randonnée à faire. En fin d'apres-midi, nous allons enfin nous baigner dans l'eau claire et froide du lac puis dîner dans un bon restaurant en ville.
Le vendredi, après l'effort de la randonnée, voilà la récompense : une descente en rafting dans la rivière Tara. À 9h30, nous sommes au rendez-vous pour partir dans le minibus avec les autres touristes. Nous étions une dizaine dans le minibus mais sommes beaucoup plus nombreux au point d'arrivée : toutes les agences de la ville vendent en réalité la même balade. Nous arrivons dans une grosse auberge qui nous accueille avec des verres de raki (c'est très fort et il est 10h du matin). Le visage surpris des touristes qui boivent une gorgée du breuvage vaut le détour. On nous distribue le matériel puis on descend à la rivière d'où partent une bonne dizaine d'embarcations. Il est amusant de comparer les nombreuses instructions de sécurité que nous avions reçus au Canada pour la même activité et les "non-instructions" ici. Chacun se débrouille comme il peut pour régler son casque et son gilet. À peine installés dans le bateau, hébétés, l'air encombrés par la pagaie, nous voilà partis. Les seuls mots que prononcent le guide sont "left", "right", "together" en fonction de qui doit pagayer, et "ok" quand nous pouvons arrêter. Mais la descente est très agréable. Ce n'est pas vraiment du rafting car la rivière est très calme à cette saison. La plupart du temps, nous dérivons donc tranquillement au milieu du beau paysage. Nous sommes au fond d'une jolie vallée, longeons parfois de hautes falaises. Le bateau fait une pause et nous pouvons nous baigner dans la rivière. L'eau est très froide mais ça ne me dérange pas et je saute, impressionnée, du promontoir de trois mètres. En début d'après-midi, la promenade s'arrête et on remonte à l'auberge où l'on nous sert un repas de midi "façon cantine".
C'est la fin de l'aventure. De retour au camping, nous passons notre après-midi à lire, étendus dans l'herbe. Le samedi, après une dernière nuit sous la tente, nous repartons vers le sud et la côte pour fuir le mauvais temps annoncé. Nous passons une nuit à Herceg Novi que nous prenons enfin le temps de visiter un peu. Je me sens rompue par les trois semaines de voyages, accablée par ailleurs d'un rhume désagréable. Nous passons la frontière le dimanche (pas de problèmes dans ce sens là). À Cavtat, juste à côté de Dubrovnik, nous nous baignons une dernière fois dans la met Adriatique et disons au revoir au sud avant de reprendre l'avion vers Paris…
Des Frontières et des Monastères
Ce lundi matin, nous avons déposé la petite famille tôt à l'aéroport de Dubrovnik pour leur avion de 9h. Nous ne sommes plus que deux avec encore une semaine devant nous et pas de planning précis. J'aime me retrouver sur la route, passeport en poche, libre, sans réservation, sans savoir où l'on passera la nuit ce soir.
Nous avons gardé un mauvais souvenir du passage de la frontière sur la grande route qui relie Dubrovnik à Herceg Novi. Hier, dans le sens Monténégro-Croatie, c'est passé très vite, mais nous avons pu voir une file de voitures côté croate similaire à celle où nous sommes restés 3h il y a deux semaines. L'idée de nous retrouver coincés au même endroit une seconde fois est juste trop désagréable : nous prendrons une autre route.
Comme nous voulons aller vers le nord, l'idée est de passer par la Bosnie ce qui, par ailleurs, flatte notre esprit voyageur : encore un nouveau pays. Le passage de frontière Croatie-Bosnie se révèle quasi instantané. Il n'est même pas 11h quand nous arrivons dans la jolie petite ville de Trebinje. Nous sommes en Herzégovine, et en République Serbe de Bosnie. Pendant la guerre, Trebinje servait de base militaire aux serbes, en particulier lors du siège de Dubrovnik. Les conflits ont accentué les polarisations de population et d'après Wikipedia, la grande majorité des habitants est maintenant serbe. Cependant, on trouve dans la vieille ville une mosquée du 18ème siècle qui a échappé aux destructions.
Notre premier soucis est de tirer de l'argent bosniaque. Pas très sûrs du temps que nous allons passer, nous prenons 200 marks mais très vite, nous réalisons que c'est trop. En effet, les prix nous semblent incroyablement bas et comme il est encore tôt, nous ne passerons certainement pas la nuit en Bosnie. La ville est agréable. Après la frénésie de la côte, il est reposant de se retrouver dans un endroit calme, une vieille ville pas encore envahie par le flot touristique. Nous marchons dans ses jolies rues, tournons un peu en rond, puis terminons sur une jolie place animée d'un marché. Installés à la terrasse d'un hôtel, nous déjeunons de fromage et jambon.
Que faire à présent ? Nous avons récupéré des plans à l'office du tourisme. Il n'y a pas énormément d'informations mais visiblement, l'attraction locale est de visiter des monastères. Il y en a un qui domine la ville sur une colline, c'est là que nous allons d'abord. Nous n'avons aucune idée de ce que nous visitons. C'est une jolie petite église orthodoxe en briques rouges et entièrement peinte à l'intérieur. En réalité, c'est une copie récente d'un monastère du 14ème siècle situé au Kosovo. Il offre aussi un beau point de vue sur la ville et la plaine desséchée sous le soleil. La rivière Trebisnjica serpente et on voit le joli pont à arches du 16ème siècle dont la photo est partout.
De là haut, nous reprenons la route avec l'idée de trouver les autres monastères. Nous suivons le panneau vers "Saint-Pierre Saint-Paul" qui mentionne aussi une grotte. Seulement les indications sont très parcellaires. Elles nous envoient dans une direction puis ne nous donnent plus aucune information, nous laissant rouler des kilomètres dans la plaine poussiéreuse. Nous faisons demi-tour, explorons les chemins, visitons de charmants villages. À chaque fois que nous pensons laisser tomber, nous découvrons un nouveau panneau à moitié caché qui semble contredire le précédent et nous partons explorer une nouvelle route. À un moment, perdus dans la campagne, Seb remarque un plan affiché en grand : c'est sans doute une carte touristique et le monastère y sera indiqué ! En réalité, c'est un plan des terrains minés dans les environs... Alors que nous avions perdu tout espoir, Seb, pris d'un doute, s'arrête au bord d'un chemin. Le monastère est juste là. On ne trouve ni la grotte, ni les ruines du V ème siècle, seulement quelques bâtiments modernes en pierre, assez mignons. Mais cette fois, ça nous suffit et on repart vers le Monténégro. En chemin, on se demande ce qu'on va faire des plus de 100 marks qu'il nous reste : acheter 200 boules de glaces ? 300 litres d'eau ? 400 cartes postales ? Finalement, nous pourrons les changer à l'aéroport au retour et récupérerons un peu plus de 50 euros.
La route longe la rivière Trebisnjica où nous croisons quelques baigneurs. Plus nous avançons, plus le paysage devient vert et escarpé. Nous montons petit à petit dans la montagne. Puis la rivière disparaît et nous voilà au milieu de hautes falaises et de panoramas époustouflant. Le paroxysme est atteint au niveau de la frontière, au sommet d'un pic rocheux. Il n'y a aucune attente au passage du premier poste de douane pour quitter la Bosnie. Nous nous félicitions déjà de ce chemin et d'avoir ainsi évité les 3h de queue du passage Dubrovnik-Herceg Novi, quand nous voilà bloqués entre les deux postes frontières, pour entrer au Monténégro. Il n'y a pas énormément de voitures mais ça n'avance juste pas. Pendant deux heures, nous pouvons admirer le panorama… Dans la file de voitures, ça commence à s'énerver. Il y en a qui doublent tout le monde, d'autres qui klaxonnent, on entend des disputes qui éclatent. Il y a tout un groupe d'Italiens. Certains semblent parlementer avec les douaniers sans grand succès. La plupart du temps, ils courent juste d'un véhicule à l'autre à travers la file comme pour apporter une information urgente suivant une logique qui m'échappe. Enfin, nous atteignons le poste frontière et là, comble de l'absurdité, le douanier n'ouvre même pas les passeports ! Il les prend en main avec les papiers de la voiture et nous pose une question que nous ne comprenons pas. Alors il nous les rend et nous fait signe d'avancer… Nous voilà à nouveau au Monténégro.
Nous roulons encore jusqu'à Niksic où nous voulons passer la nuit. C'est une ville sans grand intérêt, qui rappelle surtout le passé communiste du pays dans son architecture. Il y a très peu d'hôtels. Celui où nous voudrions aller est plein : ils nous en conseillent un autre mais les critiques sur internet parlent de puces, de chambres sales et du "pire hôtel" et en plus, cher. Sur booking, on trouve surtout des chambres et appartements. Seb nous conduit au milieu de nulle part, dans une maison avec jardin où un vieux monsieur nous propose des lits dans une cave pour 10 euros. Nous continuons de chercher. Je trouve un établissement "Orange guest house" sur booking. Mais à l'adresse indiquée, il y a un club de karaté et un vendeur de parquet. Cependant, j'ai bien envoyé une réservation et cherche à contacter l'hôte. C'est lui qui m'écrit sur Whatsapp : il ne peut pas nous donner la chambre sur booking mais nous propose l'appartement de sa voisine au même prix "tout neuf". Il fait presque nuit, nous sommes fatigués, nous l'attendons las et résignés. L'appartement de sa voisine est à 5 minutes à pied. Quand il dit neuf, cela signifie "pas terminé" : les escaliers ne sont pas peints, il manque la moitié des meubles dans l'appartement. Mais bon, il y a des lits et on en a marre de chercher, on paye les 25 euros et on va dîner en ville en haut de la grosse colline. Il n'y a pas de clim dans l'appartement, la fenêtre ne s'ouvre pas complètement et il fait chaud : on aurait du prendre les lits dans la cave, au moins on aurait été au frais !
Le lendemain, avant de monter vers les montagnes du Durmitor au nord du pays. Nous descendons de quelques kilomètres au sud pour visiter le célèbre monastère d'Ostrog. Il se situe au bout d'une jolie route de montagne. Plus on avance, plus cela devient compliqué de se croiser. Surtout, que régulièrement, il faut composer avec des gros bus de touristes. Nous montons aussi haut que possible mais, une fois garés, il faut encore grimper un long escalier, heureusement ombragé. Là haut, nous sommes accueillis par de la musique liturgique déversée par des hauts parleurs. Les bâtiments du monastère sont directement logés dans la montagne. La plupart ont été détruits par un incendie et reconstruits en 1926. Il serait intéressant de visiter l'intérieur mais la file de pèlerins est longue et s'étale sous le soleil de midi. Mon ardeur religieuse n'étant pas très développée et mon intérêt architectural vite modéré par la perspective d'attendre en plein soleil, nous nous contentons de la vue extérieure sur la belle église blanche. Nous reprenons le chemin de la voiture et roulons cette fois vers le nord, vers le Durmitor.